Indicateurs sociaux du Maroc On sait que le palmarès du Maroc en matière d'indicateurs de développement humain est plus que médiocre. Selon le rapport 2003 du PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement), le Maroc a dégringolé à la 126 ème place sur les 173 pays étudiés. Dans ce cadre, la DPEG (Direction de la politique économique générale, ministère des Finances et de la privatisation) vient de rendre public un tableau de bord qui retrace l'évolution des principaux indicateurs sociaux du pays. Il en ressort que des progrès ont été enregistrés ici ou là, mais le Maroc reste globalement loin des performances de l'échantillon des pays de comparaison. Depuis un certain temps, on ne mesure plus le niveau de développement économique d'un pays seulement sur les indicateurs économiques, tels que le PIB par habitant ou le taux de croissance annuel de cette grandeur. On commence à prendre en considération d'autres paramètres à caractère social. On a, en effet, réalisé que la croissance n'était pas nécessairement synonyme de développement tant que la répartition des fruits de cette croissance ne bénéficie pas à l'ensemble de la population, car elle peut être génératrice de graves inégalités sociales, entraînant une extension de la pauvreté et de l'exclusion. Le bien-être de cette population a commencé à être également pris en considération, d'où l'attention accordée de plus en plus à la mesure et l'évolution de certains indicateurs sociaux parmi lesquels figurent principalement l'éducation, la santé, l'activité et les conditions de vie. Depuis que la DPEG a mis en place en 1997 un tableau de bord qui retrace l'évolution des indicateurs sociaux, le Maroc a certes enregistré quelques avancées. Mais, dans l'ensemble, elles demeurent insuffisantes et leur impact sur l'économie et la société marocaines ne se fera sentir qu'à moyen et long terme. D'autre part, l'aspect quantitatif semble privilégié par rapport à la qualité comme c'est notamment le cas en matière d'éducation et de santé. Tout le monde s'accorde pour déplorer la baisse continue du niveau de l'enseignement (largement inférieur à la moyenne des normes internationales) et la qualité des soins prodigués aux populations qui font appel au système de santé publique. Progrès quantitatifs D'une manière générale, les données chiffrées révèlent que les principaux secteurs sociaux ont globalement enregistré des progrès. Ainsi, le taux de croissance démographique ralentit depuis trois décennies. Il est passé de 2,6 % entre 1971 et 1982 à 1,6 % actuellement. Cette évolution a des répercussions économiques et sociales évidentes (scolarisation, emploi, retraites…). Mais ce taux place le Maroc en deuxième position dans l'échantillon de comparaison constitué de dix pays émergents (Chili, Corée, Indonésie, Irlande, Malaisie, Mexique, Pologne, Portugal, Tunisie et Turquie). Les forts taux de croissance démographique des décennies antérieures ont provoqué une progression de la population active, dont le rythme annuel est passé de 3 % en moyenne entre 1982 et 1994 à 3,3 % entre 1995 et 2002. Taux supérieurs à ceux de la croissance de la population totale. D'où l'apparition d'un chômage important dû en grande partie à la faible extension du tissu productif national et au manque de qualification de la population active, y compris les diplômés chômeurs, victimes du manque de l'adéquation formation-emploi. En effet, 74 % des travailleurs ne disposent d'aucun diplôme et 15,5 % ont un niveau ne dépassant pas celui de la formation fondamentale. Quant au chômage, il atteignait 11,6 % de la population active nationale. Bien qu'en régression depuis 1995, le chômage demeure élevé puisqu'il s'agit d'une moyenne nationale. Or, c'est le chômage en milieu urbain qui est significatif, car le monde rural est surtout caractérisé par le sous-emploi plus difficile à mesurer. Bien qu'en régression depuis 1999, le chômage urbain atteint près de 20 % en 2003 et frappe en particulier les jeunes et les diplômés. Autre caractéristique fondamentale du marché de l'emploi : l'importance du secteur informel qui joue un rôle important dans l'atténuation du phénomène du chômage. Les unités de production informelles contribuent à hauteur de 46,8 % à l'emploi non agricole (hors Administrations publiques), 39 % à l'emploi non agricole total et de 20,3 % à l'emploi total. Les indicateurs dans les domaines de l'éducation et de la santé révèlent une progression quantitative. Ainsi, en matière d'éducation, l'accent a été mis sur le premier cycle de l'enseignement fondamental où le taux de scolarisation des enfants de 6-12 ans est passé de 68,6 % en 1997-98 à 87 % en 2002-2003 (alors qu'il dépasse 97 % dans presque tous les pays de l'échantillon). Cette amélioration a concerné surtout le milieu rural et les filles dont le taux de scolarisation est passé de 44,6 % à 82,2 % pour la même période. Le secteur de la santé a enregistré de son côté certains progrès. Le taux brut de mortalité a été réduit de 8,2 % en 1987 à 5,6 % entraînant une augmentation de l'espérance de vie de 59,1 ans en 1980 à 68,4 ans en 2002. La mortalité infantile au niveau national a baissé passant de 91 pour mille en 1980 à 37 pour mille en 1997, contre seulement 5 pour mille pour la Corée et de 6 pour mille pour l'Irlande et le Portugal. Réduire les inégalités sociales De même, l'encadrement sanitaire a évolué dans un sens positif, mais il demeure insuffisant, plaçant le Maroc à l'avant dernière position avant l'Indonésie. Au cours des vingt dernières années, le nombre d'habitants par médecin a fortement baissé, passant de 11.000 à 2123, contre 321 au Portugal par exemple. Cette baisse a concerné également le nombre d'habitants par infirmier (1115 en 2002 contre 1225 en 1982). De même, les dépenses de santé publique (4,5 % du PIB) placent le Maroc dans le même rang que pour l'encadrement médical. Par ailleurs, les soins de base, notamment préventifs, ont enregistré une avancée significative. C'est le cas des campagnes nationales de vaccination contre les six principales maladies où le taux de vaccination a dépassé les 90 % chez les enfants de 12 à 23 mois. De même, au niveau de la santé maternelle, l'extension du concept de maternité sans risque a permis l'augmentation du nombre d'accouchements sous surveillance médicale de 26 % en 1987 à 45,6 % en 1999. Mais, deux problèmes majeurs subsistent : l'analphabétisme et la pauvreté. Les efforts fournis par les pouvoirs publics et la société civile dans le cadre de la lutte contre l'analphabétisme n'ont permis qu'une décrue limitée de ce fléau qui continuera de handicaper le développement pendant quelques lustres encore. Estimé à 45 % aujourd'hui, les pouvoirs publics envisagent d'abaisser le taux d'analphabétisme à 20 % en 2010, pour l'éradiquer à l'horizon 2015. Quant à la pauvreté, elle a connu une progression alarmante dans la décennie 1990, passant de 13 % de la population en 1991 à 19 % en 1999. En l'absence de toute nouvelle enquête à ce sujet, il serait hasardeux de pronostiquer une évolution quelconque de ce taux, bien que la lutte contre ce phénomène tienne une assez grande part dans le discours officiel. Mais, faute de croissance forte et soutenue et de politique volontariste de réduction des inégalités sociales de plus en plus intolérables, on peut raisonnablement admettre que dans le meilleur des cas la pauvreté demeure au même niveau. En témoigne, d'une part, l'évolution du revenu réel par habitant qui affiche un ralentissement, passant de 2,5 % entre 1984 et 1990 à seulement 1 % entre 1992 et 2002. A ce rythme de progression du PIB par habitant, il faudrait plus de 50 ans pour que le citoyen marocain double son revenu. D'autre part, l'enquête sur le niveau de vie des ménages 1998-1999, qui montre que les 20 % de la population la plus aisée s'accapare 55,4 % du revenu national alors que les 20 % les plus pauvres ne bénéficient que de 4,1 % des revenus. Or, il est admis actuellement que sans réduction de la pauvreté et des inégalités sociales, il ne saurait y avoir de croissance forte et soutenue ni de développement durable. Larbi Kabiri