Affaire Gaouar Mustapha Gaouar, fondateur des cafés Gaouar s'est éteint vendredi 9 janvier 2004 en France. Celui dont le nom restera lié à cette marque ne verra pas l'épilogue de ce qui est devenu aujourd'hui "l'affaire Gaouar". Mais ce combat n'est pas pour autant terminé. L'activité que Mustapha Gaouar a développé a été une réussite unanimement reconnue, puisque le café commercialisé sous la marque Gaouar par sa société, Ennasr, était le plus vendu dans le royaume. Pourtant, ce succès n'a pas apporté que du bonheur à l'homme. Bien au contraire, il n'a pas été sans lui causer de grands ennuis, lui et sa progéniture. Issue d'une famille qui importe, négocie et torréfie du café depuis 1860, il en a mené une branche au Maroc. Ce fut en 1956, date à laquelle il a démarré l'exploitation des Cafés Gaouar. Tout allait bien comme dans un conte de fées jusqu'en 1981 quand le père Gaouar entreprend une ouverture de son capital au profit de Omar Berrada, son ex-expert comptable, et d'un autre associé, Sâad Kettani en l'occurrence. Les rapports entre Berrada et Gaouar iront de mal en pis. Omar Berrada rachète alors les parts du deuxième associé pour se retrouver avec le contrôle de la moitié du capital de la société avant de reprendre en 1983 l'affaire familiale, mais cette fois-ci dans sa totalité. Pour sceller le rachat, une convention fut signée : elle interdisait au fondateur toute activité de torréfaction en échange d'une obligation d'approvisionnement exclusif des Cafés Ennasr auprès de Promocaf, une entreprise de négoce de café vert détenue par la famille Gaouar. Mustapha Gaouar, malade, espérait par cet accord assurer ses gardes. Mais ce ne sera pas pour longtemps : au repreneur qui a annulé ses commandes de café vert auprès du fondateur de Gaour, ce dernier n'hésitera pas à répliquer en réinvestissant le marché de la torréfaction. Bien que chacune des deux parties n'ait pas respecté ses obligations, la justice, sur plainte pénale d'Omar Berrada, enverra en septembre 1985 Mustapha Gaouar et deux de ses fils (Mohamed Kamel et Mounir) en prison pour dit-elle avoir violé leur engagement. Ils sont accusés d'escroquerie, d'imitation et concurrence déloyale. La sentence du tribunal de première instance de Casablanca fut lourde. Son jugement prononcé au mois de décembre de la même année condamnait Mutapha et Mohamed Kamel à deux ans de prison ferme et Mounir à une année de prison ferme. De surcroît, elle les assignait à verser des indemnités importantes à la partie adverse. Interjetant appel, ils ont tous été libérés… provisoirement. Pendant la période séparant la condamnation en première instance et l'acquittement prononcé en appel, le 11 janvier 1986, en échange du retrait de la plainte de Berrada, la société Promocaf lui fut cédée. En outre, une convention faisant renoncer définitivement la famille Gaouar à l'exercice de toute activité liée au traitement du café fut à nouveau établie. Cet accord prive éternellement le fondateur de Gaouar et sa descendance du droit de torréfier. Cet accord ne tiendra la route que 12 ans. Pendant toute cette durée, Mustapha Gaouar, gravement malade, n'a pu que se résigner à voir ses cinq fils quitter le Maroc, leur pays d'adoption pour aller gagner leur vie en France. En effet, en 1998, à la faveur du retour d'un de ses fils au Maroc, Farid en l'occurrence, Mustapha Gaouar invoquait la clause d'arbitrage contenue dans la convention du 11 janvier 1986 et saisissait Saïd El Khattabi, fils du célèbre nationaliste marocain Abdelkrim El Khattabi et dont le nom avait été arrêté d'un commun accord par les parties pour y recourir en cas de litige. Par sentence arbitrale en date du 4 août 1998, El Khattabi considéra notamment que "vu les circonstances qui ont prévalu, lors de la signature de la convention du 11 janvier 1986, suite à l'incarcération de Mustapha Gaouar et de ses deux enfants, l'interdiction absolue et définitive sur le sol marocain, prévue dans la convention du 11 janvier, est une clause inéquitable et incompatible avec les droits de l'homme, notamment avec le droit qu'a ce dernier d'exercer l'activité dans l'environnement où il a grandi et vécu depuis son enfance". Et de conclure : "Nous considérons en conséquence cette clause n'ayant jamais existé, et ordonnons par conséquent son annulation et autorisons Mustapha Gaouar et son groupe à reprendre une activité de torréfaction du café…". Omar Berrada tente d'obtenir l'annulation de cette sentence. En vain, puisque la Cour d'appel de Casablanca l'a purement et simplement confirmé. En 2001, Berrada trouve un repreneur pour la société Ennasr qu'il cède pour 30 millions de dollars à la société Kraft Foods International, filiale alimentaire de la multinationale Philips Morris. Il n'empêche que Farid Gaouar, au courant de cette même année 2001 et fort de la sentence prononcée, va s'atteler à perpétuer la tradition familiale. Quatrième génération dans la descendance de la famille Gaouar, ce médecin de formation, réinvestit le marché de la torréfaction par le biais d'une nouvelle usine du nom de Gamucaf. Et d'autre part, il n'hésite pas à demander à la justice, au nom de sa famille, de statuer au sujet des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par les Gaouar sur la base du rapport établi par des experts désignés par la Cour. Ainsi, il lance une nouvelle marque "Cléopâtre". C'est pour justement entretenir le lien entre le métier que sa famille a toujours exercé depuis des générations et le mythe de Cléopâtre qu'il appela ainsi sa nouvelle marque. L'investissement dans la nouvelle usine ultra-moderne atteindra les 21 millions de dirhams. Il a été financé à hauteur de 70 % par des crédits bancaires et 30 % par fonds propres. Aujourd'hui, Farid se bat sur deux fronts. Obtenir gain de cause dans l'affaire de dédommagement de la famille et faire de son usine un fleuron dans le domaine de la torréfaction au Maroc. Un combat rude contre une partie défenderesse qui invoquait la prescription de l'action pour le motif qu'elle a été introduite après plus de seize ans. Un élément qui n'a pas été pris en considération par la Cour d'appel de commerce qui considéra dans son jugement du 26 juin 2003 l'action recevable en la forme et désigna Mohamed Siba et Mohamed Krimi comme experts tenus d'évaluer le montant de l'indemnité.Mustapha Gaouar ne verra pas l'épilogue de ce qui est devenu aujourd'hui "l'affaire Gaouar" mais ses fils restent déterminés à recouvrer le préjudice matériel car le dommage moral est inestimable.