L'USFP renoue avec les initiatives politiques volontaristes, comme revigorée par son 7ème congrès. Mohamed Elyazghi, son premier secrétaire, a évoqué avec nous les propositions formulées à propos de la question du Sahara, la relance du processus de démocratisation, les réformes. Autour de ces priorités, a Koutla serait appelée à jouer un rôle «redynamisé» avec au préalable une refonte et un élargissement de ce «front démocratique» passablement en panne… S'affirmer de plus en plus comme «force de proposition agissante », tel semble être le souci de l'USFP depuis la tenue de son 7ème congrès en juin dernier. Loin de l'image d'un parti voué à une agitation interne récurrente, les propos du premier secrétaire Mohamed Elyazghi veulent s'en tenir «à l'essentiel» et à des initiatives concrètes. Ce profil constructeur est plus volontiers mis en évidence comme par contraste avec la stérilité à laquelle vouaient les discordes endémiques. La réunion du conseil national le 29 octobre dernier semble avoir confirmé cette optique et l'on a souligné que ses travaux ont échappé aux relents de clanisme ou de «populisme». Constat : cet effort d'apaisement interne se traduit par une tendance à plus de productivité en termes d'initiatives politiques et de thèmes se voulant mobilisateurs. C'est au nom d'une USFP plus soucieuse de cohérence mais n'excluant pas le débat pour peu qu'il reste dans un cadre structuré et aide à la «rationalité», que Elyazghi paraît plus à l'aise pour exprimer cette « force de proposition ». Tout d'abord au sujet de la question du Sahara. Si la solution de l'autonomie préconisée par le Maroc est considérée comme «concession maximale», elle devra cependant faire l'objet d'une vaste consultation à l'échelle nationale et d'une validation sous forme référendaire par le peuple marocain (Lire, en encadré, les propos de M. Elyazghi à ce sujet). Pour l'USFP, il s'agit sans doute de prendre date et de marquer le coup. En prévision d'un tournant qui serait décisif, la nécessité d'une implication directe de toutes les composantes politiques est à nouveau revendiquée. «Sur la question du Sahara, nous sommes aux côtés du roi et non pas derrière», avait déjà déclaré Elyazghi pour indiquer que c'était là une responsabilité commune et que l'on ne pouvait laisser sur le front uniquement la diplomatie de l'Etat. La proposition d'une large autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine a des implications profondes sur la configuration du pays, d'où l'appel à une vaste consultation populaire. Sahara et démocratisation Cet appel recouvre deux préoccupations : celle du confortement de l'argumentaire du Maroc lors d'éventuelles négociations sous l'égide de l'ONU et celle des garanties à obtenir en vue d'une démocratisation plus avancée. Celle-ci est censée assurer les conditions nécessaires pour que l'autonomie souhaitée permette de panser les plaies ouvertes par le conflit, d'en surmonter les séquelles et de rétablir des liens de confiance et de solidarité, incluant des catégories encore marginalisées et émancipant la plupart des membres du Polisario de la longue tutelle algérienne. L'objectif des nouveaux progrès en matière de démocratisation reste, de ce fait, central pour l'USFP sur ce plan comme pour les autres aspects de la vie politique nationale. On a pu s'étonner de voir le conseil national de ce parti lancer un appel à «une alliance stratégique» avec l'Istiqlal et à élaborer «un programme commun» qui, quelles que soient les alliances électorales, sera présenté comme un engagement commun lors des prochaines échéances de 2007. Survenant après les passages à froid, voire la crise, qui ont affecté les relations des deux partis cette année, cet appel a eu l'effet, tout au moins d'annonce, qui en était escompté. Quels éléments nouveaux sont-ils à son origine ? Selon M. Elyazghi, «avec la loi sur les partis qui est en chantier, le rôle des partis en tant que piliers de la démocratie et de la citoyenneté ne peut être vraiment assuré que si l'on va vers la constitution de pôles cohérents et vers une rationalisation du champ politique». En rappelant «l'impact historique» de la Koutla qui au départ comprenait seulement l'USFP et l'Istiqlal avant de s'élargir en 1992 au PPS et à l'OADP, et qui avait permis les premières avancées démocratiques avec le Roi Hassan II, le premier secrétaire invoque, pour l'heure, «la mise à niveau de la Koutla». «Il faut revoir la charte de la Koutla et l'adapter à la nouvelle phase, souligne-t-il. Le Maroc et le monde ont changé. La Koutla peut désormais s'élargir à d'autres composantes pour créer ce large front démocratique et moderniste dont notre 7ème congrès a lancé l'idée.» Dans quelle direction cette ouverture de la Koutla s'opérerait-elle ? Elyazghi n'exclut pas le Rassemblement national des indépendants (RNI) d'Ahmed Osman. Ce parti qui s'est toujours défini comme «libéral» et «centriste» comprend nombre d'éléments liés aux secteurs économiques productifs et qui peuvent être des alliés pour plus de démocratie et de modernisation, aux antipodes des vieux conservatismes et des intégrismes. Rénovation de la Koutla Le réchauffement survenu entre l'Istiqlal et l'USFP semble augurer d'une nouvelle entente pour «redynamiser» la Koutla sur une nouvelle plate-forme. Le PPS adhérera-t-il à ce schéma ? Malgré les réticences qu'expriment ses dirigeants, il ne semble pas qu'il puisse faire bande à part et renoncer à la Koutla, même revue et élargie. Est-ce à dire que le pôle de la gauche n'est plus une priorité ? Elyazghi, sur ce point, se veut direct et franc : «Nous souhaitons que toute la gauche puisse se rassembler autour de l'USFP. Le PSD a pris la décision courageuse de fusionner avec l'USFP pour sortir de la logique des petits groupes… Je ne dis pas que tous les mouvements de gauche doivent faire le même pas mais à terme, y compris le PPS, ils n'ont pas d'autre choix que d'aller vers une démarche d'union». Elyazghi relève que le parti socialiste unifié (PSU), dernièrement créé après la fusion de la GSU et l'association Fidélité à la démocratie «s'enferme dans la stratégie de l'impasse en disant qu'il y a la gauche gouvernementale et la gauche d'opposition. Le choix des alliances n'est pas, avec de tels termes, posé correctement. Si le PSU considère que l'adversaire c'est l'USFP, c'est aller droit dans le mur. Pour nous, et notre conseil national l'a encore précisé, le point d'ancrage, c'est le programme. C'est par rapport à cela qu'on peut se définir et définir ses alliances. C'est cela qui permettra un rassemblement. L'idée d'aller vers un grand parti socialiste à partir de groupuscules n'est pas possible». Pour preuve, Elyazghi indique que la GSU avec 4 mouvements a eu moins de voix aux élections que la seule OADP auparavant. Il estime que ces mouvements, enfermés dans leurs discours nostalgiques, se refusent à voir que la réalité politique du Maroc a changé depuis 1996. Cette «négation du réel» leur fait dire que «tout est à commencer en matière de démocratisation», ce qui rend assez difficile tout dialogue avec l'USFP. «Ces mouvements doivent méditer l'exemple des Verts qui ont beaucoup gagné en influence en s'alliant à la social-démocratie en Allemagne et l'exemple de la gauche radicale en Espagne qui a périclité en s'opposant au parti socialiste», souligne Elyazghi avec une pointe d'agacement. «L'essentiel pour nous est d'aller vers de nouvelles réformes» : telle est la priorité qui pour le premier secrétaire est vraiment pertinente et exige une concentration des efforts. En prenant soin de répéter que «toute réforme ne peut se faire qu'en plein accord avec la monarchie», il indique que les autres partenaires de la Koutla sont acquis aussi à l'idée de présenter un nouveau mémorandum au roi pour des modifications constitutionnelles. Celles-ci porteraient essentiellement sur le renforcement de la primature, étant entendu que «la méthodologie démocratique» serait privilégiée pour la désignation du premier ministre au sein du parti arrivé premier aux élections. La deuxième chambre devrait aussi être totalement redéfinie, à la lumière de l'expérience déjà vécue. «Il serait souhaitable, indique Elyazghi, d'adopter la formule du Sénat qui représente les régions et les collectivités locales et de donner vie au Conseil économique et social représentant les secteurs économiques et les syndicats». Troisième aspect à approfondir dans la constitution : le statut et les pouvoirs des régions. D'autres améliorations d'ordre réglementaire devraient aussi intervenir. Notamment celles concernant la procédure de nomination aux hauts postes de l'administration afin de conférer une large latitude au gouvernement pour ce faire. La loi électorale et le découpage des circonscriptions et des communes doivent aussi connaître une refonte significative. Pour Elyazghi, en matière économique et sociale, «la dynamique déjà enclenchée pourrait être plus soutenue». Les réformes du code du travail, du secteur public ainsi que la loi sur la concurrence et l'effort de mise à niveau des secteurs productifs poussent déjà vers une économie plus saine et entament une rupture avec l'économie de rente, laquelle est de toute façon battue en brèche par l'ouverture sur les marchés extérieurs. En matière sociale, l'INDH constitue un apport notable «grâce à la méthodologie qui y est à l'œuvre et qui pousse au partenariat entre Etat, collectivités, secteur privé, et société civile». Car pour Elyazghi, «il ne faut pas oublier que le problème essentiel en la matière est celui de la gouvernance et l'appel du roi à toutes ces composantes, et pas seulement à l'administration, vise à garantir les moyens d'une meilleure gouvernance pour réussir les programmes sociaux». Quid des Islamistes ? Au vu de ces priorités soulignées avec insistance, comment est perçue l'évolution du champ politique dans son ensemble ? Notamment, comment situer la mouvance islamiste ? Elyazghi fait tout d'abord remarquer que son parti «ne cherche pas à contrer les islamistes car nous on a un projet articulé sur l'avenir, c'est cela notre force. Nous considérons que le choix social-démocrate est le plus approprié pour faire face aux problèmes essentiels de notre pays. Ce sont les islamistes qui essaient de nous contrer et de nous affronter, mais ils n'ont rien à offrir qu'une vision passéiste, qui est une impasse dangereuse. Nous assumons notre histoire et notre passé mais nous voulons aller de l'avant avec des valeurs de démocratie, de progrès, de paix». Entrevoit-il cependant une possibilité d'évolution du PJD ? «Au moment de la formation du gouvernement Youssoufi, indique-t-il, le PJD avait affiché une position de soutien sans participation. Puis, après deux ans, sous l'influence du Dr Khatib, ce parti a choisi d'être dans l'opposition. Depuis il n'a cessé d'avoir des positions négatives comme lors du vote de la loi sur les partis au Parlement où ses députés se sont abstenus.C'est là une réserve qui pousse à s'interroger quand on sait que c'est là une loi assez fondamentale. Où ce parti veut-il alors se situer ?». Qu'en est-il d'Al Adl Wal Ihsane d'Abdeslam Yassine ? «Ce mouvement est pris dans son ambiguïté. Il ne veut pas clarifier son choix d'être ou non dans le cadre de la légalité. Cela entraîne une situation bizarre. Al Adl n'a pas d'autre stratégie que celle du refus et en même temps de l'attentisme. Son idéologie et son discours n'ont rien d'original, déjà dans les années 30 il y eut en Palestine un mouvement qui s'appelait Attahrir et qui voulait rétablir le Califat, il a fini par péricliter. Comment est-il possible de nier l'histoire de notre pays et d'adopter une vision sans lien avec ses réalités ? Or notre histoire, depuis les Idrissides, s'était faite en rupture avec le Califat que ce soit celui des Abbassides ou celui des Ottomans. Lorsque le mouvement national a proclamé son attachement au titre de roi plutôt que de sultan, cela procédait d'une vision moderniste contre tout passéisme et cela a permis d'avoir un front solide avec la monarchie contre le colonialisme». Comment cela s'opère-t-il toutefois sur le terrain ? Elyazghi évoque le net recul de l'agitation des adlistes dans les universités et le regain de présence et d'activisme de la Jeunesse usfpéiste dans les campus. Le danger que couve l'attentisme hostile d'Al Adl Wal Ihsane est de faire le lit des extrémistes qui cherchent à recruter parmi ses adeptes. Aussi, pour Elyazghi, «l'essentiel est ailleurs». Le souci immédiat est de continuer sur la lancée du 7e congrès, préparer les congrès régionaux du parti d'ici à mars 2006, activer les travaux de ses commissions internes. La conviction ici entretenue est qu'il faut se mobiliser «pour faire avancer la dynamique des réformes continues et graduelles». Tout le reste en dépendra.