Depuis quelque temps, la rue prend son sort à bras le corps, laissant les partis politiques à leurs petits calculs. Ce phénomène qui prend des proportions mondiales a commencé par être régional. Il a débuté, en Afrique du nord, par un « printemps démocratique » en plein hiver 2011. Les rues tunisiennes se sont remplies pour réclamer la fin du despotisme de Ben Ali et ne se sont vidées qu'après sa destitution. Juste après, les rues égyptiennes exigeaient le départ de Moubarak, son emprisonnement et sa comparution devant la justice. La Libye s'est embrasée à son tour jusqu'au massacre, public, de Kadhafi. Le Maroc, pour sa part, a vu sa rue résonner des revendications du mouvement du 20 février et de personnes qui ont y adhéré spontanément. Lors de cette sortie, la rue marocaine a prouvé sa maturité. Elle a attesté, par la même occasion, s'il était nécessaire, la faillite des partis politiques. Les autorités ont rapidement accusé réception de ses messages, évitant ainsi une tournure dramatique à l'èvénement. Pour ne se pencher que sur la rue marocaine, quelles leçons pouvons-nous tirer de sa sortie ? Qu'en est-il de sa pugnacité actuelle ? S'est-elle vidée définitivement ? Le premier des messages envoyés par les manifestants a été le constat de l'incapacité des partis politiques à être les vecteurs des revendications populaires. La rue a confirmé leur dissolution dans la compromission qui les fait se ressembler tous. Leurs programmes quand ils existent sont interchangeables à souhait ! Même ceux qui ont suscité un tant soit peu d'espoir se sont discrédités ! Au bout de cinquante ans d'indépendance, la rue a perdu espoir de les voir relayer ses doléances tant ils se sont coupés de leurs bases et la principale occupation de leurs dirigeants est le partage des miettes de pouvoir qui leur sont laissées ! Cette désillusion a, dès les années quatre vingt, fait émerger la société civile. Elle est venue occuper l'espace laissé vide par les partis politiques qui ont déserté le chemin de « la majorité silencieuse » autrement dit la rue. Par son travail de proximité, la société civile a démontré son efficacité et l'inefficacité des partis politiques. Elle joue, à leur place, le rôle de soupape, encadre et forme à la revendication sociale. Les années 2000 l'ont consacrée comme partenaire dans les politiques publiques rendant ainsi son cadre juridique, le dahir de 1958, étroit. La rue, en s'enflammant, en 2011, a obtenu la promulgation d'une nouvelle constitution qui, malgré ses imperfections, a pris acte de l'étroitesse de ce cadre juridique et a promu la société civile en lui octroyant la possibilité de présenter des propositions de lois et des pétitions. N'est-ce pas là un désaveu en soi des partis politiques si l'on excepte le grand nombre d'abstentions lors des récentes élections ? Mais à bien réfléchir, est-il judicieux, dans une perspective démocratique, de remplacer les partis politiques par la société civile ? D'ailleurs, cette dernière peut-elle absorber toutes les revendications et être une interface suffisante ? La sortie dans la rue, dans plusieurs pays, prouve cette insuffisance. La « majorité silencieuse » agacée par l'irresponsabilité des élus, l'immobilisme des institutions et la dégradation de son quotidien, décide de se prendre en charge, refuse de subir encore les décisions venues d'en haut. La rue revendique un rôle de partenaire dans les politiques publiques ! Il devient de plus en plus évident que nous vivons actuellement une mutation des structures classiques des Etats et de la représentativité que les nouvelles technologies d'information relayent. La rue ne se contente plus d'être représentée. Voilà ce qu'elle nous dit en Egypte, au Brésil et à une moindre mesure en Tunisie ! La pugnacité de la rue est-elle contagieuse ? Le virus revendicateur pourrait-il infecter une deuxième fois la rue marocaine ? En tous les cas, la déception y est palpable !