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Le grand coup tourne court
Publié dans La Gazette du Maroc le 15 - 11 - 2004

Démantèlement à Casablanca d'un important réseau de contrebande de cigarettes
L'actualité nationale a été marquée, la semaine dernière, par la saisie dans un dépôt à Casablanca, de plusieurs milliers de paquets de cigarettes provenant de la contrebande. La marchandise était en provenance des Emirats Arabes Unis à destination de Casablanca pour le compte de la société Belastra implantée à Laâyoune. Toute la bande des contrebandiers est hors d'état de nuire, en attendant l'ouverture du procès.
Aéroport Mohammed V, en cet après-midi du jeudi 4 novembre 2004. Plusieurs éléments de la 4ème section judiciaire de la brigade urbaine près la Sûreté de Casa-Anfa sont dépêchés sur les lieux pour une enquête qui
revêt, vraisemblablement, une importance toute particulière. La discrétion est de mise et rien ne filtre sur l'objet de cette descente musclée. À première vue, on pouvait croire qu'ils sont à l'aéroport pour cueillir l'un des criminels, voire un dangereux terroriste si l'on pousse l'imagination à son extrême, recherchés dans le cadre d'une enquête judiciaire. Ou même un fonctionnaire d'une des administrations établies à l'aéroport Mohammed V pour un quelconque forfait. Ou encore de la marchandise prohibée introduite dans le pays par un passager à coup sûr non averti par les différentes mesures adoptées depuis les événements meurtriers de Casablanca, un 16 mai, sous le coup de plusieurs explosions. Bref, les supputations et les suppositions pleuvent de partout. Pour quelle raison, et pour quel objectif ladite brigade s'est déplacée à Nouaceur, semble s'interroger l'ensemble des fonctionnaires de l'aéroport Mohammed V. En effet, la police a mis les bouchées doubles pour enquêter sur un vol en provenance des Emirats Arabes Unis. C'est ce vol, et uniquement ce vol, qui intéresse les limiers de la 4ème section judiciaire de la brigade de Casa-Anfa. Une information très précieuse, qu'ils ont obtenue grâce à un indic, fait état d'un chargement de plusieurs milliers de paquets de cigarettes de contrebande en provenance des Emirats arabes Unis et à destination de Casablanca. L'opération est très importante et l'enjeu est de taille. Inutile de rappeler que dans pareilles opérations, le manque à gagner pour l'Etat et surtout pour la Régie des tabacs est inestimable. Chaque année, les stocks de cigarettes de contrebande qui sont écoulés dans le pays proviennent pour une grosse partie d'Espagne via Sebta, Mellilia et les îles Canaries, ou du Golfe qui est également un gros fournisseur de cigarettes de contrebande. Des cigarettes qui, en sus de l'illégalité, sont encore très nocives. En effet, ces millions de paquets proviennent en général de stocks périmés qui ont subi notamment l'effet négatif de l'humidité et de transferts multiples. Bref, ce jour-là, les limiers qui se sont déplacés sur les lieux avaient pour unique objectif de réussir l'opération, démanteler le réseau, et procéder à des arrestations. Il était 15 h 30 lorsque l'avion en question a atterri sur la piste de l'aéroport Mohammed V. L'avion affiche complet et les passagers sont tous, ou presque, originaires des pays du Golfe. On s'en aperçoit d'emblée par leur façon de s'habiller ainsi que leur accent arabe distinctif. L'homme qui a mobilisé les troupes de la 4ème section judiciaire de Casa-Anfa est un certain Mohamed de nationalité mauritanienne établi à Dubaï aux Emirats arabes Unis. Toutefois, le “tuyau” donné par l'indic ne dit pas si la personne en question figurait parmi les passagers du vol Dubaï-Casa ou pas. Ce qui est sûr, par contre, c'est que la marchandise en question serait bel et bien dans la soute de l'avion. Et elle est envoyée pour le compte d'une société, basée à Laâyoune, du nom de Belastra appartenant à un certain Cheikh M'barki originaire, lui aussi, et comme son nom l'indique, de la ville de Laâyoune.
Une fois l'avion vidé de ses bagages, les limiers ont pisté discrètement une marchandise douteuse emballée dans des paquets qui ne portaient aucune indication.
Il fallait aussi ne pas réveiller l'attention des quelques membres du réseau dont un transitaire très connu de la profession (on y reviendra tout au long du récit) et des autres éventuels complices dans l'administration de la Douane. La marchandise étant identifiée et admise sous le numéro du DVM (44008) et celui de son encaissement (07254156611), elle a vite franchi la frontière, sans aucune autre mesure. Quelques minutes seulement ont suffi pour être dédouanée et chargée par la suite dans deux camions du transitaire, du nom de TST, (très connue sur la place) en direction des dépôts du chef du réseau. Jusque-là, les limiers ne sont pas intervenus se contentant d'observer et de pister les membres du réseau. Les directives qu'ils ont reçues de leurs supérieurs hiérarchiques étant d'arrêter tous les éléments de la bande en flagrant délit. Destination : Hay Moulay Abdellah, de la circonscription d'Aïn Chock, à Casablanca, plus précisément un garage dans la ruelle 49 loué au prix de 1 600 Dh/mois. C'est l'un des dépôts du principal mis en cause dans cette affaire, Cheikh M'barki. Sur place, le prévenu était bel et bien là. Il attendait avec impatience le camion chargé de paquets de cigarettes de contrebande transportés fidèlement par son transitaire.
À bord du camion, le chauffeur, accompagné d'un livreur, se précipitent pour livrer la marchandise et la stocker au dépôt. Et c'est à ce moment-là, la main dans le sac, que les enquêteurs interviennent. Ils procèdent à l'arrestation du cheikh M'barki et des deux employés de la société de transit pour les conduirent à la préfecture de police sise boulevard Zerktouni. Ils saisissent la marchandise, à peu près 47 000 paquets de marque américaine Marlboro, et procèdent aux perquisitions.
À la préfecture, l'enquête judiciaire démarre. Les interrogatoires se succèdent et les aveux des trois prévenus sont consignés. Le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Casa-Anfa est saisi et ordonne la garde à vue des prévenus. Cheikh M'barki cède vite, avoue son forfait et donne le nom de son principal complice qui l'assiste depuis longtemps dans ce trafic. Il s'agit de Abdelfettah Lahmamssi, gérant de la société de transit TST implantée à l'aéroport Mohammed V. C'est le cousin même du patron du groupe TST au Maroc, Abderrahmane Lahmamssi, et frère du directeur financier de la même entreprise, Noureddine Lahmamssi. Celui-ci est vite écroué à son agence à l'aéroport et passe, à son tour, à table. Devant les enquêteurs, Cheikh M'barki avoue avoir réalisé plusieurs opérations de ce genre et déclare que c'est grâce à la complicité de Abdelfettah Lahmamssi que son activité illicite a pu prospérer. À noter que bien que le plan de bataille des forces de l'ordre pour faire face à ces trafics soit impressionnant, il se révèle insuffisant pour déjouer l'activité de réseaux de plus en plus diversifiés. Le Maroc est aujourd'hui le territoire sur lequel on intercepte la plus grande partie des envois “en gros” de la cigarette de contrebande destinée à la consommation locale. La région du Sud, essentiellement le Sahara, se taille, toutefois, la part du lion dans les saisies de cette marchandise. D'où peut-être les origines mêmes du Cheikh M'barki, natif de la ville de Laâyoune, incarcéré dans cette affaire. Au niveau du trafic lui-même, on s'aperçoit que l'utilisation des réseaux de contrebande de cigarettes est désormais devenue une donnée structurelle dans cette région. La marchandise est généralement acheminée de la Mauritanie ou des îles Canaries, pour être commercialisée au centre du pays à des prix défiant toute concurrence. Au cours des interrogatoires, les prévenus ont avoué tout : le circuit qu'emprunte ce trafic, les identités des complices, la manière avec laquelle on trompe la vigilance des fonctionnaires de la Douane… Bref, tout. Avant de revenir sur leurs déclarations devant le procureur du Roi du TPI de Casa-Anfa. La marchandise arrive à l'aéroport Mohammed V pour le compte d'une société baptisée Belastra.
Laquelle est spécialisée dans la commercialisation des produits cosmétiques. Pour son dédouanement, c'est le transitaire TST qui s'en charge, déclare la marchandise et laisse le système mis en place par la Douane de s'occuper du reste. En effet, depuis la fin des années 90, les services de la Douane ont mis en place un système pour accélérer le transit de la marchandise importée. L'opérateur déclare la nature de sa marchandise et la Douane délivre soit un “admis pour conforme” soit ordonne une “visite”, vérification du lot, au cas où la marchandise s'avère suspecte. Dans ce cas de figure, le transitaire, moyennant une commission alléchante (de l'ordre de 140 000 Dh pour chaque opération réalisée), a tout fait pour dédouaner la marchandise- jusqu'à présent on ne sait pas s'il a bénéficié de complicités d'agents de la Douane- sans aucune difficulté pour la faire passer comme produits de beauté. D'ailleurs, dès qu'elle a été saisie, l'administration de la Douane a dépêché une commission sur place pour enquêter et tirer cette affaire au clair. Les autres suspects, quant à eux, (le chauffeur et le livreur), ont nié être au courant de quoi que ce soit et ont déclaré aux enquêteurs que leur travail consistait uniquement à transporter la marchandise aux clients de l'entreprise. Passé le délai de garde à vue, les cinq prévenus ont été présentés au parquet qui a décidé de relâcher les deux employés de TST, pour insuffisance de preuves de leur culpabilité, tout en ordonnant la détention préventive pour Cheikh M'barki et Abdelefettah Lahmamssi, en attendant leur procès qui s'ouvrira dans les jours qui viennent.
Affaire à suivre.
Contrebande des cigarettes
Un manque à gagner inestimable pour l'Etat
Contrairement à ce que l'on pense, la contrebande de cigarettes n'est pas uniquement le fait de trafiquants véreux, mais également celui des grands fabricants eux-mêmes qui engrangent ainsi un vrai pactole en raison de l'absence de taxes. Les industriels du secteur savent que leurs stocks de cigarettes atterriront sur le marché noir. Plus encore, les grosses marques encourageraient le trafic, par des pratiques douteuses. Le plus grand des négociants européens, Michael Haenggi, avait reconnu dans un entretien que les Winston qu'il achetait à Reynolds étaient pour la plupart revendues à des contrebandiers espagnols. Des cigarettes qui se retrouvent dans des cartons du petit loubard de Derb Ghallef ou entre les mains des petits détaillants de Bab Marrakech à Casablanca. En tout cas, les cigarettes de contrebande représenteraient un manque à gagner de 16 milliards de dollars pour les pays qui sont victimes du trafic en taxes non perçues. Selon Market Tracking International, un bureau d'études spécialisé dans le tabac à Londres, sur les 1000 milliards de cigarettes exportées vers l'étranger chaque année par les fabricants occidentaux (notamment américains), 280 milliards le sont par le biais de la contrebande. Des chiffres qui sont constamment en hausse. Dans les années 90, la proportion était de 100 milliards. La contrebande, toujours selon ce bureau d'études, est aussi un marché juteux pour les cigarettiers qui, tout en vendant au même prix leur produit, augmentent leurs recettes grâce au trafic qui est prospère.
Les cigarettes étant revendues bon marché. Ce sont donc les Etats et les consommateurs qui sont les dindons de la farce.


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