L'Egypte, c'est bien d'elle qu'il s'agit en ces temps troubles. Un mouvement de protestation dont l'amorce est donnée par une jeunesse diplômée et dont les perspectives d'avenir n'auguraient rien de bon. Un moment qui vient de bouleverser la vie d'une nation. La chape de plomb qui obérait toute forme d'expression ainsi que tous les verrous sécuritaires ont sauté avec le sursaut citoyen que la Tunisie a vécu avec sa révolution de Jasmin, relayée par le peuple égyptien. Le totalitarisme ambiant dans de nombreux pays arabes n'a point résisté à cette formidable montée en puissance des peuples dont on a trop longtemps confisqué la parole. La marche spectaculaire que les Egyptiens ont programmée pour hier mardi a montré encore une fois la pugnacité de la rue revendiquant le départ d'un président symbolisant une autocratie éculée en ce début de millénaire. Moubarak partira, partira pas ! C'est là toute l'équation dans laquelle interfèrent différents acteurs. L'Administration américaine, en premier lieu, connaît très bien et mieux que quiconque la centralité du pays des pharaons dans les équilibres géostratégiques de la région. Le soutien américain au régime de Moubarak, essentiellement orienté vers la consolidation du positionnement du Caire comme le gendarme attitré de la région, a plus servi le maintien d'un certain équilibre qui sert avant tout les intérêts et la sécurité d'Israël. L'institution de l'armée en Egypte qui semblait complètement inféodée au Rais Moubarak, vient de quitter son statut de grande muette pour d'abord rassurer la population qu'elle ne retournerait pas contre elle les armes. Elle reconnaît par ailleurs la légitimité de revendications de son peuple. Il reste pour l'heure que l'armée n'a pas franchi le pas en poussant Moubarak vers la sortie. C'est du «wait and see» quoique l'ex-patron de l'AIEA, El Baradaï, intime l'ordre à Housni Moubarak de quitter le pouvoir avant vendredi prochain. Les experts occidentaux sont loin de considérer Mohamed El Baradei comme l'homme providentiel pour l'Egypte. Les puissances occidentales se montrent sceptiques face au prix Nobel de la paix, jugé trop déconnecté des réalités de son pays et ne disposant pas d'un prolongement populaire, absolument nécessaire pour faire la différence en pareille situation. Autre élément important, est que le mouvement de manifestants est porté par des acteurs hétéroclites. On y retrouve un peu de tout : les jeunes, les acteurs de la société civile, les partis d'opposition dont les islamistes qui opèrent actuellement avec beaucoup de délicatesse, prenant tout le soin de ne pas heurter les sensibilités. Cependant, les islamistes pensent qu'ils tiennent le bon filon avec cette génération spontanée qui a réussi à forcer la main au régime en place, chose qu'ils n'ont pas pu faire même en usant de la violence dans la clandestinité. Assistera-t-on à un scénario à la tunisienne et à un départ sans douleur du président Moubarak ? Rien n'est moins sûr. Les enjeux, les acteurs et le contexte sociologique et politique étant totalement différents, le peuple égyptien aura sans nul doute le génie nécessaire pour sauvegarder les acquis de ce pays dont l'histoire et la place dans la scène arabe sont ceux qui emplissent notre mémoire collective.