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Et si Jamal Zougam était innocent?
Publié dans La Gazette du Maroc le 31 - 05 - 2004

Pour les autorités espagnoles il ne fait aucun doute que Jamal Zougam fait partie des auteurs matériels des attentats du 11 mars à Madrid. De hauts responsables de la sécurité attestent qu'ils ont des preuves solides contre lui ainsi que ses acolytes les plus proches, son demi-frère Mohamed Chaoui et son employé Mohamed Bekkali. Pourtant, il y a plusieurs ombres au tableau qu'il faut dissiper dans le cadre d'une analyse du cas Zougam et consorts. Des soupçons persistent sur ce fameux témoin oculaire qui a fait plonger Jamal Zougam. Selon des sources judiciaires espagnoles, ce témoin oculaire est un individu poursuivi en procès par Zougam qui risquait au moins trois ans de prison pour coups et blessures sur la personne de Jamal Zougam. Que vaut le témoignage d'un tel témoin et comment la police espagnole s'est-elle comportée avec un tel témoignage ? Sans oublier que jamais jusque-là, les autorités espagnoles n'ont parlé du passage de Zougam dans les prisons espagnoles pour trafic de drogue ainsi que de nombreux contrôles dans son magasin depuis plusieurs années.
Retour en détail sur les zones d'ombre d'un dossier sensible qui risque de connaître de nombreux rebondissements.
De notre envoyé spécial en Espagne, Abdelhak Najib
Et si Jamal Zougam était innocent ? Est-ce que quelqu'un a pensé une seule fois à cette éventualité ? Cela paraît incroyable vu tout le tapage médiatique que l'on a orchestré autour de lui, mais comment peut-on expliquer que le témoin oculaire qui a scellé le destin du Marocain soit cette même personne menacée de prison pour avoir attaqué au couteau le même Jamal Zougam ? Curieux, non ? ” C'est le frère Cheddadi, à peine libéré de prison dans le cadre de ses relations avec les membres présumés de la cellule espagnole qui ont comploté et préparé les attentats du 11 mars, qui l'affirme. Nous sommes dans la rue Caravaca, là où le frère aîné des Cheddadi, Saïd, emprisonné depuis novembre 2001 suite aux enquêtes du juge Baltazar Garzon, avait sa boutique de fringues. C'est dans cette même boutique que Saïd Cheddadi faisait des affaires avec Imad Eddine Barakat Yarkas, dit Abou Dahdah, reconnu depuis 2001 comme le cerveau et le chef de ce que l'on appelle communément la cellule espagnole d'Al Qaïda.
Dans le quartier de Lavapiès (lire LGM numéro 269), Jamal Zougam est très connu. Il n'y a pas une seule personne abordée sur un trottoir qui n'ait pas un mot à dire sur lui. Inutile de revenir sur les éloges parlant “d'un homme remarquable”, “d'un type bien”, d'“un gentil bonhomme qui travaillait pour faire vivre les siens sans problèmes et sans trop de bruit autour de lui”. Inutile de nous arrêter sur les interminables louanges sur le comportement “exemplaire”, d'un jeune Marocain “clean, propre et très éduqué”. Inutile aussi de faire le bilan de tous les témoignages d'Espagnols voisins et qui ont vécu en parfaite harmonie avec Zougam qui n'ont “jamais trouvé à redire sur ses relations et ses fréquentations”. Des phrases de ce genre, on peut les citer par milliers, mais cela ne change rien à la situation. Quoi qu'en puissent dire les amis, les voisins, les ennemis…, Jamal est aujourd'hui le suspect numéro un dans les attentats de Madrid. Il est déjà reconnu comme un des auteurs matériels des attaques.
Quand Azizi accouche de Zougam
Pour comprendre un peu le passé de Jamal Zougam, il faut remonter plus loin dans le temps. Au fil de nos pérégrinations madrilènes, nos pas, pris dans la tourmente des hasards et des visages, vont nous mener dans un quartier insolite de la périphérie de Madrid. Un Bario en marge de la société, un coin quelque peu délaissé entre vieille ville pauvre et délabrée et nouvelle cité moderne et résolument européenne. Nous sommes à quelque 45 minutes du centre névralgique de la capitale espagnole. Le quartier très haut en couleurs se nomme Bario del Pilar. Ce Bario del Pilar c'est la grande agglomération, mais la rue que nous cherchons se situe au-delà de ce que la cartographie répertorie. Nous sommes quelque part entre le vide géographique et la réalité humaine. Quelque part entre oubli et ravivement des mémoires. Nous sommes à la lisière de ce qui existe et ce qui fait illusion. Le hasard, encore une fois, cette lubie du temps, a voulu que partis à la recherche des traces de Amer Azizi, nous retrouvions celles, anciennes, estompées de Jamal Zougam. Notre référence première, c'est un numéro sur une carte et le nom d'une rue. 15 rue Isla de Saïpan, Madrid. Avec une phrase aussi courte, on ne va pas très loin. Pourtant, au prix de plusieurs détours, on arrive à la borne nord-ouest de Madrid. “ La Isla de Saïpan ? Oui, c'est juste la rue en contrebas à gauche. Vous cherchez qui au juste ? Un Marocain ? Amer Azizi ? Non, connais pas, mais il y a plein de Marocains plus bas, allez-y ”. La femme qui nous parle habite aujourd'hui dans ce fameux 15 calle Isla de Saïpan. Elle n'a jamais connu les locataires qui ont séjourné dans ces mêmes lieux avant son arrivée. Mais elle devine de quoi il s'agit sans trop insister sur les détails. Sa façon de nous montrer la maison d'à côté où vivait un Marocain quadragénaire de Tanger, frisait la délation. Mais bon…
Le Marocain sait ce qui se passe, mais il nous conseille d' “aller plus bas voir les jeunes qui habitent près des arbres ”. Les arbres ! Belle façon de décrire un amas de pierre et des murs de fortune hérités du temps des bidonvilles du Bario del Pilar. “Salut, vous êtes du pays. Cela fait des mois que je n'ai pas vu des frères du pays. Qui? Azizi, oui j'ai connu un type comme ça. On le cherche, je sais, mais ils vont courir, les Espagnols. Lui, impossible de lui mettre la main dessus. Oui, on s'est connu bien avant 1996. Il y avait encore les bidonvilles ici. Nous avons habité dans la même baraque tous les deux. On fumait, on buvait, on se payait du bon temps. Mais il a déménagé en 97 je crois. Oui en 1997 juste avant que la commune ne détruise les bidonvilles”.
Un passé passé sous silence
Saïd est un type de Tanger. Le gars dur, passé à la rudesse de l'asphalte. Le genre de bonhomme qui en a vu de toutes les couleurs, qui a même inventé son chevalet pour apporter une touche personnelle aux couleurs de la vie. Sa palette de couleurs se décline en arc-en-ciel et en noir absolu. Pas de ligne intermédiaire entre les extrêmes. Remonté à bloc, il vient de tirer sur un joint finissant : “on habite dans ces maisons que l'on a presque construites nous-mêmes. On ne paye ni eau ni électricité. On vit de la grâce de nous-mêmes. Tout va bien, on en a bavé, on a eu notre lot de crasse. Aujourd'hui, on essaye de joindre les deux bouts de la vie en tirant sur une corde raide. Mais la vie est belle. J'ai une femme, des enfants et je m'occupe de ma famille au Maroc. Le reste, on s'en contrebalance n'est-ce pas, frère ? ”. Saïd est petit de taille, très fin, le visage raviné et le regard fort, affolant d'agressivité et d'audace. C'est le genre de bonhomme teigneux qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Il est le caïd du coin. A la Isla de Saïpan, on le craint, on lui fait une place, on l'évite ou alors on s'attire sa bonne humeur. Nous sommes bien tombés. C'est un jour avec. Saïd est bien luné. “ J'ai connu Azizi et j'ai connu Zougam. J'ai connu beaucoup de Marocains. Moi, j'ai choisi de rester là, loin de la ville. Eux, ils ont voulu un autre chemin. Jamal est un gars sympa, pas très futé. Un type simple. Nous avons fait de la prison ensemble il y a plusieurs années de cela. Oui on trafiquait un peu de drogue et on s'est fait prendre. Nous avons vécu dans les mêmes conditions de détention. Et je me rappelle très bien que Jamal était très calme et très docile”.
Jamal Zougam a donc fait de la prison. Il a dealé de la drogue. Il a traficoté dans le haschich venu du nord du Maroc et il s'est fait prendre comme un blanc-bec. Pourtant, aucune information de ce type ne circule chez les autorités espagnoles. Aucun dossier ne revient sur ce point important puisque les services de police espagnols ont très vite établi le lien entre trafic de drogue et attentats de Madrid. Est-ce un oubli? Une méprise? Une insouciance ? Pourtant, il est évident qu'un point aussi fort, aussi crucial pour l'enquête se doit d'être mentionné dans les dossiers de la police. Quand on pose une question à l'un des plus grands gradés de la sécurité du pays, il avoue ne rien savoir sur cette arrestation et ce passage par la prison espagnole pour une affaire de drogue. Pourtant, nous sommes arrivés à vérifier que Jamal a bel et bien séjourné aux frais de l'Etat espagnol avec son ami de la Isla de Saïpan, Saïd le dur.
Black-out
Que cache une telle affaire. Pourquoi ce black-out sur cette arrestation ? Saïd a réponse à tout : “ Vous vous posez la question ? C'est pas vrai ? C'est pourtant simple. Comment les Espagnols vous ont servi Jamal ? En terroriste d'Al Qaïda, un radical. Un wahhabite, un intégriste, un illuminé islamiste à la solde de Ben Laden et d'autres fous ? Vous croyez vraiment qu'ils vont vous dire aussi que c'était un drogué, un dealer et un repris de justice. Ils savent que ce n'est pas compatible. C'est normal, moi-même qui suis rien je le comprends et je le trouve normal…”. Son ami, Youssef, un gars louche, virevoltant, très excité, le regard dur et les sourcils froncés, nous jette une phrase pour le moins inattendue. Il parle, esquive notre regard et se débine, court et va se cacher dans la maison d'un Espagnol voisin. Intriguant ce Youssef qui s'est fait arrêter il y a quelques jours et qui a dû dealer avec la police qui lui avait posé des questions sur son prochain crime ou son attentat. Il a l'air d'un gamin qui a vécu plus qu'il ne faut. Un bonhomme qui a pris de l'âge avant l'heure et qui le sait. D'ailleurs cette rue Isla de Saïpan est un réel coupe-gorge dont on s'est dépêtré avec beaucoup de réussite. De mémoire de journaliste, nous n'avons jamais senti le danger plus près, ni la peur aussi présente. Ce Youssef aurait pu nous égorger et vendre nos têtes dans un marché aux puces avec le sourire aux lèvres. Il a préféré partir pour ne pas mettre à exécution un dessein aussi diabolique.
“Vous êtes là pour Amer, c'est ça. Vous fouinez vous cherchez. Vous êtes bien renseignés pour un journaliste. Vous savez ce que la police m'a dit il y a quelques jours ? Elle m'a dit si j'étais en train de préparer un attentat. Vous voyez ce que je veux dire ? ” Oui, on ne peut être plus clair, monsieur Youssef. Amer, il l'a connu, Jamal, il l'a connu et d'autres. Mais on ne saura jamais rien sur ce bonhomme bizarre, louche, intriguant. Un homme serpent, un homme vipère, un homme louvoyant qui se volatilise comme un ballon que l'on fait éclater. Youssef savait trop de choses. Il savait ce que nous étions venus chercher. Il savait ce que nous attendions d'une telle escapade dans la banlieue marginalisée de Madrid. Il savait tout. Mais il savait par-dessus tout qu'il ne fallait pas faire confiance aux étrangers même s'ils parlaient arabe. Il nous enverra plus tard un gamin qui se trouve être le fils de Saïd son ami et voisin pour nous dire dans son langage enfantin, “ arrêtez de nous emmerder et de fouiner dans nos vies ? Laissez-nous vivre en paix. Vous êtes des mouchards déguisés en journalistes. On a tout compris ”. La messe est dite et c'est la voix d'un gosse de cinq ans qui nous fait le sermon de partir…
Lavapiès et le fameux Saïd
Lavapiès. Littéralement cela veut dire en bon français de Pascal : lave-pieds. Sans donner dans la symbolique gratuite, le nom du quartier est un tantinet risible et inadéquat. Ou alors tellement d'à propos qu'il suscite l'ironie. Celle du sort et celle qui touche un pan de la société marocaine vivant en Espagne. Lavapiès et sa station de métro hétéroclite. Cosmopolite Lavapiès. Humaine Lavapiès. Marocaine Lavapiès. Chez le Libanais qui fait le coin en bas de la rue Tribulete là où Zougam a son Locutorio Nuevo Ciglo, on nous dit qu'il faut voir du côté du resto pour apprendre des choses sur Zougam. Le Libanais est tout seul à assumer son origine du pays du cèdre. Chez lui, ce sont des Marocains qui travaillent, des lions qui doivent lui rappeler les lions des hauts plateaux de ce beau Liban montagneux. L'un d'eux se prénomme Bouchaïb. Il est originaire de Salé. Il a déjà vu Zougam et lui a même parlé. Il est tout retourné de nous parler de ce fameux Zougam pris par la police avec un sac poubelle sur la tête : “ Il m'a dit un jour qu'il fallait tenir, que les temps sont durs et que les premiers mois sont toujours difficiles à surmonter. Il m'a soutenu, il m'a encouragé. Je n'oublierai jamais cet homme qui m'a pris par l'épaule et m'a dit droit dans les yeux qu'il fallait assumer puisque j'avais choisi de franchir le détroit et de venir ici loin de tout ”. Il nous sert notre Hoummous et notre taboulet en nous demandant si nous voulions un thé à la menthe pour le dessert. “ Bien sûr Bouchaïb… et un bon thé bien de chez nous”.
C'est lui, Bouchaïb qui nous indique un autre restaurant où on pourrait nous dire plein de choses sur Zougam. On remonte la ruelle à gauche. On débouche sur une place en pente où l'on doit jouer au foot par des journées chaudes entre Marocains et Sénégalais. On dit même que jamais les Sénégalais n'ont gagné un seul match face aux Marocains. La boutique de Jamal est éventrée : “ vous voyez. C'est une honte. Le mec est jeté en prison et son argent est volé au su et au vu de tout le monde. C'est une merde ce putain de pays de fascistes dégueulasses ”. On nous dit aussi qu'il faut aller voir les frères Cheddadi. C'est une sacrée histoire la famille Cheddadi. Il faut s'accrocher pour leur parler. Il faut s'armer de patience pour les voir et leur soutirer des phrases. La rue Caravanca est en vue. Il faut attendre le bon moment et fuser sur la famille de Saïd pour en savoir un peu plus. “Je vais te dire une seule chose. Est-ce que tu sais qui a témoigné contre Jamal ? Non, tu ne sais pas. C'est normal. Eh bien, c'est Saïd, ce fils de chienne de merde, cet enfoiré de sa race, ce bâtard qui a menti pour faire disparaître Jamal. Va voir la police et tu sauras que ce que je dis est la stricte vérité devant Dieu et devant ses sujets”.
L'histoire d'une vengeance à double visage
De quoi s'agit-il ? C'est quoi cette histoire de faux témoignages? C'est qui ce Saïd mystérieux qui a menti selon tous les témoins et qui a voulu faire plonger Jamal Zougam ? C'est quoi cette histoire où la police accepte le témoignage d'un homme en procès avec Zougam et prend ses dires pour paroles d'Evangile?
“C'est très simple cette histoire. Il y a quelques années. Je crois que cela remonte à trois ans exactement. Jamal s'est fait attaquer par un type malade qui s'appelle Saïd. Ils se sont bagarrés car Jamal est un dur qui n'accepte pas qu'on lui marche sur les pieds. Le con de Saïd battu a frappé Jamal avec un couteau. On les a séparés, mais Jamal en homme de bon sens a porté plainte contre son agresseur. L'affaire est portée devant un tribunal qui condamne ce fils de chienne de Saïd à trois ans de prison ferme pour attaque à main armée, coups et blessures et tentative de meurtre. Jamal savait que Saïd était son ennemi juré, mais il a tout fait pour l'éviter. Et le con de Saïd avait disparu après avoir pris note du verdict du tribunal. Jamal nous avait même dit qu'il regrettait d'avoir porté plainte contre lui. Vous imaginez la gentillesse de ce bonhomme qui a été attaqué avec un couteau et qui regrettait toute cette sale affaire. Des mois plus tard, il y a eu le 11 mars. La police vient arrêter Jamal dans son magasin. Et qui se manifeste ? Ce même fils de chienne de merde de tous les diables ? Cet enfoiré de sa maudite race qui va voir la police pour lui dire qu'il a vu Jamal sortir de la station de train le matin même des attentats. Evidemment, la police saute sur l'occasion et prend ses témoignages pour argent comptant. Et Jamal se retrouve en prison accusé à tort par celui qui l'a poignardé dans le dos et contre lequel il avait gagné un procès. Jamais on n'a parlé de cela dans les journaux. Et pourtant nous avons dit tout cela à la police, à la presse. Mais rien. On a évité de parler de ce sujet. Ils ont leur criminel, ils vont le juger et ils font comme si cette affaire n'avait jamais existé. Pourtant elle est réelle, elle est vraie, elle existe.”
Dans l'entourage de Jamal on confirme cette histoire. Les voisins disent que cela a eu lieu et que le procès est réel et que Saïd existe en chair et en os. Sa mère, malade, écoeurée, refuse de parler. “ Allez vous faire voir ailleurs. Vous êtes inconscients de ce qui se passe. Laissez-moi tranquille”. La mère n'en peut plus de cette presse espagnole “qui ment”, cette presse “ qui dit ce qu'elle veut et qui défigure la vérité ” tout “comme les journaux marocains qui ont recopié ce que les Espagnols ont écrit par ce qu'ils sont incapables de faire leur travail honnêtement. Allez vous faire voir ailleurs et laissez nous tranquilles. Vous enfoncez mes enfants au lieu de chercher à savoir ce qui se passe”.
Retour sur un crime annoncé
“ La police venait souvent voir Jamal. On savait tous qu'un jour ou l'autre ils allaient l'épingler pour une raison ou une autre. Depuis 2001 et l'affaire d'Abou Dahdah, on ne l'a jamais lâché. Pourtant lui vivait comme si de rien n'était ”. Oui, Jamal a été contrôlé sans arrêt. On venait voir ce qu'il avait dans le magasin, sa marchandise était passée au peigne fin. On ne lui laissait aucun répit. Les voisins ne tarissent pas d'histoires et d'anecdotes sur ces descentes de police qui visaient Jamal et son Locutorio de téléphonie mobile : “ Depuis qu'on a arrêté une bonne partie des Marocains du quartier, Saïd Cheddadi, Driss Chebli et d'autres personnes avec Abou Dahdah qui venaient manger dans le restaurant Al Hambra, on en veut beaucoup à Jamal à propos duquel on n'a rien trouvé”.
Jamal Zougam a été appréhendé en 2001 suite à une commission rogatoire mise en place par le juge français Bruguière. Le juge espagnol Baltazar Garzon l'avait interpellé dans le cadre d'une large enquête sur David Courtailler et de ses liens avec le GIA, le Jihad et Al Qaïda. Mais ni Bruguière ni Garzon n'avaient trouvé quoi que ce soit pour inculper Zougam. Après les arrestations de Imad Eddine Barakat Yarkas, de Saïd Cheddadi, de Driss Chebli, de Ossama Darra, de Bassam Dalati Sattut, de Moustapha Mayamouni, d'Abdellatif Mourafik et de tant d'autres activistes présumés d'Al Qaïda en Espagne et en Europe, Jamal s'est avéré vierge. Un homme sur lequel des soupçons planaient mais qui n'avait rien fait qu'on puisse lui reprocher. Il avait trouvé une belle porte de sortie devant des accusations graves qui avaient plongé des Marocains et des Syriens dans une fournaise qaïdiste de tous les diables. Pourquoi on ne l'avait pas écroué ? Simple : le juge Garzon n'avait rien contre lui. Il s'était trompé, il avait fait fausse route. Et en bon magistrat, il a laissé filer Jamal. Libre, acquitté.
“Je me rappelle du jour où la police est venue le chercher. On l'a emmené puis on l'a relâché. On a appris plus tard que le juge Garzon l'avait soupçonné dans cette affaire liée à Abou Dahdah. Mais il n'avait rien contre lui. A sa sortie Jamal m'avait dit que c'était triste ce qui arrivait aux Marocains. Il m'avait même confié qu'il craignait pour sa vie ”. Ce que Abdelghani dit est confirmé par plusieurs personnes qui reviennent avec force détails sur cette arrestation qui avait tourné court.
Une cible extraordinaire
“Nous, on savait qu'il allait payer un jour ou l'autre. On l'avait raté une fois, on n'allait pas le laisser en paix. Quand tu es dans le collimateur de la police espagnole et quand tu es un pauvre Marocain, tu es littéralement dans la merde”. “Jamal le savait. Il me l'avait dit le jour même des attentats : si c'est un Marocain qui est lié à cette affaire, nous sommes tous dans la merde et en premier lieu moi-même”. C'est Abdelilah, le bonhomme de Kénitra, celui qui a une boutique pas très loin de celle de Jamal Zougam et qui le connaît très bien qui nous narre en détail le nombre de fois où son voisin a fait les frais des descentes de la police pour un oui et pour un non. “Il savait que cette histoire allait lui sauter à la figure”. Cette phrase a été relayée par plusieurs lèvres. Jamal savait qu'il était dans la ligne de mire. Pourtant il a continué son bonhomme de chemin pour survivre, vivre, faire comme si. Comment avait-il vécu son implication dans les affaires d'Abou Dahdah ? Comment s'était-il expliqué cette arrestation sommaire et sa relaxation ? Avait-il connu David Courtailler ? Avait-il travaillé pour la cellule espagnole d'Al Qaïda ? Et Abdelaziz Benyaïch, le désormais célèbre jihadiste qui soi-disant l'avait introduit dans le réseau ?
Son père à Tanger dans le bigarré quartier de Beni Makada nous dira qu'il n'en sait rien “ que c'était loin, très loin, mais que son fils avait un fond immuable, un fond bon, celui d'un homme droit qui ne peut pas faire de mal à qui que ce soit ”. Les demi- frères et demi-soeurs diront “ que c'était un frère exemplaire qui veillait sur eux et leur apportait des cadeaux chaque été quand il venait d'Espagne ”. Les voisines de sa mère dans le quartier de la Casbah de Tanger, à Ben Aliyem diront que c'était “ un garçon magnifique,beau et soigné, un homme entre les hommes, un amour de garçon ”. Flou total.
On avance avec beaucoup de flou dans la tête. Jamal était-il ce garçon gentil de Ben Aliyem ou alors l'odieux criminel présenté par la TVE au journal de 20 heures ?
Qui est Jamal Zougam ? Un salopard fini, un criminel invétéré, un “fils de chienne” de tous les diables ? Ou un type bien, un homme simple, un amour de garçon ? Quelle est cette lisière entre ces deux extrêmes ? Peut-on être à la fois l'ange et le diable ? L'amour et la haine ? Innocent et coupable ? Citoyen du monde et terroriste ? Lavapiès et Al Qaïda ? Le bel Apollon de l'été au bord de l'eau, sur la crête des vagues et le boucher d'Atocha et de Santa Eugenia ?
“C'est lui, on vous le dit”
On désespère de savoir de quel bord déchiqueté de la vérité se situe l'histoire de Jamal Zougam. On ne sait pas lire cette histoire écrite, un point à l'endroit un point à l'envers, où le personnage principal est tantôt décrit comme un homme de bien, tantôt comme un homme de mal. On se résout à lire entre les lignes de la procédure policière standard avec ses faux pas, ses a priori, ses ratages.
On va voir un haut dignitaire de la sécurité nationale ibérique. Un homme de droite. Un homme aux convictions fermes et arrêtées. “ il est le principal accusé. Il est l'auteur matériel des attentats”. Comment vous prouvez tout cela ? “ Il y a des preuves solides. Je vous le dis, il est coincé et c'est lui et ses amis”. Il est cuit avec des preuves que l'on doit attendre jusqu'au jour où le bon vouloir de la justice espagnole veuille bien nous les révéler. Le bon sens voudrait que quand on a du solide sur un terroriste de le révéler au grand jour. Dans le cas de Jamal on joue aux devinettes. Il faut attendre la fin des enquêtes et on saura tous que c'est lui. Pour le moment, il faut croire. Croire ce que la police nous dit. Ne pas douter un seul instant de la parole magique d'une police qui selon la presse cafouille et raconte parfois n'importe quoi. Ce sont pourtant les mêmes fuites judiciaires qui ont fait dire aux journaux espagnols que Mohamed Bekkali était mort dans l'explosion suicide de Léganes. Ce sont les mêmes sources qui font dire aux grands quotidiens espagnols que les frères Cheddadi sont encore en prison alors qu'ils sont relâchés depuis au moins un mois. Ce sont les mêmes infiltrations qui révèlent faussement au grand monde que le Tunisien Serhan Fakhet avait eu une conversation avec le Marocain Amer Azizi avant les attentats pour lui demander de l'aide. Selon le plus haut gradé de la sécurité espagnole, cette conversation est une invention de la presse car elle n'a jamais eu lieu ni existé. Qui croire ? La police ? La presse ? La rue ? Les trois trinités tutélaires du mensonge et de la vérité suprêmes ? “Amer Azizi n'a jamais figuré sur nos listes. On n'a rien sur lui. C'est plutôt une analyse qui nous a mis sur sa piste. Mais concrètement, nous n'avons rien contre lui. On suit sa piste au cas où”. Au cas où. Comme si la vie des gens était un terrain de chasse. Amer est-il impliqué ou non ? L'a-t-il fait ou non ? Voilà la question qui ne trouve aucune réponse. Et pourtant quand vous débarquez dans l'aéroport de Barajas à Madrid, on vous souhaite la bienvenue avec la photo de Amer Azizi , le Marocain afghan, comme un indicateur de la température de tout un pays. On vous fait peur, on vous avertit, on vous tient au courant.
La mosquée M-30 et ses hommes
“Jamal habite pas loin d'ici. On le voyait presque tous les jours. Ce n'était pas un adepte de la prière quotidienne à la mosquée mais quand il pouvait il venait nous voir. C'est un homme bien. Et ce que dit la police espagnole sur lui est un ramassis de mensonges. Il n'a pas fait ce qu'on lui reproche. On le cherchait depuis longtemps. Là, il est tombé. Il va donc payer quoi que puisse être la vérité”. Dans la mosquée M-30 Jamal fait figure de victime. C'est tout au plus un pauvre gars qui s'est fait avoir parce que “ la police espagnole n'avait personne à se mettre sous la dent ”. “ Si on avait arrêté un Colombien au départ, on aurait raflé chez les Colombiens ”. Ici à la sortie autoroutière de la ville, Jamal et les Marocains sont très connus. On parle d'eux, on évoque leurs souvenirs, on les pleure presque. “Avez-vous lu une seule preuve dans un journal ? Les empreintes peuvent être falsifiées, le témoignage de ce Marocain qui l'a plongé peut être faux et surtout il ne faut pas oublier qu'on l'avait déjà arrêté en 2001 et qu'on l'avait relâché. C'est une proie idéale”. On pose alors la question sur le lien entre le Tunisien et Zougam. “Rien. On connaît les deux, mais on ne les a jamais vus ensemble”.
Pourtant, la police ne s'est jamais posée la question sur le lien entre les deux hommes. Serhan Fakhet était présenté comme la tête pensante . Jamal comme la tête pendante. Jamal Ahmidan dit El Chino (Le Chinois) comme la tête pensante. Amer Azizi comme la tête pensante. Karim El Mejjati comme la tête pensante. Qui est cette cheville ouvrière ? Cette hydre aux multiples têtes pour massacrer tant de victimes innocentes sur l'autel de la haine et du crime ?
Non, ce sont tous ces hommes à la fois. Pourtant, la police a poussé des cris d'orfraie en jouxtant à maintes reprises les noms de Azizi, Zougam, Fakhet, Ahmidan, Benyaïch, Courtailler, Abou Dahdah, Abdellah Khayata Kattan, Mohamed Neddl Akaaid, Jasem Mahboule, Ossama Darra, Driss Chebli, Ramzi Ben Al Chbih, José Youssef Galan Gonzales, Parlindungan Siregar… “Jamal venait prier ici. Azizi aussi, Abou Dahdah aussi. Mais de là à dire que ce sont des terroristes à la solde de Ben Laden, il y a loin”. “Amer Azizi a pris une fois la parole lors de la prière de l'absent à la mémoire du président de la Syrie Hafez Al Assad en disant que c'était un homme qui ne méritait pas qu'on prie sur sa mémoire. La presse espagnole a grossi l'affaire en en faisant un énorme conflit avec le centre islamique de Madrid et l'Imam de la mosquée. Ce n'est pas vrai. Amer a parlé, on lui a signifié qu'il devait obéir aux règles de la mosquée, il a accepté et les choses étaient rentrées dans l'ordre ”. Ce que dit ici le docteur Mohamed El Afifi, le porte–parole du centre islamique de Madrid et de la mosquée M-30, est relayé par l'imam Mouneir Al Masseiry et tant d'autres fidèles qui avaient assisté à cette scène gonflée par les médias pour servir Azizi sur un plateau d'or à la police espagnole qui elle-même dit ne rien avoir sur lui.
Zougam doit-il plonger ?
Dans un sens, c'est logique. La police espagnole n'a personne en dehors de lui pour étayer ses thèses sur une filière marocaine. Il est la cible idéale pour d'un côté contenter l'opinion publique qui se demande comment on a pu laisser un terroriste en puissance libre après l'avoir capturé une fois en 2001. La réponse est dure face à une question aussi simple. Il était coupable, mais le juge Garzon ne savait rien. Il ne l' était pas, et il l'est devenu depuis ?.
Dans les deux cas, la vérité est difficilement cernable. Si on convient qu'il était coupable alors la justice espagnole a failli en le laissant en liberté surtout que les homologues marocains avaient déjà averti que ce même Zougam était un personnage dangereux. S'il est devenu coupable après coup, après ce fameux septembre 2001, alors ce Jamal est un sacré numéro qui, au lieu de se terrer, a repris du poil de la bête pour devenir un second couteau de grande envergure. Cette dernière thèse ne trouve aucun crédit aux yeux du voisinage et des amis. Jamal depuis 2001 est devenu plus calme, a pris ses distances avec les Musulmans radicaux, fréquentait moins les mosquées, veillait à ce que l'on ne dise de lui que du bien. Il a rasé sa barbe, il est devenu plus moderne, les cheveux longs, l'apparence plus actuelle ; le tout clean et très au-delà des soupçons. Un leurre donc ? La poudre aux yeux ? Un subterfuge machiavélique? Qui sait…?


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