Décès de Mohamed Basri On le donnait partout et nulle part. Avec le Baath de Damas contre celui de Bagdad et vice-versa. Avec la Jamahiriya contre l'Algérie ou le contraire. A la fois à l'USFP et avec les intégristes du PJD. Les coups fourrés, il en a connus. Un parcours hors du commun d'un personnage dont le dernier baroud d'honneur est un message de remerciements. Aussi bizarre que cela puisse paraître, les faits restent têtus. Même si le concerné savait programmer les choses, lui qui était connu, des décennies durant, pour être un grand calculateur, qui ne laissait rien au hasard, il n'aurait pu faire coïncider la mort, la sienne, avec la publication d'une lettre où il remercie tous ceux qui l'ont soutenu durant sa période de maladie et d'hospitalisation. Pourtant c'est tout comme. Lundi dans la soirée, les rédactions de presse ont reçu une petite lettre signée Mohamed Basri, connu sous le nom de fkih Basri. Il y écrit en quelques lignes sa gratitude pour S.M. le Roi qui a pris en charge les frais d'hospitalisation et d'analyses médicales du leader du mouvement national. Il y remercie également l'ensemble des partis et les personnes qui l'ont soutenu dans sa souffrance à Paris. En guise de conclusion, il écrit que la crise a été surmontée et que grâce à Dieu il se rétablit. Les quotidiens du lendemain, notamment Al Ittihad Al Ichtiraki, ont publié à la Une la missive de remerciements du Fkih. Mais au petit matin, la nouvelle tombe comme un couperet : Le Fkih est mort. Ceux qui l'ont connu et accompagné ne peuvent l'admettre. Lui qui, pendant toute une vie, a défié la mort et pendant des dizaines d'années, a sillonné le monde avec plus d'une peine capitale sur le dos. Lui qu'on a souvent accusé d'avoir semé la mort dans le pays et dans d'autres contrées du monde arabe. Parce que justement, comme l'ont relevé certains confrères et compagnons du défunt, Basri ne meurt pas en entier. Et pour le Maroc, la part qui lui revient en héritage laissera le Fqih Basri vivant pour encore des décennies. L'homme est peut-être parti, mais l'histoire qu'il a contribué à façonner reste frétillante. Victime d'une crise cardiaque, Mohamed Basri avait subi dernièrement une opération chirurgicale à Paris et venait de regagner le pays. Comme pour y mourir. Il avait 78 ans. Natif de Demnate (province d'Azilal), Mohamed Basri avait commencé ses études à l'école coranique avant de rejoindre en 1944 la Medersa Ben Youssef de Marrakech où il a fait ses premières armes en tant que résistant contre le colonisateur français. Arrêté en 1954 par les autorités du protectorat, il parvint à s'évader de la prison de Kénitra en 1955. Après l'indépendance, il a participé à la création de l'Union Nationale des Forces Populaires (UNFP) suite à une scission avec le Parti de l'Istiqlal en 1959. Il dirigera le quotidien Attahrir avant de choisir l'exil pour presque un quart de siècle, avant de regagner le Maroc en juin 1995. De retour au pays, on donnait le Fkih partout et nulle part. "Partout", en ce sens où dès qu'une polémique politique éclate, on lui trouve un rôle. "Nulle part", puisque le résistant évite une fois de plus de verser dans le pur jeu politicien qu'il a tant pratiqué. En l'an 2000, une lettre qu'on lui a attribuée a semé la panique dans le microcosme politique dans son intégralité. Tous les dirigeants de la gauche marocains ont été mis à mal pour avoir comploté contre le régime : Abdarrahmane Youssoufi en premier. Leur connivence avec la tentative du putsh d'Oufkir a été mise en avant. Des journaux ont été interdits pour avoir publié la lettre, quant à son auteur présumé, il est resté de marbre. On ne saura peut-être jamais la vérité sur cet épisode trouble de l'histoire du pays et de la pratique trouble de Basri. Le Fkih emportera le secret dans sa dernière demeure. Rien de surprenant pourtant, puisque l'histoire du Maroc ou, plus généralement l'Histoire avec un grand H, n'est jamais écrite par ceux qui la façonnent. Avec le décès du Fkih, c'est une page de notre passé qui vient d'être tournée, enterrée à jamais. Avec elle, ses secrets, ses heurs et malheurs. A-t-il réellement écrit ses mémoires ? Qui peut les authentifier si ces documents sont rendus publics ? Mais peu importe. L'homme était un mystère de son vivant, il le restera après sa mort. En tout cas, ceux pour qui Basri était l'énigme ont choisi de l'accompagner à sa dernière demeure. Les funérailles de Fkih Basri ont été marquées par la présence de plusieurs personnalités du monde politique et les anciens résistants. On avait la vague impression que chacun de ces hommes venus lui rendre un ultime hommage détenait une pièce du puzzle Basri. Leur présence est un signe fort qui renseigne sur la place du défunt dans un champ politique toujours en façonnage. Et pour lequel Fkih Basri a tant agi dans un sens comme dans l'autre. Fabuleux destin ubiquiste du Fkih…