Exclusif. Entretien avec l'opposant algérien Yahya Abou Zakaria Dans cette interview que nous a livré l'écrivain, journaliste et chercheur algérien du Centre des études stratégiques de Stockholm et réfugié en Suède, Yahya Abou Zakaria jette la lumière sur la réalité du conflit du Sahara marocain, comme il parle objectivement des efforts consentis par certains lobbies algériens pour bloquer toute possibilité à surmonter les problèmes et normaliser les relations bilatérales. Encore une fois, une certaine presse algérienne aura tout loisir de lancer de faux démentis, comme celui concernant l'interview du Colonel Mohamed Samraoui publiée sur ces mêmes colonnes, qui a lui-même confirmé et l'entretien et les propos accordés à La Gazette du Maroc. La Gazette du Maroc : pourquoi pensez-vous que le président Bouteflika a voulu surprendre ses interlocuteurs en tenant ses propos sur le Sahara marocain sachant qu'un accord fut passé entre lui et le Roi Mohammed VI pour éviter ce sujet durant les rencontres et sommets régionaux ou internationaux et se référer à une résolution sous l'égide des Nations Unies ? Yahya Abou Zakaria : il est désolant en effet de voir la situation se dégrader à nouveau entre le Maroc et l'Algérie après un léger éclaircissement dans leurs relations bilatérales suite à la participation de S.M le Roi MohamedVI au sommet arabe qui s'est tenu à Alger et qui fut couronné par un tête-à-tête jugé positif et prometteur entre le président Bouteflika et le Roi du Maroc, et sur la base duquel il aurait fallu jeter les fondements d'un nouveau départ afin d'endiguer les différends qui opposent ces deux pays frères . De fait, il est clair que le sommet maghrébin qui devait se tenir à Tripoli en Libye n'a encore réuni ni les conditions nécessaires à son succès ni les raisons pouvant motiver sa tenue. Car l'échec des dirigeants maghrébins devant la situation intérieure de leurs pays respectifs n'augure rien de bon à l'échelle du Maghreb Arabe. Aussi, rien n'assemble ces pays au niveau officiel, à tel point qu'un rapprochement maghrébo-israélien paraît plus probable qu'un rapprochement inter-maghrébin. Le gouffre séparant le Maroc et l'Algérie quant à lui date d'un quart de siècle, les retombées négatives de l'antagonisme opposant la Libye à la Mauritanie sont loin de s'estomper et Nouakchott n'a eu de cesse d'accuser la Libye supposée impliquée dans un complot ou coup d'Etat visant à renverser le pouvoir. La Tunisie enfin cherche la consolation à tous ses maux en Israël. Tout raffermissement même relatif dans les relations maghrébines, spécialement maroco-algériennes, c'est soldé par un échec et regain de tension quasi-instantané, le Sahara étant apparemment un point sur lequel ni le Maroc ni l'Algérie ne sont près à faire de concessions, il est inutile et même impossible de parler de développement ou autre dans cette région, du moins pas avant une résolution permanente du conflit. Le dossier des relations maroco-algériennes étant à la fois épineux et complexe, il aurait été plus sage de la part du président algérien d'éviter de faire la sortie (médiatique et politique) à la teneur que vous savez à quelques jours de la tenue du sommet maghrébin, surtout venant d'un diplomate de carrière, averti de l'impact que peut avoir une position ou un discours politique quelconque en provocant une crise ou en l'évitant . Il n'y a aucun doute sur les intentions du président Bouteflika qui pensait chaque mot qu'il a prononcé dans son message à Mohamed Abdelaziz, de même qu'il n'ignorait point le foyer de tension qu'il ravivait et l'embarras du Maroc face à ses propos, surtout après l'accord passé entre les deux dirigeants et sur la base duquel le dossier du Sahara ne saurait entacher leurs relations bilatérales. L'explication la plus plausible à cette sortie inattendue est que le président Bouteflika n'est malheureusement pas libre de ses décisions et choix politiques, de même qu'il n'est point le centre des actions stratégiques du pouvoir en place. Aussi je suis persuadé que le président ne fait que refléter la vision de l'institution militaire algérienne sur le dossier du Sahara occidental, d'ailleurs vous n'êtes pas sans savoir que Feu le président Boudiaf a payé de sa vie sa tentative d'échapper à l'influence et au contrôle des militaires en étant assassiné de sang froid devant les caméras. Le discours tenu par le président Bouteflika prouve donc que les relations maroco-algériennes sont aussi critiques qu'auparavant d'où l'impossibilité de parler de renaissance de l'union du Maghreb arabe à ce stade des événements. Quel avenir prévoyez-vous aux relations maroco-algériennes en particulier, et aux relations inter-maghrébines en général ? La région du Maghreb Arabe vit une situation instable, une situation à l'équilibre fragile risquant le pire à tout instant, et datant d'un quart de siècle. Le dossier du Sahara occidental a modelé les relations maroco-algériennes et inter-maghrébines en ayant des retombées néfastes sur la bonne marche de l'union. Même si les déclarations officielles émanant de Rabat et d'Alger laissant présager un éclaircissement, les déclarations officieuses, elles, ont sitôt fait de nous rappeler que la crise reste à l'ordre du jour. Tout comme Rabat accuse Alger de raviver les foyers de tension en insufflant une nouvelle vie au front du polisario et en l'incitant à reprendre les armes contre l'armée marocaine sans délai, les officiels algériens de leur côté accusent le Maroc d'apporter assistance et soutien aux groupes islamistes armés en aidant à effectuer des passages transfrontaliers entre le Maroc et l'Algérie, ce sont entre autres ces mêmes dossiers d'ordre sécuritaire qui ont gêné la normalisation et l'activation des relations bilatérales entre ces deux pays. Selon le point de vue algérien, Rabat ne cesse d'œuvrer à ce que le projet de création d'un état sahraoui dans la région de Sakia El Hamra et Rio de Oro (Oued Eddahab ) avorte, en mettant des bâtons dans les roues du processus onusien menant au référendum. Rabat à son tour avance que l'entité nommée polisario n'est autre que la création des services militaires algériens qui sous les directives du président Houari Boumediene ont drainé quelques étudiants sahraouis inscrits dans les universités algériennes, dont l'actuel président sahraoui, et les ont soutenus logistiquement, politiquement, financièrement et enfin militairement afin de créer le front de libération de la région de Sakia el Hamra et Oued Eddahab. Et à Rabat d'ajouter que l'histoire ancienne et contemporaine du Maghreb Arabe ne comprend aucune entité appelée Sahara occidental, au lieu de cela tous les documents historiques attestent de l'appartenance du Sahara occidental au Maroc. Le Maroc affirme aussi que ce dossier fait partie du legs colonial espagnol et français. Il est à rappeler que le Maroc ne reconnaissait guère l'indépendance de la Mauritanie qu'il considérait aussi comme son territoire, le défunt Roi Hassan II n'avait de cesse de réclamer la restitution de ces terres mauritaniennes d'où la prise de position de ces derniers en faveur de l'Algérie à l'époque de Houari Boumediene. Même le président Egyptien Feu Jamal Abdennasser souscrivait à la thèse marocaine, d'où encore l'opposition mauritanienne à la vision nationaliste arabe nassérienne en général. C'est donc ainsi que le bourbier saharien a pris forme et a continué à dessiner les courbes reflétant les relations inter- maghrébines, de telle manière qu'une équation politique a vu le jour au Maghreb Arabe, selon laquelle l'appui d'un des pays au polisario signifiait de facto un acte hostile au Maroc, de même que la non-reconnaissance du front du polisario par ces pays maghrébins signifiait un acte de foi envers le Maroc et d'hostilité envers l'Algérie. Et comme ces deux pays sont les plus influents de la région sur les plans géopolitique et démographique, deux pôles d'influence ont vu le jour, modelant le visage d'un Maghreb “déchiré“. Ensuite, les pays du Maghreb exaspérés par ce conflit sans fin se sont tournés vers d'autres horizons cherchant de nouveaux axes régionaux plus aptes à des relations bilatérales bénéfiques. Le colonel libyen Mouamar Kadhafi s'est consolé en cherchant de nouveaux partenaires en Afrique subsaharienne. La presse libyenne l'a même qualifié de leader incontesté du continent noir, alors que la Mauritanie a choisi de se tourner vers l'Etat hébreu. Quant à la Tunisie, elle s'est ralliée à la France avec la fin tragique du président Habib Bourguiba et de son long règne. Le fin mot dans cette histoire est que les relations maroco-algériennes en particulier et inter-maghrébines en général ne pourront se normaliser sans une résolution finale et permanente du conflit saharien. Pensez-vous que la communauté internationale va intervenir afin d'apaiser les tensions et éviter le pire? En fait, à l'heure où Paris cherche à s'enraciner dans la région pour servir ses intérêts économiques et culturels, Washington y renforce sa présence pour d'autres raisons, bien que les Américains ne restent pas indifférents aux richesses naturelles qui y abondent. Ainsi ces derniers priment une vision stratégique de cette région, certaines études américaines ainsi que le Magazine “Foreign Affairs“ appuient cette thèse allant même jusqu'à déclarer le Maghreb Arabe zone d'intérêt primordial pour les cercles de décision et le pouvoir à la Maison Blanche qui auraient réalisé une étude sur la manière pour en évincer la France. Certains observateurs attestent même que les années à venir au Maghreb Arabe seront américaines. Le président tunisien Ben Ali consolide jour après jour ses relations avec Washington au détriment des intérêts français, il a d'ailleurs achevé sa formation militaire aux Etats-Unis et dès son retour son influence n'a cessé de grandir alors que celle de Bourguiba, imprégnée de francophonie, n'a eu de cesse de diminuer. Le Maroc jouit des faveurs du Congrès américain qui l'a qualifié de modèle pour la région à l'heure où les médias de l'Hexagone (la France) accusent Rabat de bafouer les droits humains les plus élémentaires. Abdelaziz Bouteflika jouit du soutien officiel américain sur tous les fronts, d'ailleurs les manœuvres navales algéro– américaines se sont multipliées dernièrement. La normalisation des relations entre Nouakchott et Washington va bon train, expliquant le regain de tension avec Paris qui a incarcéré des ressortissants mauritaniens accusés d'atteinte aux droits de l'homme. Enfin la Libye apparemment plus proche des Américains aurait lié par le biais de ses services de sérieux contacts avec les services secrets israéliens qu'elle alimente en renseignements concernant certaines organisations palestiniennes précédemment implantées en Libye. L'Amérique fait main basse sur le Maghreb Arabe calmement mais sûrement, sous le regard passif de la France qui approuve justement un partenariat entre l'union Européenne et le Maghreb Arabe pour contrer les desseins de Washington dans la région. Cependant, il paraît improbable que la France réussisse au Maghreb là où elle a échoué ailleurs. Enfin, il est sûr que la communauté internationale, du moins certains pays impliqués de près ou de loin dans ce dossier, vont intervenir dans la région. En fait ils n'attendent que l'occasion propice, et d'ailleurs la volonté de Washington d'effectuer des manœuvres militaires au Sahara n'est pas étrangère au dénouement d'événements actuels dans la région. Rabat et Alger ont vivement intérêt à mettre un terme à leurs différends afin d'éviter une internationalisation du dossier saharien, qui aurait des retombées négatives sur les intérêts des deux pays. En même temp qu'elle hausse le ton de sa diplomatie et choisit la confrontation, l'Algérie multiplie ses achats en logistique d'armement sophistiqué, pensez–vous que ces derniers développements mettent en péril la stabilité de la région ? La situation frontalière entre le Maroc et l'Algérie est on ne peut plus critique. Aussi toutes les données pouvant susciter un éclatement sont réunies, il ne suffit plus que d'une décision irréfléchie pour incendier la région, puisse Dieu maudire celui qui l'incendiera. La logique politique veut que dans le cas où le dialogue ouvert, ainsi que les relations politiques et diplomatiques échouent, les armes se feront entendre à Dieu ne plaise surtout lorsque nous savons que le front polisario vient d'être réequipé en armement lourd, léger et autre, pour cette unique raison. Sachant que les bases arrières du front Polisario se trouvent sur le territoire algérien, un conflit armé poussera certainement le Maroc à contrer les attaques du front sur le sol algérien (Tindouf), ce qui voudrait dire une guerre totale entre le Maroc et l'Algérie (à Dieu ne plaise). Il est donc nécessaire de rappeler aux dirigeants algériens et marocains qu'ils sont responsables devant le Tout Puissant, l'histoire, et leurs peuples de tout dérapage sécuritaire pouvant faire basculer la région dans un bain de sang aux conséquences désastreuses. Ils doivent aussi mettre un terme à leur course effrénée à l'armement qu'ils se procurent de divers axes d'intérêts dont certains n'attendent que le moment propice pour établir une régence dans la région. Les Algériens avancent qu'ils ne sont pas impliqués directement dans le conflit du Sahara au moment où ils soutiennent le front du Polisario en lui offrant refuge et aide politique, diplomatique, militaire, financière et autre. Ne voyez-vous pas dans ces propos une contradiction flagrante avec la réalité ? Il n'y a pas de doute sur le fait que le front du Polisario est fortement soutenu par l'Etat algérien qui a adapté et fait sien le projet d'Etat sahraoui dans tous ses détails, voire même la planification de sa ligne de conduite (politique), en plus d'épauler le front dans de multiples rencontres régionales et internationales. Aussi est-il sûr que sans l'Algérie le Polisario n'aurait jamais vu le jour. Autant l'Algérie affirme ce fait, autant le front Polisario le confirme, d'ailleurs le plus grand soutien demeure avant tout la présence du front sur le sol algérien. Le Front ne nie guère cette aide, il s'en vante plutôt, et déclare même que ses membres se déplacent de par le monde en utilisant des passeports et documents de voyage algériens . Tant que le front luttera pour un Etat sahraoui, il bénéficiera du soutien inconditionnel de l'Algérie , malgré les déclarations d'Alger de laisser l'ONU légiférer là-dessus. Comme précité ni le Maroc ni l'Algérie ne veulent faire de concessions sur ce dossier, qu'il est impératif de résoudre pour éviter d'incendier la région. Quel est d'après vous le meilleur moyen de résoudre ce conflit ? Comme je vous l'ai dit, il est impossible de parler de normalisation des relations entre le Maroc et l'Algérie sans une résolution durable du conflit, et le plus grand obstacle pouvant entraver cette résolution est comme je ne cesse non plus de le répéter le fait que ni le Maroc ni l'Algérie ne sont près à faire de concessions sur ces terres sahariennes que le Maroc voit siennes de fait et que les stratèges algériens veulent contrôler à tout prix. La normalisation des relations maroco- algériennes passe donc par la clôture définitive de ce dossier qui occasionnera certainement la fonte des glaces relationnelles entre ces deux pays. La meilleure façon d'arriver à une résolution durable est l'ouverture de dialogues sérieux et de bonnes intentions entre le Maroc et l'Algérie d'une part, et entre le Maroc et le Polisario d'autre part. Dans ces dialogues doit primer la clarté, de même qu'aucun dossier ne doit rester en suspens, sans faire appel à la tutelle d'un pays étranger. Auquel cas, cela pourrait avoir des retombées négatives sur les intérêts du Maroc et de l'Algérie.