Recensement et Parlement Madame déambule, traîne à ouvrir la porte. Pourtant, bien du temps s'est écoulé depuis que le bonhomme du recensement a frappé (ou sonné) à la porte. Enfin, un joli minois apparaît : la femme ouvre la porte en bois très cher, et ne daigne pas ouvrir la bouche. Elle toise le bonhomme, et fait la moue : elle boude. Et c'est sa manière à elle de montrer qu'il est persona non grata. Il n'a donc qu'à chercher ailleurs. Les maîtres des Céans ne sont pas du genre à se faire “compter” des choses publiques... Attention, ce sont maintenant certains de nos nababs des quartiers huppés qui rechignent à participer au recensement ! La semaine dernière, les pauvres ouvriers aussi désargentés que nos premiers bipèdes, n'ont rien trouvé de mieux, pour protester contre leur état précaire que de bouder l'opération. C'était un “exercice” que nous avons, ici même, qualifié d'irresponsable. Plus, incivique. La colère, résumait-on, ne fera jamais de bons citoyens. Encore moins, des patriotes. Après les prolétaires, les riches. Certains d'entre eux, bien évidemment. La précision vaut son équivalent en sincérité et honnêteté. Car, heureusement, ces riches-là, ne sont pas légion. Minoritaires, par décompte ! C'est Ahmed Lahlimi, le haut commissaire au Plan, chargé de la mission, qui en a fait part à la presse lors d'une rencontre tenue au début de la semaine dernière. Il en résulte que le comportement de certaines “gens aisées”, est peu convenable. Sinon, insultant. A l'inverse des mineurs de Oued El Himer, leur réaction n'est pas de nature “revendicative”. Non, “les esprits supérieurs qu'ils sont, veulent être belliqueux, rien que pour signifier leur” “différence”. Ou peut-être même leur supériorité. Zapper... serait le mieux à faire pour voir leurs semblables : le film “amour, gloire et beauté” par exemple. Ce n'est peut-être pas le genre de question dont la presse en fait ses choux gras. Elles n'en donnent pas moins froid au dos. Scandalisant. L'argent, en effet, serait plus grand que le civisme. Car, le recensement en est une expression, comme d'autres. Certes, ce n'est à première vue qu'une simple “opération” de calcul qui remet en circulation des données, vieilles de dix ans. Encore faut-il qu'elles soient réelles. Mais y participer, a une valeur qui transcende l'arithmétique. Elle est, à tout le moins, une arithmétique de conscience. Or, quand on voue le culte du secret, on a sûrement quelque chose à cacher. Et ce n'est pas uniquement la richesse ou les biens. On cache surtout son mépris pour la loi de son pays qui, faut-il le rappeler, est claire là-dessus. Mais au-delà de “l'esprit des lois”, de l'analyse, il y a d'abord cette réaction presque instinctive de rejeter cette attitude. Plus qu'un anachronisme, c'est un égoïsme méprisant. Que rien ne justifiera. Pire, le Maroc, pays et source de leurs richesses, doit “compter” sans eux. Et surtout, ne pas “compter” sur eux. Invisibles qu'ils sont, ils n'ont de “comptes” à rendre à personne. Alors ? Alors, ce n'est pas là, la seule explication à cette attitude. Le Maroc doit les enrichir, mais oublier qu'ils le sont. Surtout, avec cette marée de pauvres qui les entoure. Soyons magnanimes, donc. Vu sous un autre angle, ce sont eux les “pauvres”. Car, ils se sentiraient coupables. La patrie n'est-elle pas clémente et miséricordieuse ? Alors elle doit les rendre riche (faim d'or quand tu nous tiens) et veiller à ce qu'ils n'éprouvent pas de mea-culpa. Certains, plus que d'autres, y “vont bon argent”, c'est le cas de le dire. En toute franchise une dame n'hésita pas à dire au recenseur “nous ne voulons pas être recensés”. Point, à la ligne. Ce n'est pas le genre de gens honnêtes, qui aiment leur patrie. Qui ont sué sang et eau pour faire fortune. Humblement, mais durement. Non, ce sont les vantards qui croient ne pas être nés ni pour le recensement, ni pour la loi, ni pour le civisme! Voyons... ! Trop de questions pourraient tuer les âmes sensibles, surtout que ces gens du HCP ne lésinent pas sur les questionnaires. Un vrai fourre-tout exaspérant. A tel point que rien ne serait plus agréable que donner une image de soi complètement fausse pour reprendre cette lumineuse réflexion de Robert Walser. Ce genre de riches, en effet, aide le pays à se donner une fausse image de lui-même. “C'est peut-être injuste”. Mais c'est audacieux et donc de mise quand on souffre d'un manque de “marocanité”. Qu'en diront les conseillers de la deuxième chambre ? Il faudra attendre. Pour le moment, ils se soucient plus de leurs propres fausses images à... la télé qu'à la réalité dehors. Jeudi dernier, une cinquantaine de conseillers ont tenu “un vrai sit-in au sein de l'hémicycle pour contraindre la RTM à être présente”, note Assabah de samedi dernier. Eux aussi entretiennent leurs fausses images, et les “vendent” aux Marocains. Aussi bien les uns que les autres tous s'évertuent à faire commerce du “faux et usage de faux”. Voilà, le fond du problème.