Importations sauvages L'opération coup de poing menée par la Douane en février dernier contre des importateurs de biscuiterie et confiserie ne rassure pas bon nombre d'opérateurs économiques sur la réelle volonté de cette administration de contrecarrer les pratiques déloyales telles que le dumping. Lors d'une réunion avec les exportateurs, le Premier ministre a affiché sa volonté de prendre ce dossier en main. Si la Douane a entrepris dans un passé récent des efforts considérables pour faciliter la vie aux exportateurs et aux importateurs, il s'avère aujourd'hui qu'elle fait preuve d'un certain laxisme inquiétant. Cette indulgence concerne surtout le contrôle des importations de produits qui inondent le marché national actuellement. Le constat est partagé par plusieurs opérateurs économiques. Certains vont même jusqu'à tirer la sonnette d'alarme. Il est vrai qu'une administration comme la Douane ne peut pas atteindre la perfection. Mais, les faits sont têtus. “Force est de constater que le marché national subit l'invasion d'importations sauvages avec tout ce que cela implique comme pratiques déloyales : dumping et sous-facturation…”, souligne-t-on auprès de l'Asmex (Association marocaine des exportateurs). “Ce qui se traduit par un manque à gagner pour plusieurs secteurs-clés de l'économie nationale”, est-il ajouté. Une chose est sûre : la politique suivie par la Douane est loin de rassurer bon nombre d'opérateurs. L'opération “coup de poing” entamée en février dernier par l'administration visant à exercer un contrôle plus strict des importations de produits de biscuiterie est qualifiée comme étant une action conjoncturelle. Alors, ce qui est demandé par les producteurs nationaux, c'est une action dans la durée sans que cela prenne l'allure d'une complication pour les importateurs en règle. Retour aux faits. Face au lobbying des industriels locaux, la Douane a instauré en février 2003 une taxe de 80,52% sur la base d'un prix plancher de 34 DH le kilo/prix départ usine pour l'importation des produits de biscuiterie turcs. Dans une note datant de février dernier, la direction générale de la Douane a invité l'ensemble des services régionaux à redoubler de vigilance pour contrecarrer toute manipulation à la baisse des valeurs déclarées de ces produits. Les opérateurs locaux s'inquiètent L'initiative est louable, mais elle n'a pas couvert l'ensemble des importations, du moins douteuses. Cette démarche ne convainc pas les producteurs locaux de la réelle volonté de la Douane à limiter les pratiques frauduleuses de certains importateurs. Même s'il n'avait pas été à l'ordre du jour, le contrôle des importations a été abordé lors de la réunion tenue entre le Premier ministre, Driss Jettou avec l'Asmex, le 18 décembre dernier. L'essentiel des secteurs a été représenté lors de cette rencontre. A l'issue de cette réunion, le Premier ministre a confirmé l'intention de son gouvernement de concrétiser plusieurs réformes en pipe, notamment celle liée à la lutte contre les pratiques déloyales à l'étude au secrétariat général du gouvernement. A ce sujet, le président de l'Asmex, Mohamed Tazi, a fait connaître les propositions de son association. Parmi les recommandations figure la création d'un observatoire du commerce extérieur. La volonté politique existe donc pour faire face à la concurrence déloyale. En attendant des mesures concrètes, les importations sauvages continuent de submerger le marché. Selon Abdellah Yacoubi, DG de la société Magma, “si la Douane est beaucoup plus vigilante au niveau des exportations, concernant les importations force est de constater que malgré les efforts entrepris, seulement 10% des produits subissent un contrôle strict”. Et d'ajouter que “ce n'est pas uniquement l'administration des Douanes qui doit être mise en cause. La vigilance doit être observée à tous les niveaux. A commencer par les pouvoirs publics à travers la mise en place d'un arsenal juridique, jusqu'aux consommateurs”. “Il faut se poser la question : que voulons-nous de la Douane?”, s'interroge-t-il. “Il ne s'agit pas de demander une chose et son contraire”, fait-il remarquer. En d'autres termes, il ne faut pas demander à cette administration d'être flexible et en même temps imposer un contrôle strict. L'attention doit être accordée à la lutte contre les pratiques frauduleuses, telles que la sous-facturation et le dumping impliquant aussi bien les importateurs de mauvaise foi et leurs fournisseurs. Sur ce sujet, Abdelali Berrada, DG de l'Amith a une position bien tranchée. Il constate que “d'un côté, on s'acharne sur les entreprises structurées exportatrices pour régulariser leur passif, et de l'autre on montre un laxisme au niveau des importations”. “C'est de cette manière qu'on laisse l'informel se développer”, conclut-il. Si le Maroc a signé les accords de l'OMC qui se sont soldés par la suppression de prix de référence, cela n'a pas été accompagné, contrairement à d'autres pays, par des mécanismes dont l'objectif est de contrecarrer les pratiques frauduleuses comme le dumping. “De même que l'absence de normes d'étiquetage permettant de suivre la traçabilité des produits fait qu'il est difficile de faire face à ces pratiques”, fait-il remarquer. “Ouverture ne veut pas dire anarchie”. Pour aller plus dans le détail, il y a lieu de relever que seule la Douane a la latitude d'évaluer la vraie valeur marchande des produits importés (ce qui est prévu dans le cadre des accords de l'OMC). Pour Abdelali Berrada, cette administration dispose de tous les moyens (outils informatiques, statistiques…) pour réussir cet exercice. L'expertise est donc bien là. Comment alors expliquer cette indulgence qui permet à certains opérateurs d'importer aux prix qu'ils veulent, pour reprendre l'expression du DG de l'Amith. Explications : depuis presque trois ans, l'administration de la Douane a installé un contrôle sélectif. Ce qui fait que 85 jusqu'à 90% des importations sont contrôlées sur la base de documents fournis. C'est lorsque la Douane a des soupçons qu'elle passe à l'acte. Tout ça pour dire que le contrôle systématique n'existe pas. Ce qui a permis à des importateurs notamment de biscuiterie de se sucrer. Il fallait que les industriels locaux montent au créneau pour que les choses rentrent dans l'ordre. Et encore! Toujours est-il que les pouvoirs publics manifestent leur volonté de s'attaquer sérieusement à ce dossier. Ce qui met à l'ordre du jour la véritable mission de la Douane à l'ère de la libéralisation des échanges. Après les acquis réalisés, il s'agit d'amorcer un nouveau virage. La Douane est plus que jamais appelée à veiller au respect des règles du jeu. Les enjeux sont de taille. Les importations sauvages inondant le marché national poussent certains industriels à délocaliser leur production aussi bien en Tunisie qu'en Turquie. Pis, d'autres vont jusqu'à fermer leurs usines et s'orientent vers l'importation. ça rapporte gros certes, mais c'est la disparition du tissu productif dont il est question.