Assises nationales sur le chômage Bien qu'il soit l'un des problèmes majeures de la société, le chômage est resté tout au long de plusieurs décennies, le parent pauvre du débat national. Il est prévu qu'il sera au cœur des discussions des assises nationales qui sont annoncées pour le mois courant. Enjeux. Pris en tenaille entre un tissu économique limité et une fonction publique saturée, les jeunes en chômage n'ont actuellement qu'une issue : espérer ou protester. Les grandes tendances de l'emploi et de la croissance ne promettent, non plus, rien de meilleur. Chaque année, des milliers de jeunes, diplômés ou non, arrivent sur le marché du travail, sans pourtant trouver embauche. Presque en panne d'imagination, sinon de moyens, le tissu économique marocain reste incapable d' intégrer cette armée annuelle qui constitue au demeurant un défi sans précédent guettant la société marocaine. Inquiétude Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le premier problème de la jeunesse du pays, le chômage, affectent selon les statistiques officielles, 16 % des jeunes contre 12 % à l'échelle nationale. Plus significatif encore, 62 % de ces "jeunes occupent des emplois non rémunérés et plus de 23 % parmi ceux qui sont de sexe féminin, n'étant ni à l'école ni employées, sont classées femmes au foyer, faute de se déclarer parmi les demandeurs d'emploi". Selon les données récemment révélées après étude par le Haut-commissariat au plan. Un exemple plus qu'éloquent : sur les quelques 420.000 emplois créés au cours de la dernière année, seuls 30 % sont rémunérés dont 126.000 en milieu urbain contre 310.000 dans le monde rural. Selon le dernier rapport du HCP toujours, on estime la population active en chômage à 1.282.000, contre 1.200.000 l'année précédente, soit une hausse de 6,7 %. Les zones urbaines sont plus affectées que les zones rurales : 19,3 % contre 3,3 %. Autre constat : les jeunes de 14 – 24 ans sont les plus exposés au chômage dans les zones urbaines. Alors que dans le monde rural, la tendance fluctue de façon significative en fonction de l'activité économique, intimement liée à la pluviométrie. Outre cette différence, par milieu de résidences, on constate que plus le niveau de l'éducation et de la formation est élevé, plus le taux de chômage augmente. Ainsi, il est de 7,7 % pour les non-diplômés, de 28,1 % pour les diplômés de niveau moyen et de 61 % pour les diplômés de niveau supérieur. Paradoxes Le rapport de la formation universitaire ou autre et l'emploi ne constitue pas le seul aspect paradoxal de la situation actuelle. L'inadéquation des systèmes d'éducation au marché de l'emploi est certes l'une des tares, presque congénitales de la stratégie nationale en la matière, il n'en demeure pas moins que l'Etat reste, à tort, l'unique espoir de ces jeunes en détresse. Pour les diplômés chômeurs, en grogne permanente, seule l'intégration dans l'administration publique est à même de résoudre leur problème. Or, l'Etat procède, depuis bientôt deux mois à un "dégraissage du mammouth" qu'est la fonction publique. Au départ volontaire prôné par les autorités publiques, les jeunes chômeurs répliquent par "l'instabilité du secteur privé". La méfiance s'installe, en dépit de la volonté politique affichée pour trouver la solution à l'épineuse question de l'emploi. C'est sur ce paysage de méfiance souvent émaillé de protestations et surtout de bras de fer entre chômeurs et force de l'ordre que se pose la question de la croissance. Enjeu Parent pauvre de la politique nationale, le débat sur l'incidence de la croissance sur l'emploi a été, pour des raisons de première importance sans doute, sacrifié au profit de la construction institutionnelle. Quatre décennies après l'indépendance, tous les acteurs –Etat, partis et syndicats confondus- sont rattrapés par la question. Phénomène planétaire, certes, le chômage est, pour un pays comme le nôtre en quête de développement, la "grande échéance" qu'il se doit de réussir. Or, la croissance restée sur un mouvement économique de longue durée (trend) de 3 %, n'est pas en mesure de relancer la dynamique de l'embauche. "L'esprit est prompt, mais la chair est faible", répondent les différents acteurs. Pénalisée par un endettement au-dessus de ses forces, fortement tributaire des aléas de la nature, la croissance a mal dans ses moyens. D'où un niveau de développement en deçà des attentes de la population, en matière d'emploi en premier lieu. Avec son corollaire, la nécessité d'une forte dose d'investissement, privé surtout. Et ce, afin d'atteindre un niveau de croissance autre que celui maintenu actuellement. Toutefois, les études les plus optimistes prévoient, en effet, un taux de chômage supérieur au taux actuel, dans le cas où le taux de croissance reste le même. Or, un seuil plus élevé (de l'ordre de 5 à 6 %), requiert, selon des études de la CGEM elle-même : " un taux d'investissement avoisinant les 28 % du produit intérieur brute (PIB)". Dans le même ordre d'appréciation, l'Etat doit cesser de jouer " l'investisseur en chef", réduire son train de vie et entamer une lutte contre la corruption et la bureaucratie, conditions incontournables pour insuffler vie et confiance à l'acte d'investir. Taxés de frilosité, les investisseurs nationaux sont à la fois méfiants et pris de cours. Malgré le maintien des grands équilibres, le désengagement parfois stratégique de l'Etat de certains secteurs générateurs de richesse, les mesures de modernisation de l'administration, le conseil de concurrence de l'aménagement de l'espace, etc… la politique de la mise à niveau somme toute vitale aussi bien à l'existence de l'entreprise qu'à sa combativité, n'ont pas eu les effets escomptés. Explication de la classe entreprenariale: la corruption, la contrebande et le secteur informel créent une atmosphère étouffante, sinon asphyxiante de toute dynamique entreprenariale visant, en fin de compte, la création de l'emploi. Un nouveau palier de croissance exige également une concurrence "loyale" profitant aux PME et PMI, en tant que premières sources de l'emploi. À cet égard, les acteurs économiques voient d'un mauvais œil les positions dominantes de groupes puissants aux tailles dommageables pour l'épanouissement de l'entreprenariat. En un mot : l'emploi ne saurait exister là où il y a des rapports de passe-droit ou de méfiance. Que faire L'emploi n'est pas uniquement une question de ressources économiques. Si l'emploi, selon la commission économique des Nations Unies occupe au Maroc la première place dans les attentes des Marocains, c'est parce qu' il est devenu, depuis les attentats du 16 Mai, une question d'ordre politico-spatiale qui interpelle tous les Marocains : l'Etat certes, mais les partis politiques et les syndicats. L'enjeu est de taille. Loin de prétendre à trouver la potion magique, les assises nationales se devraient d'être le début d'un intérêt, institutionnalisé et concerté cette fois, porté à la question du sens de la politique. Et du civisme, également.