Le fonds norvégien KLP a décidé d'exclure Total de son portefeuille en raison de ses travaux de reconnaissance au large du Sahara. Un nouvel épisode de la guerre de lobbying que se livrent le Maroc et le Polisario sur les ressources naturelles du territoire. Le fonds norvégien KLP (Kommunal Landspensjonskasse), qui gère les pensions des employés communaux de Norvège, a annoncé sa décision d'exclure Total de son portefeuille à compter du 1er juin, au motif que les travaux de reconnaissance du géant pétrolier français au large du Sahara posent des problèmes «éthiques». KLP gère plus de 40 milliards d'euros d'actifs selon les données publiées sur son site internet. L'objet du litige est le contrat de reconnaissance accordé par l'ONHYM en décembre 2011 à une filiale de Total (Total E&P Maroc) au large du Sahara, sur une zone de plus de 100 000 km2 (bloc Anzarane offshore). L'autorisation de l'ONHYM a été prolongée en décembre 2012 pour une année supplémentaire. Quel impact sur Total ? KLP reprend les arguments du lobby pro-polisario Western Sahara Resources Watch (WSRW) qui estime que l'exploitation des ressources naturelles du Sahara doit répondre à la volonté et aux intérêts de la population sahraouie conformément à l'avis juridique de l'ONU de 2002. Total avait déjà répondu à cet argument en décembre dernier, en expliquant que le contrat de reconnaissance obtenu auprès de l'ONHYM «n'est ni un contrat d'exploration, ni un contrat d'exploitation. Il permet des travaux d'évaluation et d'enquêtes de nature géologique et géophysique en vue d'évaluer la nature pétrolifère du sous-sol, et elle exclut des forages exploratoires». Le groupe pétrolier avait affirmé que si les travaux de reconnaissance s'avéraient concluants, les activités d'exploration et d'exploitation seraient menées en conformité avec les «principes de droit international applicables aux activités touchant aux ressources minérales des territoires non autonomes». Total avait obtenu une première licence de l'ONHYM au Sahara en 2001 mais s'était retiré en 2004 suite à l'avis juridique de l'ONU. Aujourd'hui, le groupe français ne s'est pas encore exprimé sur la décision de KLP mais l'impact sur ses activités devrait être limité : la participation du fonds norvégien dans Total ne s'élève qu'à environ 50 millions d'euros selon le communiqué publié par KLP. Le précédent Kerr-McGee En 2005, le fonds KLP avait déjà exclu le pétrolier américain Kerr-McGee pour les mêmes raisons. Le ministère norvégien des Finances était toutefois revenu sur cette décision en 2006 lorsque Kerr-McGee a cessé ses activités au Sahara. Seul le «junior» américain de Dallas Kosmos Energy est présent aujourd'hui aux côtés de Total au large du Sahara, sur un bloc de près de 30 000 km2 («Cap Boujdour offshore») situé au nord de la zone prospectée par le groupe français. Kosmos Energy mène ses travaux de prospection dans la discrétion et le lobbying de WSRW n'a pas encore eu d'impact apparent sur ses activités. Pressions de la Norvège sur les clients de l'OCP Dans le cadre du Nordic Engagement Cooperation (NEC), qui associe KLP à deux autres fonds suédois et finlandais, le fonds norvégien «surveille» actuellement deux sociétés australiennes qui achètent du phosphate extrait au Sahara, le géant Westfarmers (premier groupe privé australien) et Incitec Pivot Ltd. Sous la pression de WSRW et de KLP, Westfarmers s'est engagé en 2012 à ne plus acheter de phosphates du Sahara au moins pendant le prochain cycle de production. En décembre 2011, le gouvernement norvégien, qui contrôle le plus grand fonds souverain du monde (NBIM, 715 milliards de dollars d'actifs selon le SWF Institute), avait exclut la société américaine FMC Corporation et la société américano-canadienne Potash Corp de son portefeuille. Les participations de NBIM dans ces deux sociétés s'élevaient à 256 millions d'euros. Ces entreprises du secteur des phosphates sont surveillées depuis plusieurs années par les investisseurs scandinaves pour leurs achats à l'OCP. FMC Corporation avait réagit en décembre 2011 en expliquant au gouvernement norvégien avoir cessé d'acheter du phosphate à l'OCP. La société Potash Corp en revanche conteste la décision de NBIM ainsi que l'avis juridique de l'ONU de 2002. Le fonds suisse Ethos, spécialisé en investissements socialement responsables (1,47 milliard d'euros d'actifs) n'a d'ailleurs pas suivi le fonds souverain norvégien et indique dans un rapport d'octobre 2012 que Potash Corp «a montré son ouverture au dialogue» sur le sujet. Ethos recommande "de poursuivre le dialogue" entre la société américano-canadienne et l'OCP. Le lobbying de l'OCP à Washington L'OCP de son côté défend ses intérêts en faisant appel à des lobbyistes, notamment le cabinet américain Covington & Burling (qui a reçu 550 000 dollars de l'Office entre 2012 et 2013). Les activités liées au Sahara de ce cabinet, qui emploie de nombreux ex-hauts responsables politiques américains, ont fait l'objet d'un article détaillé sur le blog «Western Sahara Endgame» en septembre 2012. Kosmos Energy fait lui aussi appel au cabinet Covington & Burling pour défendre ses intérêts à l'étranger (dont ses activités de prospection au Sahara), pour un montant total de 1,8 million de dollars selon les données publiées par les autorités fédérales américaines dans le cadre du «lobbying disclosure act». La société Potach Corp de son côté défend la légalité de ses achats de phosphates du Sahara en invoquant, comme dans ce document d'avril 2013, deux études légales qui contredisent celle réalisée en 2002 par le service juridique de l'ONU. La première de ces études a été réalisée par...les experts de Covington & Burling. La deuxième est l'oeuvre du cabinet anglo-américain DLA Piper, associé au cabinet espagnol Palacio y Asociado, créé par l'ex-ministre espagnole des Affaires étrangères (2002-2004) Ana Palacio. Potash Corp indique que le management du groupe a rencontré en janvier 2013 les auteurs du rapport DLA Piper/Palacio et se sont rendus à Laâyoune pour observer eux-mêmes la situation socio-économique de la région ainsi que le fonctionnement de l'OCP. Selon Potash Corp, «l'analyse à pris plus d'un an et a confirmé des bénéfices significatifs pour le Sahara occidental».