Interview exclusive Ibrahim Benchekroun, rescapé de Guantanamo Suite à l'interview de Mohamed Mazouz (Voir LGM du 11 avril 2005), un autre pensionnaire de Guantanamo, paru dans la Gazette du Maroc, où il a révélé les exactions des soldats américains entre torture, profanation du Coran et viols des détenus, un grand débat a vu le jour. Aujourd'hui, c'est son compagnon de réclusion, Ibrahim Benchekroun qui apporte son témoignage pour jeter la lumière sur les déclarations du magazine NewsWeek qui a lancé un pavé dans la mare en Amérique en révélant les dérapages des responsables US à Guantanamo, avant de se rétracter sous les pressions de la Maison Blanche. Retour sur un scandale américain. La Gazette du Maroc : avez-vous été témoin de la profanation du Coran par les soldats Américains à Guantanamo, Bagram et Kandahar ? Ibrahim Benchekroun : Oui, je suis témoin devant Dieu que c'est arrivé à plusieurs reprises. Aussi, voudrais-je expliquer que cette histoire de profanation ne date pas d'hier, ni d'un passé très récent. Il faut que le monde entier sache que ceci dure depuis 2001, à partir des attaques américaines en Afghanistan. Je tiens à préciser ici que pour les autorités américaines, la profanation du Coran a été l'un des moyens les plus féroces de torturer les prisonniers musulmans. Un outil de torture, un moyen de pression pour nous achever sur les plans moral et psychique sachant que le Coran est notre livre sacré et pour lequel nous sommes prêts à donner nos vies. Quand avez-vous vu directement les soldats américains profaner le Coran ? La première fois que j'ai été témoin oculaire d'un tel fait remonte au lendemain de mon incarcération à Bagram. C'était au début de 2002. Les soldats américains faisaient des fouilles dans nos tentes à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit. C'est là que je les ai vu déchirer le Coran, le jeter par terre, l'écraser de leurs brodequins, écrire des mots comme “Fuck” sur les versets coraniques ou alors le jeter dans les seaux qui nous servaient de toilettes remplies d'urine et de déchets, car à Bagram, nous n'avions pas de latrines mais des seaux pour nos besoins. C'est là d'ailleurs qu'un des détenus, Marocain de nationalité qui maîtrisait l'anglais, a protesté en leur expliquant que c'était le livre sacré de toute une “oumma” qui compte plus d'un milliard de fidèles. Il leur a démontré dans un parfait anglais qu'il ne fallait pas réserver un traitement aussi irrespectueux au Coran. Même si les soldats ignoraient l'importance du Livre pour nous, après les explications de ce Marocain, les choses étaient claires. Pourtant, les militaires ont redoublé de férocité et de sauvagerie à l'égard du Coran. Et toute contestation était récompensée par l'isolement, des coups, la torture et des menaces de mort. La ronde de la profanation avait pris forme et presque chaque jour, le Livre sacré était foulé aux pieds, déchiré ou jeté parmi les détritus. Selon nos informations, c'est à Kandahar que la profanation du Coran a été la plus structurée et institutionnalisée ? Sans exagération aucune, les actes de profanation du Coran ont eu lieu tous les jours sans exception. Dans chaque tente qui nous servait de cellule, nous étions presque quinze détenus. À notre arrivée, les soldats nous avaient donné à chacun un Coran non pas pour qu'on lise des versets pour notre apaisement ou pour jouir d'un quelconque droit, mais pour les utiliser contre nous. Et nous en avons eu la preuve tous les jours à Kandahar. Nous en sommes arrivés à supplier les soldats de nous torturer, de nous lyncher mais de laisser le Coran en paix, mais rien n'y faisait. Leur cible, c'était le Livre, et ils inventaient des méthodes sophistiquées pour nous écraser et nous humilier. Il y en a parmi nous qui se sont pendus en attentant à leurs vies pour pousser les responsables américains à cesser ce genre d'actes. Et je peux vous certifier qu'il n'y a pas un seul détenu qui a été à Kandahar qui peut dire le contraire. Nous avons tous vu, de nos yeux, les militaires salir le Coran. Pourtant aujourd'hui les médias américains se rétractent et disent que ces actes n'ont jamais eu lieu. Et comment pouvez-vous expliquer que tous les prisonniers qui ont été relâchés depuis de Guantanamo ont dit exactement les mêmes choses. Nous ne nous sommes pas donnés le mot pour répéter au détail près ce qui s'était déroulé sous nos yeux. Nous avons tous été détenus et pour la plupart, nous ne sommes jamais vus ni rencontrés, mais chacun a témoigné de la vérité qu'il a vécue et c'est cette profanation comme Mohamed Mazouz l'a décrite et tant d'autres venus d'Afghanistan, du Pakistan, d'Arabie Saoudite, de Suède ou d'Angleterre qui revient sur toutes les langues. Nous ne pouvons pas nous mettre d'accord sur un mensonge comme l'atteste aujourd'hui la Maison Blanche. Ils savent ce qui s'est passé et se passe encore à Guantanamo où le Coran a fait l'objet de toutes les bassesses et le monde musulman se doit de réagir pour redresser ce tort. Car, si nous passons sous silence un tel outrage, ils pourront aller plus loin demain. Nous demandons réparation et que la vérité soit révélée pour que le monde sache que c'est l'islam et les Musulmans qui sont ciblés par la haine des autorités américaines. Et j'ajoute que ce qui se passait à Guantanamo ne pouvait pas être des actes isolés, des initiatives individuelles. Non, les supérieurs le savaient et surtout le général qui dirigeait la base de Guantanamo qui lui non plus ne pouvait pas agir de son propre chef. Je peux aisément affirmer que le Pentagone et la Maison Blanche ont donné leur feu vert à tout ceci vu que les soldats nous disaient qu'ils étaient là pour se venger de nous et que notre Coran était le livre du terrorisme. “Des soldats ignorants” “Il y avait plusieurs catégories de soldats américains. Evidemment ceux qui exécutent les ordres et y mettent du leur. Du zèle pour humilier, torturer et mettre la pression. Ceux-là, nous l'avons appris avec le temps, venaient de la côte est, de New York et de Washington. Les plus féroces et les plus ignares. Ils mettaient du cœur à l'ouvrage pour souiller l'image de l'islam et écraser les Musulmans. Ils démontraient toute leur haine de façon ostentatoire en nous disant qu'ils étaient là pour se venger de nous. Il n'y a pas plus clair comme discours de haine. Ils en voulaient non seulement à nous en tant que prisonniers alors que nous sommes innocents, mais surtout à notre religion parce qu'ils disaient que le Coran incitait au terrorisme et ils le considéraient comme le responsable. Malgré nos explications, ils redoublaient d'efforts pour profaner le Coran et nous pousser à la folie. Et dans tout ceci, nous avons tous touché le degré d'ignorance et de stupidité des soldats américains, qui non seulement étaient tous lâches et incapables, mais ils ne savaient rien de rien. Pouvez-vous imaginer qu'ils ignoraient tout sur l'Afghanistan alors qu'ils sont venus en occupants! Devant leurs lacunes, il y avait la violence et les humiliations comme code de conduite”.