Le verdict rendu fin novembre par la justice française dans l'affaire Bouhemou/Maghreb confidentiel ne disculpe pas le patron de la SNI des graves accusations de corruption portées à son encontre par l'ex-dirigeant de Taqa, l'américain Peter Barker-Homek. «Une issue heureuse et légitimement fondée» s'enthousiasme un confrère. «Contacté, Hassan Bouhemou s'est dit très satisfait du jugement», nous apprend de son côté l'Economiste, premier quotidien économique du royaume. Le verdict prononcé par le tribunal de grande instance de Paris, le 19 novembre dernier, dans l'affaire en diffamation opposant Hassan Bouhemou (patron de la holding royale SNI) à l'éditeur du site français Maghreb confidentiel, a visiblement été accueilli avec satisfaction par les médias nationaux. Ces derniers ne donnent toutefois aucune explication sur le verdict rendu, ni sur le fond de l'affaire. L'article incriminé, publié en mai 2011, traite des conditions dans lesquelles le marché de l'extension de la centrale électrique de Jorf Lasfar, qui produit plus de 40% de l'énergie électrique au Maroc, a été attribué au groupe Taqa, contrôlé par l'émirat d'Abu Dabhi. L'article est titré Maroc: l'ex-patron de Taqa accuse Hassan Bouhemou. Le site français relaie une plainte déposée en 2010 aux Etats-Unis par Peter Barker-Homek, l'ancien directeur général de Taqa. Tout juste débarqué du groupe émirati, ce dernier accuse ses anciens patrons d'actes de corruption dans plusieurs pays (Inde, Ghana, Maroc, Canada) entre 2007 et 2009. Maghreb confidentiel reprend également des extraits d'une lettre de dénonciation envoyée début 2011 à la SEC (Securities Exchange Commission), l'agence fédérale américaine chargée du contrôle des marchés, dans laquelle les avocats de Peter Barker-Homek précisent ces accusations de corruption. En ce qui concerne le Maroc, l'ex-dirigeant de Taqa affirme avoir reçu l'ordre de remettre un pot-de-vin à Hassan Bouhemou; l'argent devait selon lui servir à remplir les caisses du festival Mawazine : «En septembre 2009, Al-Suwaidi, président de Taqa, a donné comme instruction à Barker de payer 5 millions de dollars par an pendant 5 ans à Hassan Bouhemou, PDG de SNI (Société nationale d'investissement), le véhicule d'investissement privé du roi du Maroc. Il a été dit à Barker que ces paiements devaient servir à financer un festival de musique au Maroc (...) Quand Barker a interrogé le président Al-Suwaidi sur la nécessité de ces paiements, celui-ci a répondu qu'ils permettraient à Taqa d'obtenir l'autorisation d'agrandir son usine électrique au Maroc, appelée Jorf Lasfar (« Jorf ») » Maghreb confidentiel conclut : «Bouhemou est l'animateur principal du festival Mawazine. Et d'après nos sources, cet événement a bien bénéficié d'un don du groupe émirati, mais d'un montant d'1 million de dollars ». Quand l'article sort, en mai 2011, le patron de la SNI décide d'attaquer le site pour diffamation publique. « La forme et le contenu de ces accusations me contraignent à porter plainte contre cette publication. Ma dignité et les responsabilités qui sont les miennes m'y obligent», affirme-t-il alors par voie de communiqué1. La lecture intégrale du jugement rendu il y a quelques semaines par les magistrats français est intéressante à plus d'un titre: si le site spécialisé a bien été condamné à verser 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts, c'est seulement pour avoir affirmé dans la dernière phrase de l'article que «Bouhemou est l'animateur principal du festival Mawazine. Et d'après nos sources, cet événement a bien bénéficié d'un don du groupe émirati, mais d'un montant d'1 million de dollars». Les magistrats de la 17e Chambre correctionnelle de Paris estiment que ces propos sont diffamatoires car le nom de Hassan Bouhemou n'apparaît pas officiellement dans l'organigramme de Maroc Cultures, l'association en charge du festival. Selon le jugement, le lien établi par Maghreb confidentiel entre lui et Mawazine «ne semble résulter que de l'appartenance de Hassan Bouhemou au cercle des familiers de Majidi, le secrétaire particulier du roi». (Une proximité que le patron de la SNI aurait quand même tenté de minimiser pendant le procès, nous apprend Maghreb confidentiel : un des avocats de Bouhemou, maître Pascal Beauvais, a ainsi affirmé aux magistrats que son client ne connaît « que par relations » et « indirectement » Mounir Majidi1...). Quant au montant du don accordé par Taqa au festival de musique (1 million de dollars annuel selon l'article incriminé), la justice française estime que «rien ne corrobore les dires du journaliste». Les magistrats prennent toutefois note de l'interview d'Aziz Daki, porte-parole de Mawazine, parue dans l'hebdomadaire Tel Quel en avril 2011 et dans laquelle M. Daki demeure, selon les termes du jugement, «volontairement flou sur le montant de la participation de JLEC à la sponsorisation du festival si ce n'est que, selon lui, 'les montants annoncés n'ont aucune mesure avec la réalité'». Voilà pour la diffamation. En ce qui concerne le reste de l'article incriminé (et son titre, également poursuivi par Bouhemou), la justice française ne trouve en revanche rien à redire : « Après avoir relevé que le journaliste adopte un ton mesuré et ne fait que restituer de manière objective, sans insinuation ni amalgame, les informations tirées d'une plainte devant la justice américaine et du courrier du 11 juin 2011 [adressé à la SEC, ndlr], ce qui le dispensait d'introduire une contradiction en prenant contact avec Hassan Bouhemou, il y a lieu de retenir le bénéfice de la bonne foi au profit des défendeurs». A Paris, l'affaire est donc classée. Mais où en est l'action en justice intentée par Peter Barker-Homek aux Etats-Unis ? L'ex-dirigeant de Taqa a porté plainte devant la Cour fédérale du Michigan en juillet 2010, dès son retour d'Abou Dabhi. Débarqué du groupe émirati en octobre 2009, il dénonce une rupture « abusive » de contrat, qui serait liée à ses dénonciations répétées de certaines pratiques, mais aussi «des pressions et intimidations» exercées selon lui par la direction de Taqa et qui l'auraient obligé à «fuir» précipitamment l'émirat en 2010. Peter Barker-Homek réclame environ 460 millions de dollars en dommages et intérêts à son ex-employeur. Taqa réfute toute malversation et parle «d'allégations infondées». En janvier 2011, les avocats de Barker-Homek envoient la fameuse lettre à la SEC. En septembre de la même année, la cour d'appel du Michigan rejette sa plainte sans se prononcer sur le fond de l'affaire: la justice américaine estime que les faits reprochés à Taqa concernent en premier lieu l'émirat d'Abu Dahbi, où la maison-mère de Taqa est domiciliée, et non le Michigan (où est basée Taqa New World Inc, sa filiale américaine). Les avocats de Peter Barker-Homek font appel de cette décision, arguant du fait que la filiale américaine de Taqa est chargée depuis cette époque de piloter l'ensemble des opérations du groupe. Des négociations s'engagent et en septembre 2012, le groupe Taqa et son ancien dirigeant concluent finalement un accord («un transfert de bien immobilier en dehors des Etats-Unis» croit savoir Maghreb confidentiel) pour que ce dernier abandonne sa plainte dans le Michigan. Le volet américain du dossier Taqa se referme lui aussi... 1Maghreb confidentiel n° 1036, 18/10/12 2 Communiqué de Hassan Bouhemou publié sur le site de « La Nouvelle Tribune » le 13/06/11