Succession dans les partis Doit-on attendre qu'un chef de parti décède pour que l'on procède au choix du successeur ? La démission de Abderrahmane Youssoufi du poste de Premier secrétaire de l'USFP a remué le couteau dans la plaie et ravivé le débat sur cette question qui n'a qu'une seule solution : le recours à la démocratie interne et ses règles. Qui délogera le secrétaire général du parti, «démocratiquement» réélu jusqu'à la fin de ses jours ? Qui osera dire que le président du parti est incompétent et que sa manière de gérer les affaires partisanes est dépassée ? Ou même qui peut appeler ouvertement à rajeunir les états-majors des formations politiques et briguer l'investiture si la procédure le permet ? Autant de questions qui pullulent et dont la réponse est bien claire. Après cinquante ans de vie partisane, on n'arrive toujours pas à avoir une loi sur les partis qui soit contraignante dès qu'un chef de parti enfreint le statut de sa propre formation. On n'a, bien sûr, pas de loi qui limite l'âge de présider aux destinées des partis politiques ni le nombre de mandats… Mais là n'est pas vraiment le problème. La véritable question qui se pose est relative à la démocratie interne dans les partis politiques. C'est le parent pauvre de notre vie partisane. Et tant que la loi sur les partis n'est pas claire sur ce genre de questions, le flou persistera. Peines perdues Et comme nous l'a dit un membre de bureau politique qui a combattu des mois son président avant de se résigner : nos chefs de parti s'accrochent tellement à leur poste que même en leur offrant mieux ils resteront toujours attachés à leur place. Un peu caricatural sur les bords, le constat est tellement clair que l'on doute des capacités de la classe politique à donner naissance à une nouvelle élite et à produire de nouveaux dirigeants de parti. Seul cas qui tranche avec cette ambiance : l'Istiqlal qui a vu son secrétaire général Mhamed Boucetta démissionner de son poste et Abbas El Fassi lui succéder. L'a-t-il fait de son propre gré ou lui a-t-on suggéré de le faire ? La question reste posée, mais le fait est unique dans l'histoire des partis politiques marocains. Ces derniers jours, la scène politique grouille d'informations sur les véritables raisons de la démission de Abderrahmane Youssoufi de son poste de premier secrétaire de l'Union socialiste des forces populaires. Mais quelles que soient ses raisons et quelles que soient ses motivations, il n'a réglé aucun problème. Au contraire, il a mis à nu encore une fois l'incapacité des partis politiques à s'entendre sur le successeur qu'il faut au moment qu'il faut. Après presqu'un mois du départ de Youssoufi, les supputations allaient bon train. Et même si Mohamed Elyazghi sera vraisemblablement choisi comme successeur avant le congrès prévu l'année prochaine, ce ne sera qu'un replâtrage d'une fracture interne qui n'a qu'un seul remède : le recours à la démocratie interne pour régler les questions de succession. On est bien loin de ces règles. La trouvaille de l'UC Autre exemple et qui a fait école dans ce volet que l'on peut baptiser le syndrome du chef, le cas de l'Union constitutionnelle. A la mort de son président-fondateur, Maâti Bouabid, le 1er novembre 1996, le parti n'a trouvé mieux que de recourir à une présidence tournante. Comme pour faire goûter à tous les membres de son bureau politique les ''délices'' de la présidence. Cela a duré quelques mois et c'est finalement Abdellatif Semlali qui a assuré la présidence jusqu'au congrès. Il faut bien le dire, il était dès le départ le mieux à même de conduire l'UC sur la même ligne de son président fondateur Me Bouabid. Mais l'attitude des dirigeants de l'UC à l'époque avait des raisons que la logique ignore. Et comme nous l'a déclaré Zaki Semlali, membre du bureau politique de l'UC dans un entretien qu'il nous a accordé (voir supplément en arabe) : “la présidence tournante avait cela d'intéressant: elle a permis au parti d'éviter une scission. Elle nous a permis de travailler en profondeur pour préparer aujourd'hui le prochain congrès de façon sereine, sous une conduite constructive de Mohamed Abied qui a succédé à Abdellatif Semlali, après la mort de ce dernier.” Mohamed Abied, souligne Zaki Semlali, a été désigné secrétaire général par intérim par feu Abdellatif Semlali. Ce qui a facilité la tâche en quelque sorte. Mais faut-il attendre que tous les chefs de partis décèdent pour les remplacer ? C'est là la grande question. Et puis comment un dirigeant politique qui a vécu la lutte pour l'indépendance, avec une culture qui n'a rien à voir avec le monde du net et du pouvoir des médias, pourra-t-il continuer à gérer un parti ? Et cela sans diminuer ni son rôle, ni ses capacités intellectuelles. Mais pour qu'il reste éternel président du parti, de deux choses l'une : ou bien il s'attache au poste par des procédés antidémocratiques ou bien son parti n'a pas généré de successeur. Et dans les deux cas, il s'agit d'un échec… La terre de Dieu est vaste Les impatients ne trouvent rien de mieux que de faire scission et créer leur propre parti. C'est ce qui s'est passé avec un groupe de mécontents de la gestion par Ahmed Osman des affaires du Rassemblement national des indépendants. Ils ont préféré créer leur parti, sous le nom du Parti de la réforme et du renouveau dirigé par Abderrahmane El Kouhen. D'autres membres de la direction du même parti ont essayé l'année dernière de déloger Ahmed Osman et ont créé au mois de Ramadan dernier un groupe d'opposition interne. Peine perdue puisque les mécontents ont plié l'échine en attendant des jours meilleurs. Bouazza Ikken et ses amis du Mouvement national populaire n'ont pas trouvé mieux eux aussi, que de fonder leur parti, l'Union démocratique. On se rappelle il y a trois ans à la salle du Kawkab à Marrakech. C'était lors de la réunion du comité central du MNP (Mouvement national populaire) annoncée par Mahjoubi Aherdan dans la foulée des mesures d'exclusion prises à l'encontre de trois personnalités du mouvement, le ministre de la Jeunesse d'alors Ahmed Moussaoui, le député de Khémisset, Bouazza Ikken et le conseiller de Nador Mohamed Fadili. Ceux-ci se sont vu accusés par leur chef de “traîtres” qui, sous prétexte de revendiquer la démocratisation des structures du MNP, chercheraient à prendre sa place. Mais ils ne pourront pas accéder à la salle de réunion, tout comme les membres du comité central, munis tous de leur convocation. Car une poignée d'individus sont venus les premiers et se sont engouffrés de bonne heure dans la salle en fermant la porte d'accès aux autres, les livrant ainsi, sous une chaleur caniculaire, à un face-à-face avec les policiers. Ceux-ci ont d'ailleurs chargé au début un groupe qui a tenté de s'introduire à l'intérieur. On est arrivé ce jour là jusqu'aux menaces de mort quand un originaire du pays Zayan, surgit du rassemblement : “ici, personne ne vous connaît. Vous n'avez rien à voir avec le MNP. Vous êtes à la solde de qui ? vocifère-t-il. Aujourd'hui, quelqu'un va mourir et je suis disposé à aller en prison.” Et d'enchaîner : “notre chef c'est Bouazza Ikken. Lui c'est un homme”. Ces images ont fait le tour du monde. Quelle image de notre vie partisane avons-nous véhiculée ce dimanche-là ? Le Parti du travail que dirige Mohamed Drissi depuis la mort dans un accident de la circulation en 1999 de Najem Abaakil, n'arrive toujours pas à quitter les tribunaux. Plusieurs procès sont intentés contre sa direction par ceux qui se considèrent les véritables dirigeants du parti... On peut évoquer d'autres exemples, tous liés à la présidence des partis. Mais cela ne sert finalement pas à beaucoup de choses quand on sait que la plupart de la trentaine de partis existants sont issus de scissions. Lesquelles scissions sont dues pour leur grande majorité à des problèmes de chefferie plus qu'elles ne se rapportent à des divergences doctrinales ou idéologiques. Feu Abderrahim Bouabid n'avait-il pas déclaré à ses détracteurs qui allaient former le Parti de l'avant-garde démocratique et socialiste en 1983 que la terre de Dieu est vaste et que chacun peut créer le parti qui lui convient ? Il semble que cette phrase prononcée dans un état d'excès de colère par le chef charismatique de l'USFP, a pris la place d'une règle que les chefs des autres partis ont joyeusement adoptée. Dans ce contexte, comment ne pas pousser les gens à fuir l'action politique? Comment ne pas inciter ceux qui viennent de s'y engager de quitter le domaine? Comment un jeune peut-il rêver d'accéder au secrétariat général d'un parti politique dont le plus jeune des dirigeants a largement dépassé la soixantaine ? La question n'est absolument pas une affaire d'age, ni d'origine sociale encore moins une affaire d'héritage familial. Mais c'est un état d'esprit qui règne et selon lequel on ne contrarie pas son chef de parti. Sinon, la menace d'exclusion est vite brandie.