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Le doute et le désenchantement
Publié dans La Gazette du Maroc le 03 - 06 - 2002


Elections législatives 2002
Les élections législatives algériennes du jeudi 30 mai 2002 ont eu un seul et vrai vainqueur : le parti national des abstentionnistes, mené par la Kabylie. Sur les dix-huit millions d'inscrits, seuls moins de 47 % ont jugé bon de se déplacer dans les bureaux de vote pour mettre leur bulletin dans l'urne.
Cela contraste, pour le moins, avec ce qui s'était passé une semaine auparavant en Tunisie. Le président Zine-Abidine Ben Ali obtenait un blanc-seing pour sa réforme de la constitution, permettant notamment le renouvellement à plusieurs reprises des candidatures à la magistrature suprême – avec pour seule limite “l'âge du capitaine” : 75 ans…
Les moins de 47 % de votants algériens font pâle figure face aux 96,59% de Tunisiens qui n'ont pas rechigné, selon les chiffres officiels, à mettre leur bulletin dans l'urne pour dire “oui”, dans une proportion écrasante – à la “ totalitaire”, ironise-t-on ici à Alger – de 99,52 %.
Les situations des deux pays maghrébins limitrophes ne sont certes pas comparables, mais elles ont permis aux gouvernants et à leurs soutiens partisans d'argumenter en faveur de “la totale transparence” des opérations de vote en Algérie. La neutralité de l'administration serait prouvée sans conteste par ce chiffre, même si seulement la moitié du corps électoral a répondu à l'appel du président Abdelaziz Bouteflika et de ses amis comme de ses alliés.
Un boycott largement suivi
Le boycott de protestation contre une consultation qui ne profiterait, en fin de compte, qu'aux “islamistes assassins” et qu'aux “profiteurs rentiers corrompus et corrupteurs”, aura donc été largement entendu. Massif en Kabylie (moins de 2 % à Tizi-Ouzou, moins de 4 % à Béjaïa), l'abstention des Algériens résidant à l'étranger aura été de 80 %. Et, à eux deux, ces groupes potentiels d'électeurs, s'ils avaient été plus actifs, auraient pu augmenter la moyenne générale de 4 à 6 % au moins, soulignait placidement le ministre de l'Intérieur, Mohamed Yazid Zerhouni, lors de la conférence de presse traditionnelle qu'il a tenue au moment où se déroulait le match France-Sénégal, à l'occasion de la Coupe du monde de football.
Sans commentaires superflus, il a signalé que ce sont “les violences, les menaces et les autres formes de pressions illégales, à défaut d'argumentations politiques ou rationnelles” qui ont empêché les Kabyles de rejoindre leurs compatriotes dans l'élan participatif. Les forces de sécurité, qui ont eu à déplorer 108 blessés, dont une cinquantaine dans un état grave, ont dû recourir à la fermeture de la majeure partie des bureaux de vote, “ne pouvant contenir les attaques réitérées des manifestants, tous connus et identifiés, qui usaient de pierres, d'armes blanches et de cocktails molotov. ”
Les qualificatifs les plus durs furent employés par le ministre à l'encontre de “ces meneurs sans scrupules, manipulant des adolescents, alors même qu'ils mettaient leurs propres enfants en lieu sûr”. Des pyromanes, des lâches, des monstres, des saboteurs du système démocratique, voilà ce que seraient les activistes militants des “ourouch” et des diverses coordinations inter-wilayas de la Kabylie, aux yeux d'un ministre connu pour son caractère d'homme à poigne, sans état d'âme. De surcroît, il est un fidèle lieutenant du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, qui, pour sa part, a mené une campagne trépidante pour appeler les citoyens à accomplir leur devoir d'électeurs et couper court aux velléités d'abstention.
Le président a pris garde de ne pas donner l'impression de s'impliquer dans la bataille purement politicienne par un soutien à son ancien parti, le Front de Libération Nationale. Parti aujourd'hui aux mains de son Premier ministre, Ali Benflis, de plus ou moins bonne réputation.
Son souci, répétait à l'envi le président, était seulement de veiller à ce que les dispositions de la constitution soient appliquées “dans l'esprit et la lettre, pour faire honneur à l'Algérie et aux Algériens”.
Mais, quand on sut que le F.L.N avait obtenu (haut la main ?) la majorité absolue à la chambre, c'est-à-dire 199 sièges sur 389, les deux compères, Bouteflika et Benflis, pédalant sur le même tandem, ont été servis avec une redoutable efficacité par la machine Zerhouni.
Les pronostics et les sondages, ainsi que les supputations populaires, ne se sont pas trompés : la première place était acquise au FLN. Et c'est là que la vieille pratique de la fraude et de la manipulation devait faire son œuvre, malgré la vigilance supposée des 500.000 scrutateurs.
Le F.L.N en est sorti revigoré et souverain : il pourra prétendre, grâce à sa majorité absolue, constituer seul le nouveau gouvernement sous la direction probable d'Ali Benflis. Mais est-ce vraiment dans l'intérêt de ce parti de se couper de toute la classe politique, de l'opposition d'hier et de ses alliés d'avant le 30 mai dernier ? Ne serait-ce que pour s'ouvrir aux autres espaces de la scène politique (islamistes modérés, démocrates centristes, transfuges des appareils administratifs et bureautiques d'antan, franges libérales, etc.). Le président Bouteflika répugnera probablement à approfondir la tendance générale à la crispation qui causerait rapidement une blessure difficilement cicatrisable. Un risque que ne voudrait en tout cas pas prendre un homme en quête, dans moins de deux ans, d'un second mandat.
La balle est aujourd'hui dans le camp du locataire du palais de la Mouradia, car la nomination du chef du gouvernement comme la composition de l'équipe ministérielle est de son seul ressort. On le sait attaché par calcul à ce que se perpétue “le système de la conjugaison des efforts de la classe politique avec l'arc le plus grand possible”. Ce qui signifierait que personne, a priori, ne serait écarté, y compris les repentis et autres réfractaires, à condition qu'ils se rallient aux conceptions présidentielles fondamentales de “la gestion démocratique et libérale” du pays.
Tout cela reste hypothétique. Parce qu'on voit mal, pour le moment du moins, ce qui pousserait le rassemblement national démocratique d'Ahmed Ouyahia, principale victime du scrutin législatif de la semaine dernière, à afficher sa sérénité, alors qu'il a perdu le gros de ses troupes à la chambre, passant de 155 sièges à 48 seulement. Faire bonne figure, accepter la déroute et se contenter d'être le nain auxiliaire de ce F.L.N., qu'il devançait allègrement, n'est pas pour doper le moral des militants du R.C.D, qui crient déjà au complot.
Pour les autres, tous les autres qui formaient les composantes du gouvernement, la déconvenue est manifestement rude. Non que ces formations se déclarent déçues – ce qui serait légitime, tout compte fait- mais elles poussent à l'unisson des cris d'orfraies. Leurs leaders affirment avoir été volés et se prévalent du triple ou du quadruple des scores dont ils ont été dotés par le ministère de l'Intérieur et des collectivités locales. Les “zéro siège” vocifèrent et vitupèrent “le pouvoir malhonnête” qui les a frustrés d'une présence, même symbolique, sur la scène politique pour cinq longues années –sans espoir concret de rattrapage à l'occasion des partielles éventuellement décidées par le Conseil constitutionnel que préside, depuis quelques jours, le juriste bien connu des Marocains Mohamed Bedjaoui.
Les recours auront peut-être lieu dans quelques cas. Sauf que la Kabylie ne verra sûrement pas d'annulation pour toutes ses wilayas, la loi ne prévoyant aucun seuil minimal pour la validation de la participation, mais seulement pour le pourcentage recueilli en nombre de voix exprimées.
Reste que le prochain Parlement semble frappé du péché d'“illégitimité” aux yeux de larges pans de l'opinion publique nationale, au point que certains se demandent avec sérieux si l'avenir proche de l'Algérie n'est pas obéré par ce “ballottage” inédit depuis l'indépendance. Le “fiasco” —54 % de ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales ayant boudé les urnes— est lourd de menaces ou, du moins, contribuera à nourrir le sentiment d'angoisse généralisée. En ces temps incertains de morosité, la presse algérienne arabophone et francophone ne se fait pas faute, par sa virulence et quelquefois ses outrances, de jeter de l'huile sur le feu, contrastant singulièrement avec “les voix de son maître” que sont les para-officiels “Chaâb” et “Al Moudjahid”, battus en matière de mièvrerie flagorneuse par la télévision, surnommée “l'Unique”.
Un mandat à blanc
Les plaintes longues et persistantes s'étalent, incisives, sur toutes les colonnes des quotidiens et des hebdomadaires, pour fustiger un président qui accomplit péniblement “un mandat à blanc” et qui n'aurait rien fait pour son pays, sinon l'enfoncer davantage dans la crise et le chaos. En quelque sorte, Abdelaziz Bouteflika donnerait l'image d'un otage consentant et éclairé des “décideurs”, mot par lequel sont désignés les membres de la haute hiérarchie militaire. Il est vilipendé pour sa politique de “concorde nationale” qui innocente les islamistes assassins, les terroristes et les criminels qui ont mis l'Algérie à feu et à sang depuis un peu plus d'une décennie.
Mais surtout, on reproche au président de ne rien entreprendre contre “les mafias politico-financières” qui entretiennent la gabegie, le népotisme et les passe-droits. Le vaste chantier annoncé par le président Abdelaziz Bouteflika pour éradiquer les pénuries, les exclusions, les marginalisations, le chômage, les déperditions scolaires, les activités parasitaires, la corruption, ainsi que la déliquescence rampante, n'aurait donné lieu qu'à de pauvres mesures cosmétiques. Désillusion sûrement trop fantasmée et sciemment entretenue, surtout par les nombreux ennemis ou adversaires de l'ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumédienne.
Cette cohorte composite a été renforcée par “le groupe des quatre”, composé du général en retraite Rachid Benyallès, du leader du mouvement néo-islamiste (non autorisé), l'ancien ministre Ahmed Taleb Ibrahimi, de l'ancien président de la Ligue de défense des droits humains, Me Ali Yahia Abdenour, et du chef historique du Front des forces socialistes, Hocine Aït Ahmed. Ce quatuor, qui reçoit l'appoint appréciable d'autres personnalités –on murmure même les noms du prédécesseur de l'actuel président, le général Lamine Zéroual, et, plus timidement, celui de l'actuel ministre d'Etat chargé de la justice, Ahmed Ouyahia-, harcèle quotidiennement et sans aménité un Bouteflika qu'ils pensent le dos dans les cordes et auquel il est plus que temps de donner l'estocade finale.
L'observateur un tantinet objectif ne saurait toutefois adhérer à de telles conjectures. Certes, l'actuel chef de l'Etat a vu son pouvoir de séduction s'éroder considérablement, son image internationale s'écorner, sa liberté de manœuvre s'amoindrir, son influence politique décliner, mais il n'en demeure pas moins capable de rebondir, en en surprenant plus d'un. Attention de ne pas vendre la peau de l'ours avant que de l'occire ! D'autant que de nombreuses puissances, au Maghreb, en Europe, (et la France en premier), en Amérique, en Afrique et au Proche-Orient arabe, continuent à miser sur lui et ne sont pas prêts, jusqu'au nouvel ordre, à lui ménager leur soutien. L'appui sans équivoque des observateurs officiels commis par les Etats-Unis et par l'Union européenne s'est déclaré au grand jour le 30 mai dernier, ceux-ci affirmant que le scrutin avait été “normal, transparent et conforme aux règles universelles des droits de l'Homme”.
Cela n'empêche pas que l'avenir, comme dit plus haut, s'annonce incertain. Les abstentionnistes jusqu'au-boutistes qui ne prônaient absolument pas le report des élections, mais bien le rejet pur et simple de tout le processus, se sentent aujourd'hui portés par cette “première victoire sur le régime”. Ils n'en resteront pas là et voudront infliger d'autres défaites au système en place, sans compromis ni tergiversation. Les plus accommodants eux-mêmes ne se contenteront plus, désormais, de réclamer des quotas, mais rejoindront les plus radicaux, sans penser à faire l'économie d'une vraie crise institutionnelle dont la vertu serait de tout changer de fond en comble.
La persistance des maquis du G.I.A., la résurgence d'un terrorisme urbain de type nouveau et l'inquiétude du citoyen moyen sont des phénomènes aggravants pour “cette situation particulière que vit l'Algérie”, pour reprendre l'euphémisme employé par le ministère de l'Intérieur devant les journalistes. Il est sûrement un fait qu'on ne peut ignorer : l'Algérie n'en est pas à une phase terminale de sa période de terrorisme, quoi qu'en dise la thèse officielle. “Le dernier carré” des desperados est formé d'individus déterminés, parce qu'endurcis par de longues années de guérilla dans des conditions de (sur)vie exceptionnelles. Résiduel, mais par rapport à quoi donc ? Et puis cette véritable guerre civile – même si elle ne dit pas son nom— qui s'allume et ravage la Kabylie, comment l'éteindre pour empêcher que la haine s'installe dans les cœurs ?
Il faut certainement commencer par éradiquer les ingrédients de la discorde nationale et faire en sorte que, naturellement, les enfants de l'Algérie –tous unanimes- regardent enfin dans la même direction. Cette voie passe par les diverses transitions que sont l'humanisme, la tolérance, la démocratie et… l'ardeur féconde.
Ce prix, il faut le payer.
Assemblée nationale populaire algérienne 2002
• Total des députés : 389
• Listes des sièges :
FLN :199
RND :48
Islah :43
Hamas :38
Indépendants :29
Parti du Travail :21
FNA :8
Nahda :1
PRA :1
MEN : :1
14 partis politiques n'ont obtenu aucun siège.


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