Le feuilleton judiciaire, vieux de 22 ans, opposant la famille Gaouar à Omar Berrada et la société Kraft Foods Maroc, n'a pas fini d'étonner par ses multiples rebondissements. Le plus récent remonte à la dernière semaine du mois de mars 2008, au cours de laquelle Omar Berrada a publié un communiqué dans la presse annonçant le dénouement du litige de l'affaire Gaouar en sa faveur. Ce que les héritiers de Mustapha Gaouar balaient d'un revers de la main… Clôturant définitivement un feuilleton de plusieurs années, la décision de la Cour Suprême rendue le 3 octobre 2007, en confirmant la décision de la Cour d'Appel de Casablanca en date du 8 juillet 2005, a débouté la famille Gaouar de toutes ses demandes à l'égard de Monsieur Omar Berrada et de la société Kraft Foods Maroc (ex-cafés Ennasr)», dixit le communiqué de Omar Berrada paru dans la presse durant la dernière semaine de mars dernier. Serait-ce donc la fin du feuilleton judiciaire Gaouar ? Pour la famille Gaouar, le différend l'opposant à Omar Berrada n'est nullement terminé et aucun dénouement final des litiges de l'affaire n'est intervenu. «Le dossier est toujours entre les mains de la Justice, en qui la famille Gaouar fait toujours pleine et entière confiance pour être rétablie dans ses droits légitimes, et voir Omar Berrada respecter et honorer les obligations, objet de la convention du 4 novembre 1982 qui l'oblige à s'approvisionner exclusivement en café vert auprès de la famille Gaouar», dit-elle. En effet, pour comprendre le feuilleton Gaouar, il faut remonter à la source de l'histoire. Issu d'une famille qui importe, négocie et torréfie du café depuis 1860 en Algérie, Mustapha Gaouar a exporté une des branches de l'entreprise au Maroc. L'activité que cet héritier du savoir-faire de maîtres torréfacteurs a développée a été une réussite unanimement reconnue, puisque le café commercialisé sous la marque Gaouar par sa société Ennasr était le plus vendu dans le Royaume. Aux origines du litige C'est en 1956 qu'il a démarré l'exploitation des Cafés Gaouar. Tout allait bien jusqu'en 1981, quand le père Gaouar, secoué par une crise de diabète et prenant de plus en plus conscience que sa santé ne lui permettait plus de se consacrer complètement aux affaires, entreprit une ouverture de son capital au profit de deux de ses amis de l'époque, Omar Berrada, son ex-expert comptable, et d'un autre associé, Sâad Kettani. Les rapports entre Berrada et Gaouar iront de mal en pis. Omar Berrada rachète alors les parts du deuxième associé pour se retrouver avec le contrôle de la moitié du capital de la société, avant de reprendre en 1983 l'affaire familiale, mais cette fois-ci dans sa totalité. Pour sceller le rachat, une convention fut signée : elle interdisait au fondateur toute activité de torréfaction en échange d'une obligation d'approvisionnement exclusif des Cafés Ennasr auprès de Promocaf, une entreprise spécialisée dans l'importation et la torréfaction de café détenue par la famille Gaouar. Feu Mustapha Gaouar, malade à l'époque, espérait par cet accord assurer ses gardes. Mais ce ne sera pas pour longtemps : au repreneur qui a annulé ses commandes de café vert auprès du fondateur de Gaouar, ce dernier n'hésitera pas à répliquer en réinvestissant le marché de la torréfaction. Bien que chacune des deux parties n'ait pas respecté ses obligations, la justice, sur plainte pénale d'Omar Berrada, enverra en septembre 1985 Mustapha Gaouar et deux de ses fils (Mohamed Kamel et Mounir) en prison pour, dit-on, avoir violé leur engagement. Ils sont accusés d'escroquerie, d'imitation et concurrence déloyale. La sentence du tribunal de première instance de Casablanca fut lourde. Son jugement prononcé au mois de décembre de la même année condamnait Mutapha et Mohamed Kamel à deux ans de prison ferme et Mounir à une année de prison ferme. De surcroît, elle les assignait à verser des indemnités importantes à la partie adverse. Interjetant l'appel, ils ont tous été libérés… provisoirement. Pendant la période séparant la condamnation en première instance et l'acquittement prononcé en appel, le 11 janvier 1986, en échange du retrait de la plainte de Berrada, la société Promocaf lui fut cédée. En outre, une convention faisant renoncer définitivement la famille Gaouar à l'exercice de toute activité liée au traitement du café fut à nouveau établie. Cet accord prive durablement le fondateur de Gaouar et sa descendance du droit de torréfier ! Cet accord ne tiendra la route que 12 ans. Pendant toute cette durée, Feu Mustapha Gaouar, gravement malade, n'a pu que se résigner à voir ses cinq fils quitter le Maroc, leur pays d'adoption, pour aller gagner leur vie en France. Péripéties devant la justice En 1998, à la faveur du retour d'un de ses fils au Maroc, Farid en l'occurrence, Mustapha Gaouar invoquait la clause d'arbitrage contenue dans la convention du 11 janvier 1986 et saisissait Saïd El Khattabi, fils du célèbre nationaliste marocain Abdelkrim El Khattabi, dont le nom avait été arrêté d'un commun accord par les parties comme recours en cas de litige. Par sentence arbitrale en date du 4 août 1998, El Khattabi considéra notamment que «vu les circonstances qui ont prévalu, lors de la signature de la convention du 11 janvier 1986, suite à l'incarcération de Mustapha Gaouar et de ses deux enfants, l'interdiction absolue et définitive sur le sol marocain, prévue dans la convention du 11 janvier, est une clause inéquitable et incompatible avec les droits de l'homme, notamment avec le droit qu'a ce dernier d'exercer l'activité dans l'environnement où il a grandi et vécu depuis son enfance». Et de conclure : «nous considérons en conséquence cette clause comme n'ayant jamais existé, et ordonnons par conséquent son annulation et autorisons Mustapha Gaouar et son groupe à reprendre une activité de torréfaction du café…». Omar Berrada tente d'obtenir l'annulation de cette sentence. En vain, puisque la Cour d'appel de Casablanca l'a purement et simplement confirmée. En 2001, Berrada trouve un repreneur pour la société Ennasr qu'il cède pour 30 millions de dollars à la société Kraft Foods International, filiale alimentaire de la multinationale Philips Morris. Il n'empêche que Farid Gaouar, au courant de cette même année 2001 et fort de la sentence prononcée, va s'atteler à perpétuer la tradition familiale. Quatrième génération dans la descendance de la famille Gaouar, ce médecin de formation, réinvestit le marché de la torréfaction par le biais d'une nouvelle usine du nom de Gamucaf. Et d'autre part, il n'hésite pas à demander à la justice, au nom de sa famille, de statuer au sujet des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par les Gaouar sur la base du rapport établi par des experts désignés par la Cour. Ainsi, il lance une nouvelle marque «Cléopâtre». C'est pour justement entretenir le lien entre le métier que sa famille a toujours exercé depuis des générations et le mythe de Cléopâtre qu'il appela ainsi sa nouvelle marque. Depuis, rien ne semblait venir trancher définitivement ce vieux litige, si ce n'est ce communiqué d'Omar Berrada, qui, loin de clore le dossier, semble en revanche le relancer. En effet, réagissant à la sortie médiatique d'Omar Berrada, la famille, contactée par Challenge Hebdo, estime que la vérité se trouve ailleurs. «Contrairement aux allégations de Omar Berrada, la famille Gaouar n'a jamais revendiqué la marque «Gaouar» d'une part. D'autre part, l'arrêt de la Cour d'appel Commerciale du 15 avril 2004 n'a pas débouté la famille Gaouar. Bien au contraire, elle remet les parties en l'état, c'est-à-dire qu'elle remet la famille Gaouar dans l'état où elle se trouvait avant la convention de janvier 1986, avant qu'elle ne soit arbitrairement emprisonnée puis spoliée et privée d'exercer son activité ancestrale, la torréfaction de café», martèle-t-elle. En fait, c'est pratiquement tous les points du communiqué d'Omar Berrada que démentent les héritiers de Feu Mustapaha Gaouar. Accusations de mensonge Point par point, ils ont tenté de «démonter» ce qu'ils considèrent comme un article de presse dénommé communiqué, sous le titre «dénouement de l'affaire Gaouar». Contrairement aux allégations d'Omar Berrada, qui dénonce «le caractère mensonger des Gaouar» à travers son communiqué, les héritiers précisent que «tous les mensonges sont une fois de plus son fait coutumier». Ainsi, selon eux, leur famille détenait deux sociétés, Promocaf et Ennasr, qui avaient le même objet social, à savoir l'importation et la torréfaction de café. Mieux encore, soulignent-ils, la société Ennasr n'était nullement «une unité artisanale avec un torréfacteur obsolète». Et de rappeler que cette entreprise était le leader incontesté des importations de café vert entre 1961 et 1979, selon même les statistiques des Douanes. «Concernant la torréfaction, la société Ennasr était la première à avoir introduit le process de fabrication du café sous vide en Afrique, en avance sur bien des pays européens et prenant une avance d'au moins dix ans sur tous ses concurrents au Maroc, sa capacité de torréfaction représentait 50% de la consommation totale nationale», disent-ils. Ce n'est pas un hasard, poursuivent-ils, si le succès de la famille Gaouar dans le secteur du café a attisé les convoitises d'Omar Berrada, qui a délaissé son métier d'expert-comptable pour s'accaparer la société Ennasr. «Mustapha Gaouar, et non la famille Gaouar, contrairement aux allégations d'Omar Berrada, a signé à titre personnel un engagement de non-rétablissement. En contrepartie, Omar Berrada s'est engagé par convention du 4 novembre 1982 à s'approvisionner en café vert exclusivement auprès de la société Promocaf (Gaouar). Cet engagement ne sera jamais respecté par Omar Berrada». Ce que les héritiers Gaouar assimilent aujourd'hui à une fuite en avant a amené Omar Berrada à céder sa société à Kraft Foods Maroc (KFM) «par crainte des retombées suite aux décisions judiciaires précitées, en se gardant bien d'informer KFM du lourd passif humain et du contentieux réel avec la famille Gaouar, comme confirmé par KFM devant les tribunaux». Et de tenter d'apporter une précision de taille : «les consorts Gaouar, contrairement à ce qu'affirme Omar Berrada dans son communiqué, n'ont pas assigné Omar Berrada et KFM pour tenter d'obtenir réparation d'un prétendu préjudice, mais bel et bien pour les faire condamner pour avoir été privés par la violence d'exercer leur activité de café et pour chiffrer le montant du préjudice qui en découle selon la sentence arbitrale». En plus clair, selon les héritiers de Gaouar, Omar Berrada est tenu de garantir tout le passif né sous sa gestion. En effet, selon certaines sources, KFM détiendrait entre ses mains 10 millions de dollars au titre de la garantie du passif. Quid de KFM ? «KFM a pris fait et cause pour Berrada et nous nous réservons le droit de dénoncer cette attitude le moment venu», précisent les héritiers.