C'est un jour pas comme les autres pour les étudiants du complexe universitaire “Al Irfane” de Rabat, car il s'agit de l'avènement du mois de Ramadan. Ce mois spécial, qui change non seulement leur emploi du temps mais aussi leur mode de vie, voire leurs habitudes. Habitant d'autres villes que la capitale, la plupart se voient obligés de passer ce mois sacré dans la cité universitaire loin de leur famille. Mais la solidarité des amis fait oublier le sentiment de nostalgie. Une amitié qui va jusqu'à la fraternité avec une seule devise : tous pour un, un pour tous… Il est 15 heures en ce premier jour de Ramadan. Le vent souffle de partout. Les nuages annoncent une tempête pour bientôt. Pourtant, à la cité universitaire c'est plutôt un jour calme. Un silence lourd s'est installé depuis un moment à tel point qu'on se demande si cette petite ville a été désertée depuis des années. Deux étudiantes voilées, venant de rentrer, nous font vite changer d'avis. L'air fatigué, elles portent chacune deux sacs en plastique. Probablement des provisions pour le mois de Ramadan. A 16 heures, la vie revient petit à petit. La cité est animée à nouveau. La plupart des étudiants terminant leurs cours à cette heure, se pressent de rentrer de leurs écoles et facultés soit pour préparer personnellement le “Ftour” (le repas de la rupture du jeûne), soit pour ramener celui du réfectoire de la cité à la chambre ou juste pour être à temps pour rompre le jeûne à la cantine. “Cela dépend en fait de l'emploi du temps, de la spécialité étudiée mais aussi du sexe, c'est-à-dire s'il s'agit de fille ou de garçon” explique Fatima, étudiante en 3ème année de médecine. Il est 17 h15 à présent, une longue queue s'est faite devant l'entrée de la cantine qui a ouvert ses portes depuis deux heures et demi déjà. Mais dans les coulisses, le travail a commencé à midi exactement. A 15 heures tout était déjà prêt, car durant la période de Ramadan la quantité cuisinée est doublée. Ainsi pour que tout soit prêt à l'heure, les quatre-vingt cuisiniers se répartissent les tâches. Au menu aujourd'hui : un bol de soupe ( harrira), des dattes, de la chebbakia, du poulet rôti aux olives et citron, du riz à l'espagnole, une salade de betterave râpée à la cannelle et un pain flûte. La plupart des étudiants, surtout les filles, sont munis de boites en plastique pour emmener la nourriture à la chambre car ils préfèrent manger chez eux. Pourquoi ? Chaque étudiant a ses propres raisons. Pour Amina, originaire de Casablanca, étudiante en deuxième année de psychologie, par exemple, le “Ftour” (la rupture du jeûne) doit être pris dans la chambre parce que c'est plus pratique dans la mesure où elle n'est plus obligée de se soumettre à l'horaire spécial ni à achever son repas avant la fermeture du réfectoire. “En plus, à la chambre nous sommes plus décontractées et libres de faire ce que nous voulons, à savoir allumer la télévision ou écouter la radio ou même chanter des “Amdah”(chants religieux). Nous sommes libres aussi de manger ce que nous voulons quand nous voulons. Chose impossible à la cantine où on nous met tous les plats dans le même plateau et moi par exemple je ne peux pas manger la sauce ni le poulet rôti au ftour ! Des fois on a juste besoin de boire un verre de thé à la menthe, mais on ne pourra jamais s'attendre à ce petit luxe au “restau””se lamente-t-elle. Khadija, 4ème année en architecture préfère rompre le jeûne chez elle, pour des raisons d'hygiène car elle ne trouve pas toujours la nourriture propre et bien cuisinée ce qui fait qu'elle essaie de la “recycler” avant de la consommer “histoire d'éviter le risque d'intoxication ou d'indigestion due à la mauvaise cuisine” explique-t-elle. Othman, étudiant en 3ème année de droit, a choisi par contre de prendre son repas aujourd'hui dans sa chambre et d'ailleurs durant tout ce mois juste pour être avec ses amis. Pour lui, le moment du “ftour” représente surtout l'occasion de se réunir entre copains et de pouvoir discuter, raconter des histoires et passer tout simplement un bon moment tout en partageant bien sûr le même repas comme dans une vraie famille. Un seul et même repas pour tout le monde, qu'importe si certains n'ont pas les moyens d'acheter les provisions. Au repas du ftour, tout se partage même avec ceux qui n'ont pas participé à l'achat ou à la préparation des plats, même ceux venus de la cantine. “Au mois de Ramadan personne ne reste sur sa fin, ce que peut manger une seule personne suffira pour deux, d'ailleurs c'est le but recherché de l'expérience du jeûne : réaliser ce que peut sentir un pauvre qui n'a pas les moyens d'acheter de quoi manger. C'est une manière en fait d'encourager les gens à faire l'aumône” commente Othman, avec un large sourire. Le ftour à la cantine Néanmoins, si la majorité des étudiants semblent préférer rompre le jeûne dans leurs chambres, il existe toujours des adeptes de la cantine. Les raisons qui expliquent ce choix sont multiples : Kamal 3ème année à l'INSEA'S se dit obligé de le faire. “Quand on mange à la cantine on gagne beaucoup de temps, j'ai essayé la méthode de ramener la nourriture à la chambre l'année dernière mais elle n'est pas du tout pratique, d'abord on est obligé d'attendre au moins une demi-heure à faire la queue pour avoir le repas. Ensuite il faut réchauffer les plats qui refroidissent sur le champ avant même le “Adan” (l'appel à la prière), pour laver enfin une montagne de vaisselle. Ceci sans parler du désordre dans lequel on vivait dans la chambre à cause de cette situation . Franchement je ne suis pas du tout prêt à perdre deux heures de mon temps alors que je peux très bien les investir à faire autre chose surtout que le programme des études est très chargé cette année”explique-t-il. Contrairement à Kamal, Ahmed, 4ème année de droit, préfère manger au réfectoire parce que cela lui permet de prendre le repas avec sa sœur qui vient d'arriver cette année à Rabat : “ je sais que le fait d'être loin de la maison est dur pour elle, surtout qu'elle n'a jamais voyagé toute seule, mais quand même ma présence auprès d'elle la console en quelque sorte, j'espère qu'elle s'intègrera facilement dans ce nouveau monde de l'étudiant encore étranger pour elle. Autrement, elle aura sûrement des problèmes l'année prochaine puisque je ne serai pas là” affirme-t-il, l'air désolé. Un premier Ramadan à la cité En effet, Zineb la sœur d'Ahmed n'est pas la seule à trouver le Ramadan loin de la famille insupportable, Presque tous les étudiants, qui habitent la cité pour la première fois partagent le même avis. Meriem par exemple, étudiante en première année à l'IHEM, n'a pas résisté aux flots de larmes qui ont ruisselé durant toute cette première journée de Ramadan car ce mois signifiait pour elle surtout la réunion en famille. “Ici je me sens étrangère, je ne goûte même pas l'ambiance de ce mois et je ne suis pas la seule, ma co-locataire et camarade de classe n'a pas hésité à manger tout à l'heure tout simplement parce qu'elle a oublié qu'elle jeûnait aujourd'hui. Chez nous, tout ce qui nous entoure nous fait rappeler cela, le Coran, l'odeur de la cuisine de ma mère, la mosquée tout à côté. Ici, tout me paraît normal comme les autres jours et je vais finir bientôt par croire que j'habite un autre pays”, explique Meriem sur un ton mélancolique. Il n'empêche que les garçons prennent les choses un peu plus à la légère. Certains même sont contents d'être loin de la famille. “Je crois qu'il est temps de devenir un peu indépendant de la famille. Je me sens en quelque sorte heureux d'avoir la possibilité de me débrouiller tout seul durant ce mois et de gérer mon propre budget. Chose que je n'ai jamais pu faire avant cette année . En plus, il ne faut pas oublier que cette indépendance nous apprend à devenir responsables et plus mûrs ”, explique Issam étudiant en première année d'économie qui était apparemment pressé de rentrer chez lui car il est 17h 45. C'est presque l'heure de rompre le jeûne. La cité se vide à nouveau. Mais les pavillons se transforment en véritables fourmilières. Il est temps de manger après une longue journée d'abstinence… Entretien avec Fouad Lahssisan, Directeur de la cité universitaire Souissi II “Avec Ramadan, le budget augmente de 10 %” Le mois de Ramadan exige une diversification alimentaire qui rompt avec l'ordinaire. A la cité universitaire, les menus changent en fonction du mois sacré. Le budget aussi… La Gazette du Maroc : combien d'étudiants habitent cette cité et combien d'entre eux déjeunent à la cantine ? Fouad Lahssisan : Actuellement on a recensé 1913 étudiants. Mais pour la cantine le chiffre n'arrête pas de changer parce que la cité abrite aussi des étudiants de grandes écoles comme celles de Mohammédia des ingénieurs ou l'Institut supérieur de la documentation qui, la plupart du temps, mangent dans les réfectoires de leur écoles. En plus, la cantine n'a ouvert ses portes que dernièrement à cause de travaux de restructuration qu'a connus la cité durant tout l'été, ce qui fait que le nombre des étudiants ne fait qu'augmenter chaque jour. C'est pour cette raison que nous n'avons pas pu réaliser des statistiques jusqu'à maintenant. Il n'empêche que pour aujourd'hui on a su que 1.000 étudiants vont manger au restaurant de la cité grâce à la vente des tickets. Combien coûte un ticket de cantine ? Un ticket de restauration qu'il soit pour déjeuner ou dîner, coûte un dirham et quatre-vingt centimes qui est bien sûr un prix symbolique que l'Etat a fixé pour encourager les étudiants originaires d'autres villes, surtout ceux aux ressources financières limitées, de poursuivre leurs études supérieures. Néanmoins, les plats servis coûtent beaucoup plus. Le menu d'aujourd'hui par exemple a coûté plus de 14 dirhams, ce qui fait que le montant total de la dépense de la cantine s'élève à 2.677.407 Dh. En parlant de repas comment choisissez-vous les menus de la semaine ? Le menu doit être diversifié. Une commission se réunit chaque semaine pour le composer. Cette commission est constituée en général de trois personnes. Il s'agit du médecin de la cité, de l'économe et du chef-cuisinier. Y a-t-il une différence dans les plats servis durant le mois de Ramadan par rapport à l'ordinaire ? Oui bien sûr. D'abord on diversifie plus les plats et on augmente leur quantité. On ajoute des pâtisseries qui d'habitude ne figurent pas au menu et qui sont servies durant tout le mois, comme les croissants, la chebakia, les dattes et le café. Cela dit, est-ce que l'Etat vous octroie une aide budgétaire pour le mois de Ramadan ? Non. En fait, l'Etat nous accorde un budget annuel qui s'étale du mois de janvier 2003 jusqu'à décembre 2004. Ce dernier inclut les repas consommés durant toute l'année. Pour cette raison, l'administration doit veiller à la bonne gestion de ce budget pour pouvoir arriver à un équilibre car, le cas échéant, l'Etat refuserait d'augmenter le budget. Il n'empêche que les dépenses augmentent de 10% durant ce mois. Et comment couvrez-vous le déficit pour les autres mois ? Il n'y a pas de déficit pour la simple raison que ce ne sont pas tous les étudiants qui mangent à la cantine, donc il nous reste toujours un petit pourcentage du budget de chaque mois qui nous permet, durant le mois de Ramadan, de dépenser plus que d'habitude. Peut-on savoir alors le budget annuel accordé cette année à la cité et celui octroyé à la cantine ? Cette année, l'Etat a consacré un milliard et six cent millions de centimes pour les besoins de la cité qui ont inclu les dépenses de la restauration. En ce qui concerne la cantine, l'Etat a consacré six cents millions de centimes. Comment la cantine achète-t-elle ses provisions ? A l'approche du mois de janvier on lance un appel d'offres dans les journaux. Puis une commission se réunit pour étudier les propositions des fournisseurs qui peuvent être des personnes physiques ou morales et choisir celles qui répondent à un certain nombre de critères et en même temps proposent les prix les moins chers. Cette commission est composée de quels représentants? Elle est composée du directeur et de deux représentants de la cité, du représentant du ministère des Finances et celui du ministère du Commerce et d'un contrôleur financier. Vous avez parlé d'un certain nombre de critères que les sociétés doivent présenter pour décrocher l'appel d'offres. Quels sont-ils ? Cela dépend des produits à vendre s'il s'agit de poulet par exemple il doit être égorgé dans un abattoir agréé et contrôlé par le vétérinaire de l'Etat. La société doit aussi avoir un véhicule qui réponde aux critères exigés à savoir un frigo pour livrer le jour même de l'abattage. Quelle est la durée du contrat de ces sociétés ? Le contrat dure une année. La société doit livrer les provisions chaque jour, et elle est payée à la fin de chaque mois. Au cas où la société refuse de livrer la marchandise comme prévu, son contrat est automatiquement résilié parce qu'elle ne répond plus aux critères exigés. Après un mois, un autre appel d'offres est lancé dans les journaux pour choisir celle qui va la remplacer. Actuellement, vous êtes en contrat avec combien de sociétés et lesquelles? Actuellement, trente sociétés nous livrent les provisions. Mais je ne me rappelle que de quelques noms à savoir la société Najah, Farhan , AGREAP, le fournisseur Al Ayachi et bien d'autres.