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Ces MRE qui n'aiment pas leur pays
Publié dans La Gazette du Maroc le 12 - 07 - 2004

D'habitude, les colonnes des journaux et magazines regorgent d'articles élogieux sur les Marocains résidents à l'étranger. La coutume s'étant installée pour que chaque année, entre juin et août, il faut leur dérouler un tapis rouge médiatique qui sied à leur rang de nouveaux seigneurs d'un Maroc qui a besoin d'eux. La Gazette du Maroc décide de faire entorse à cette sacro-sainte tradition en dévoilant les travers des Marocains vivant à l'étranger.
Quel rapport peuvent avoir certains d'entre eux avec leur pays d'origine? Comment vivent-ils leur différence par rapport aux autres Marocains et quel regard portent-ils sur ce Maroc qui demeure en définitive leur patrie? “J'aime pas ce pays, et à chaque fois, c'est la même histoire…” La même histoire, c'est-à-dire l'obligation familiale de venir pour quelques semaines revoir ce pays où les parents ont vu le jour et étrenner quelques épisodes heureux ou douloureux de leur vie. Et cela, les jeunes ne le connaissent pas. Les parents racontent, s'épanchent, reviennent sur leur vie dans le pays et brossent un tableau nostalgique de la vie au-delà de Gibraltar. Le père tente de
calmer son rejeton, en lui disant: “Mais ne dis pas ça, c'est pas bien”.
Le gosse, la vingtaine déjà entamée, grommelle un coup et crache par terre à notre endroit. Belle entrée en matière en cette journée estivale où l'on sent
le chergui poindre du nez comme une menace de plomb sur les nerfs de tous dans ce port de Tanger gonflé à bloc.
Bienvenue chez vous
“Non, je ne suis pas Marocain et je ne vois pas pourquoi cela t'intéresse”. Là, c'est un autre jeune, le crâne presque rasé, une tête encore dans le cirage où les effluves d'une nuit jointée et tristement arrosée battent encore pavillon. Nous sommes devant le port de Tanger à 35 degrés. Température du sol, incalculable. Celle de l'air, un peu moite et fétide. Celle des âmes, vacillante entre gel et grosse chaleur. Les MRE, Marocains résidents à l'étranger, ont posé pied sur le sol marocain et pour la plupart, les ennuis commencent. Pour ceux qui les accueillent, les “emmerdes” prennent corps. Nous ne sommes plus dans les slogans publicitaires et les paroles vides de sens. Là, c'est la réalité du terrain qui dicte sa vérité sur les lèvres des uns et des autres. On sent la tension envahir l'air pollué du port. Un douanier que l'on a connu dans d'autres circonstances affiche une mine grise, un peu palot et le regard bizarre. “J'espère que cette journée passera très vite. Vous allez voir de vos propres yeux tout ce que mes collègues vous ont raconté. A vous de juger si c'est publiable ou pas. Pour ma part, je prie pour garder mon calme, sinon, je buterai quelqu'un et tant pis pour ce boulot”. Le bruit est assourdissant dans ce port. On crie de partout et certains ont fait des engueulades un sport pour la journée. On dirait que le travail ne peut se faire qu'en empestant la vie et ses tracas. On descend du bateau et les gens se mobilisent comme pour partir au front. On sent l'appréhension et la crainte. Pour d'autres, plus rôdés, “c'est normal, ils nous prennent tous pour pire que des bêtes”. Nous ne sommes plus dans la littérature politiquement correcte qui voudrait dépeindre l'arrivée des Marocains vivant à l'étranger comme une rencontre entre un pèlerin et sa terre promise. Nous sommes de plein fouet devant la crudité des lieux, des sentiments et des propos.
Ames sensibles s'abstenir
“Putain de sa race, t'as vu ce flic de mes d… quel enf. De sa race ! gros porc”. C'est du direct sorti de la bouche d'une jeune fille qui, apparemment, est bien sous toutes les coutures, sauf celle du langage où elle devra faire des efforts. Dans son sillage près d'une demi-heure, on a compris qu'elle avait un vocabulaire de quinze mots à tout casser qu'elle répète inlassablement en boucle. Un vocabulaire de gouttière que les chats varient plus souvent qu'elle, mais cela, elle ne le savait pas. On lui fait la remarque sur son parlé très prosaïque, elle éclate d'un rire cinglant et entame sa ronde sur les flics , les gendarmes, les douaniers, le pays, la famille: “Tous ici des enc…Pigent que dalle, les cons. Faut leur dire que c'est des enf… pour qui fassent leur travail”. La suite va direct dans les oreilles des intéressés qui font pour un moment semblant de ne rien entendre ou, mieux encore, jouent les ignares qui ne pigent pas un traître mot de la langue de cette jeune demoiselle qui monte dans sa voiture immatriculée 93 quelque part à la sortie d'une porte en île-de- France. Pourtant, rien ne justifiait cette colère montante chez la jeune fille. Les “keufs” faisaient leur boulot, avec le sourire en prime, les gendarmes étaient courtois et rigolaient avec plusieurs personnes, mais la jeune de 93, elle, avait une dent naturelle et prédisposée pour leur servir le chapelet de sa bourgade. Cette scène était le préambule de notre belle journée d'été sous les vents tangérois, à l'ombre des Marocains résidents à l'étranger qui viennent passer un moment dans le pays.
Les MRE, première vague
Pour les habitués des passages des Marocains vivant à l'étranger, tous ceux qui travaillent dans les ports et sur les routes, il y a une nette distinction entre les MRE, première cuvée et les nouveaux MRE qui sont, eux, des ex-harragas, reviennent au pays et décident d'en découdre avec le destin. “C'est flagrant et cela se voit vite, explique un officier des douanes. Les vieilles personnes qui ont vécu vingt ou trente ans en France ou en Belgique, sont en majorité des personnes bien élevées qui reviennent au pays avec le cœur. Leurs enfants sont parfois très mal élevés, ils crient, se lavent à la sortie du bateau à l'eau de Sidi Ali, crachent partout, jettent les détritus sur les passages. Bref, ils font beaucoup de tort. En général, les parents essayent de les raisonner. Mais ce sont les autres, les harragas qui ont eu les papiers et reviennent au Maroc pour se battre et régler des comptes. Ceux-là, ils sont dangereux. Et tout le monde le sait. Mais on fait semblant de ne rien voir”. Ce que nous intime ici ce responsable est relayé par des centaines d'histoires toutes aussi édifiantes les unes que les autres. “Une fois, l'année dernière, deux types qui venaient d'Italie, de Como, je me rappelle. Ils avaient des tonnes de choses entassées dans la voiture. Je ne leur ai rien demandé, sauf de jeter un œil, ce qui est mon droit et mon devoir. Les deux types sont descendus de la voiture et m'ont presque giflé. Je ne rigole pas, l'un d'eux m'a craché dessus et l'autre m'a plaqué la paume sur le cou en me disant qu'ils allaient crier que je leur avais demandé de l'argent. Quand tout est rentré dans l'ordre, j'ai demandé à l'un d'eux pourquoi ils se sont mal comportés avec moi. Il m'a répondu qu'il détestait les gendarmes et les policiers et qu'il était prêt à se bagarrer avec n'importe qui. Je lui ai dit bonne chance et je me suis cassé.”. Une autre histoire résume bien la situation: “Ils étaient cinq dans la camionnette. Deux femmes et trois jeunes. Ils avaient des machines à laver, des lecteurs vidéo, des bicyclettes, des postes stéréo et des tas d'autres choses. Je leur ai fait la remarque que c'était trop. Et là, les femmes se sont mises à hurler que c'était avec la sueur de leur front qu'elles avaient acheté tout cela et qu'elles étaient prêtes à me tuer si je touchais à leur marchandise. Mais, comment faire dans pareil cas. La loi est claire. Mais pour eux, la loi n'est pas applicable. Ils décident tout bonnement de braver tout le monde parce qu'ils pensent que nous avons besoin d'eux. La bonne femme m'a dit que c'était avec son argent que j'étais payé et que si elle et ses semblables ne venaient pas au Maroc, on perdrait tous nos emplois et les Marocains mourront de faim. Les gens lui disaient de se calmer, mais d'autres sont venus lui prêter main forte et c'est devenu un scandale au port. Tout le monde criait, c'était de la folie. Il fallait voir les jeunes qui répétaient que sans eux nous étions tous pire que de la merde et d'autres choses que je ne peux pas vous dire…”
Dans le sillage des ex-harragas
“Qu'est-ce que je peux vous dire sur mon état d'esprit. Rien. Je viens ici parce que je suis obligé. Et je ramène beaucoup d'argent, alors c'est à eux, ces fils de p… de se la fermer. Je me rappelle combien de fois, on m'a tabassé ici au port avant que je ne trouve une porte de sortie. C'est de la racaille tous ces cons, et moi, je décide de le leur dire”. Et il se met à l'œuvre devant nous en appelant un porteur. Quand le porteur arrive tout sourire, le jeune Italien lui jette un crachat en guise de salut et lui intime l'ordre de l'aider à remettre des choses dans le coffre. Le porteur s'exécute alors que l'émigré lui jette un cinglant “si tu voles quelque chose je te coupe la tête”. La traduction ne donne rien, mais il fallait voir le chapelet!! Le porteur n'a pas moufté un traître mot. Le jeune immigré se lâche sur lui en bonne démonstration et le gamin fait mine que c'est normal. A la fin, il lui jette un dirham. Pas deux, pas trois. Un dirham symbolique. Le porteur se rebiffe et lui fait savoir qu'il fallait allonger quatre autres dirhams. Et c'est là que les choses dégénèrent. Le ressortissant qui arrive d'Italie descend de sa voiture et vient allonger une bonne gifle à la joue du porteur. La bagarre s'emballe et quand les policiers arrivèrent, ils décident d'arranger les choses. Ils savaient que c'était le porteur qui avait raison, mais ils ne voulaient pas faire de surenchère. Ils arrivèrent après avoir essuyé une pluie de crachats à calmer le jeu et le porteur s'en est allé voir ailleurs, la joue marquée l'empreinte amicale de son frère. Pour les autorités du port, ce sont là des images presque normales qu'ils ont visionnées des milliers de fois. Cela ne les touche plus ou presque. Mais quand on est néophyte et que l'on se rend compte avec quel mépris certains MRE se comportent à l'égard des autres Marocains, il y a de quoi être profondément dégoûté. On avait entendu des histoires, on avait récolté des témoignages sur les mauvais traitements, les insultes, les coups, les crachats et tout le reste, mais le voir de visu, cela dépasse l'entendement.
Du respect des Marocains d'ici
“Tous des bougnoules, c'est moi que t'le dis. T'a zyeuté la gueule qu'il a ce gros porc…”, “tu sais parler français, faut aller à l'école espèce d'ignare” ou encore “mate-moi le c… de la vieille dame oh, c'est régolo”. Là, c'était une vieille mendiante qui a passé la journée sur le trottoir. Les jeunes immigrés la trouvaient amusante et ils se sont mis à lui faire des farces. C'était minable. “De quoi j'mêle. T'es journaliste? Alors va te faire voir toi aussi” lâchait une jeune adolescente à l'adresse d'un policier qui passait par là, juste pour lui décocher une vilaine pensée. Le cortège des insultes et des gros mots passés, il faut les voir se restaurer en attendant de passer ou de sortir du port. On jette les boîtes de conserves, on cible les gens avec des canettes de coca et même de bière et on plie les emballages pour se tester en basketteur raté devant les poubelles. Deux gars ont décidé de se rafraîchir devant le port. Ils ont sorti leurs bouteilles d'eau, le torse nu, ils se sont aspergés d'eau provoquant un embouteillage et laissant une mare devant le port. “Tu vois pas la chaleur qui fait ou quoi. Beh, c'est de l'eau et c'est propre”, “oui, mais pas devant le port” “quoi tu me donnes des leçons, toi, va faire ce que tu sais faire, t'auras pas un sou de moi”. Il crache par terre et remonte en voiture. Avant de partir, il appuie sur le klaxon pendant deux bonnes minutes pour narguer le policier et crache à nouveau. “Vous n'avez rien vu, il y en a qui urinent dans le port, je vous le jure. Ils pensent que le Maroc est une poubelle et que tout leur est permis. C'est une catastrophe, ces gens”. Devant un groupe de jeunes où deux filles s'échangeaient les sandales, on tente une entrée en matière plus civilisée alors que l'un des garçons finissait d'écraser sa cannette de coca sur le sol: “vous faites cela à Paris ou à Lyon? J'imagine que non, là-bas, vous payez une amende, alors vous vous tenez à carreau”. C'était le mot qu'il ne fallait pas ajouter: “tes leçons, tu te les mets là où je pense. Je n'ai d' ordres à recevoir de personne. Je fais ce que je veux et si tu n'es pas d'accord, va voir les keufs”. Sa copine, ou cousine ou sœur se mêle de la partie: “il ne manquait plus que ça!! Ils viennent nous faire chier pour nous montrer comment nous comporter ; mais putain allez vous faire voir sale con, c'est sale déjà ici, alors c'est tout comme”. On insiste en leur disant que c'est une mauvaise image qu'ils donnent de l'immigré, et là les choses sérieuses commencent. On a eu droit à un cours sur l'argent des immigrés, le papa qui a dit à sa fille que le Maroc n'attendait que ce fric, que sans nous vous n'êtes que dalle et que de toute manière, ce sont les milliards qui vous intéressent et que nous n'avons même pas le droit de voter et que patati et patata ad nauseam. Sortis du port, on décide de faire un brin de chemin derrière quelques voitures d'immigrés. Ils sillonnent Tanger la musique à fond et se restaurent en jetant les restes par les fenêtres. Il y en a deux qui ont brûlé deux fois le feu rouge et un troisième a roulé même sur le trottoir avec son 4x4. On décide alors de rebrousser chemin à la sortie vers Casablanca pour aller voir du côté de Sebta si les Marocains résidents à l'étranger se comportaient de la même façon.
A suivre
De Tanger, Abdelhak Najib et Karim Serraj


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