Blanchiment d'argent La nouvelle loi bancaire, le projet de loi sur le blanchiment d'argent de même que la réforme initiée par la Banque centrale entendent traquer l'argent sale. Cependant, le laxisme antérieur a permis aux revenus douteux de prendre racine dans les banques. Arrivera-t-on à les déloger ? L'actualité s'est faite l'écho de l'imminente adoption de la loi sur le blanchiment. Pour autant, ce n'est pas la première fois que le gouvernement s'attaque à l'argent dont la source est illicite. Le code pénal ainsi que la loi contre le terrorisme s'y sont déjà attelés. Aussi, les déclarations de soupçon ont été instaurées dès décembre 2003 par la circulaire n° 36 de Bank Al-Maghrib (BAM). Selon ses termes, les banques sont tenues de fixer des limites pour chaque catégorie de clientèle au-delà desquelles une opération peut être suspectée. Et dès lors faire une déclaration de soupçon à BAM. La nouvelle a eu l'effet d'une bombe sur une clientèle qui commence à craindre une chasse aux sorcières. Sommes-nous à l'abri d'une opération mains propres du type qui rappelle le mauvais souvenir de la campagne d'assainissement de 1996 ? Lors de sa dernière sortie médiatique du 25 janvier 2005, Abdellatif Jouahri, gouverneur de BAM s'est voulu rassurant en annonçant que l'application de la circulaire n°36 n'a “pas eu d'incidence sur les dépôts” d'après les statistiques. Et d'ajouter, “la lutte contre le blanchiment de l'argent sale est devenue une règle qui s'impose à tous les pays. Pour éviter la mise à l'index, le Maroc travaille à la fois avec des organismes arabes et internationaux. Nous ne disons pas que tout mouvement est suspect. Chaque banque a une marge d'appréciation qui engage sa responsabilité. Le problème est de ne pas faire la chose et son contraire”. La circulaire laissait planer le doute dans la mesure où elle optait pour une définition large du terme “suspect”. L'article 15 stipule que les opérations suspectes sont celles “qui ne semblent pas avoir de justification économique ou d'objet licite apparent, portent sur des montants sans commune mesure avec ceux habituellement effectués par le client et se présentent dans des conditions inhabituelles de complexité”. Une lacune que la loi relative à la lutte contre le blanchiment se propose de combler. D'ailleurs, la nouvelle loi désavoue sur bien des aspects la législation antérieure. En effet, si la circulaire faisait une brève allusion aux intermédiaires professionnels, le projet de loi sur le blanchiment y consacre plus d'importance. Quand on sait qu'une société d'intermédiation boursière peut manipuler jusqu'à 1 milliard de dirhams par jour en placements, on est en droit de se poser des questions. Serait-ce la fin d'un mythe appelé secret bancaire? La préparation de la loi sur le blanchiment, de même que les différentes circulaires de BAM relatives au devoir de vigilance, aux règles prudentielles font partie de la mise à niveau du tissu bancaire marocain. Ceci conformément aux standards de Bâle II sur lesquels travaille une commission composée du GPBM, BAM, l'APSF et le Trésor. Ces normes resserrent les verrous du système financier en l'obligeant à appliquer des règles asphyxiantes. “Les normes de Bâle II seront mises en place dans le temps qui nous est imparti. Nous n'attendons pas puisque nous avons émis beaucoup de circulaires relatives à la traçabilité et à la gestion des risques clients”. Dixit Abdellatif Jouahri. Le gouverneur de Bank Al-Maghrib se dit flexible dans l'application de certaines règles : “J'applique la loi sans trop de rigueur. Il m'est arrivé d'accorder des reports mais pas indéfiniment sinon cela devient du laxisme. Si quelqu'un veut me coller cette réputation, libre à lui, c'est tant mieux du moment que cela me permet d'éviter des crises financières”. Cela ne le prémunit pas d'être critiqué par rapport à sa volonté de mettre rapidement les banques marocaines en conformité avec les normes de Bâle II. “Il veut aller plus vite que son ombre en forçant la mise à niveau du système bancaire marocain sur des axes non-prioritaires”, lance pour sa part un opérateur financier. Pourtant, la pression vient d'en haut. Selon une source au ministère des Finances, Jouahri “ne fait qu'activer un processus qui va dans le sens du contrôle de tout argent pouvant servir à des actes de terrorisme”. A en croire le chef d'une agence bancaire de la banlieue de Rabat, il arrive que certaines banques adoptent des procédures contraires aux normes en vigueur. Elles peuvent se transmettre, via des circuits informels, certaines informations censées relever du secret professionnel comme l'historique du compte d'un client. Bank Al-Maghrib n'est qu'une petite pièce dans la nouvelle machine de répression du blanchiment. Tous les intervenants qui peuvent avoir affaire à des mouvements de fonds seront impliqués dans la déclaration de soupçon, une fois la loi publiée dans le Bulletin officiel. Mais d'ores et déjà, les financiers considèrent que la période du laisser-aller qui a caractérisé la fin des années 90 est révolue à tout jamais. La volonté américaine s'est avérée plus forte que le plus puissant des réseaux du blanchiment. Encore faut-il nuancer en attendant la réplique des deux chambres du Parlement. Projet de loi L'Unité, un centre d'intelligence antiblanchiment 1 million DH. Un chiffre magique qui a suscité un débat houleux ces dernières semaines. Selon des informations parues, au-delà d'un dépôt d'1 MDH, la banque procède à un contrôle rigoureux de tous les paramètres pouvant renseigner sur un blanchiment potentiel d'argent. D'où sort ce chiffre ? Officiellement, aucune réponse n'est donnée. Officieusement, ce chiffre serait celui fixé après l'adoption de la loi sur le blanchiment de capitaux. Mais pour le moment, le seuil de vigilance n'est pas encore déterminé. Le projet de loi précise, en effet, que “les indications à porter sur la déclaration de soupçon ainsi que la nature et le montant minimum des opérations soumises à ladite déclaration, seront fixés par arrêté”. Mais d'ores et déjà, les inquiétudes commencent à gagner du terrain. Le chef d'agence d'une banque située dans le quartier des Roches Noires en témoigne : “certains de nos clients, opérant essentiellement dans le secteur informel commencent à nous matraquer de questions. Les consignes qui nous ont été livrées est d'être rassurants à toute épreuve”. Les indications à porter sur la déclaration de soupçon, ainsi que la nature et le montant minimum des opérations qui y sont soumises seront fixés par arrêté du ministre des Finances. Si l'écrit est fortement recommandé comme outil de communication, en cas d'urgence, la déclaration peut se faire même verbalement sous réserve d'une confirmation ultérieure par écrit à l'adresse de l'Unité. Créée sous l'autorité du ministre des Finances, elle aura à sa charge de traiter tout renseignement financier pouvant informer sur un mouvement de blanchiment. Y siégeraient entre autres des magistrats, des experts-comptables, des banquiers et des représentants de Bank Al-Maghrib. Selon une source au ministère de la justice, “des cadres du ministère suivent des stages de formation dans des pays où la loi sur le blanchiment d'argent est déjà entrée en vigueur. D'autres départements étatiques sont en outre concernés par cette formation”. Le Maroc emboîte ainsi le pas à son voisin algérien qui vient de se doter d'une législation en la matière. Une loi sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme vient en effet d'y être adoptée par le Conseil de la Nation algérien.