Les groupuscules intégristes se sont développés au Maroc au fil des années en brouillant les cartes d'un éventuel recoupement. Les uns reniant les autres pour provoquer l'amalgame et camoufler les intentions réelles. Retour sur un itinéraire biscornu. Au Maroc, l'islamisme s'est en réalité construit contre l'islam hérité. Il est d'abord un phénomène urbain et péri-urbain, qui touche en particulier les banlieues populaires des grandes agglomérations. Mais l'existence de l'islamisme version orientale remonte à la fin des années 60. Cela fait près de 35 ans que la première formation d'un courant islamiste au Maroc a vu le jour : «Le mouvement de la chabiba islamia». Son fondateur, Abdelkrim Moutiî, voulait emprunter le même sentier idéologique du fondateur des «Frères musulmans» en Egypte, Hassan Al Banna. Cette Formation était composée de deux sections : la section de la daâwa (appel à l'islam, éducation spirituelle, pratique des rites religieux…) et la section du jihad dont la mission consistait à la liquidation physique des gauchistes et des occidentalisés de l'époque et qui s'est terminée par l'assassinat du leader socialiste, Omar Benjelloun, en 1975. C'était le premier acte terroriste commis au nom de l'islam au Maroc qui a coûté à Moutiî une condamnation à mort par contumace. Au-delà des tenants et des aboutissants de l'affaire en soi, cette expérience a été dure pour les membres de ce mouvement dont la plupart ignoraient les vrais desseins de l'organisation. Depuis le début, ils ont toujours hésité entre deux démarches, l'une visant à islamiser l'Etat et l'autre à islamiser l'individu. Alors que, dans les années 70, il s'agissait d'abord d'islamiser l'Etat, pour ensuite imposer la charia, la logique de ces dernières années privilégie au contraire l'islamisation de l'individu. En fait, la Chabiba islamia comptait reproduire le scénario de l'Orient, à savoir la confrontation directe avec le régime. Ce qui a conduit à la dissidence d'un nombre important de ses membres. Afin de marquer la rupture avec l'organisation de Moutiî, les dissidents ont fondé un mouvement sous le nom de «Association de la jamaâ khayria», dans un premier temps pour devenir après «Al Islah wattajdid». Les dissidents comptaient ainsi intégrer l'action politique officielle, selon la légalité constitutionnelle. Dans les années 90, nouveau changement d'appellation. Elle devient «Attawhid Wal Islah», dont les membres vont se rallier au parti du docteur Abdelkrim Al Khatib pour éclore de l'actuel PJD (Parti de la Justice et du Développement). Parallèlement, cheikh Yassine fondait également sa propre organisation, après avoir décliné auparavant une offre de Moutiî qui consistait à «unifier et agrandir» le Mouvement islamiste. Jusque-là, les islamistes marocains étaient ainsi structurés et connus des autorités. Ce n'est qu'après l'effritement du Bloc des pays de l'Est, et la disparition de l'URSS, qu'un nouveau modèle d'intégrisme commença à voir le jour dans notre pays. Il s'agit des Marocains «afghans», qui s'étaient engagés pour le jihad à côté des Moudjahidines de l'Afghanistan. Ils sont entraînés au maniement d'armes et d'explosifs et dressés pour tuer et même se faire tuer. Une partie de cette nébuleuse, en quête davantage de jihad, avait préféré faire un détour en Bosnie, tandis que les autres rentraient au Maroc, avec leurs barbes et habits à la Taliban, ainsi qu'une nouvelle doctrine basée sur la violence comme seule issue de tous les problèmes. C'est la manifestation organisée en 1991 par Al Adl Wal Ihsane pour le soutien de l'Irak contre l'alliance internationale sous l'égide des USA, qui allait éveiller désormais la vigilance des services de sécurité face au danger qui menace tout le pays. Avec ce qui se passait chez nos voisins, il y avait vraiment de quoi s'inquiéter. Car à côté de l'islamisme traditionnel, existe un autre courant, radical celui-là. Issu du wahhabisme saoudien, il se nourrit des prêches de prédicateurs aussi jeunes qu'exaltés tressant à longueur de sermons les vertus de Oussama Ben Laden. Avec le temps, il a essaimé en une multitude de groupuscules indépendants les uns des autres. Ils sont présents à Fès, ont pignon sur rue à Tanger, à Casablanca, et quelques autres villes. C'est dans ce milieu opaque, mal cerné par les services de sécurité, qu'ont été recrutés les kamikazes du 16 mai Comme des champignons dans la prairie, les Jamaâ sortent de partout et de nulle part. «Assalafia Jihadia», «Attakfir Wal Hijra», «Addaâwa wattabligh», « Assirate Almoustaqime », dont la majorité des dirigeants, malgré leur encadrement par des théoriciens attitrés (Abou Hafs, Fizazi et consorts), sont ignorants ou d'un niveau d'instruction très borné et facilement liés, de près ou de loin, à l'organisation d'Al Qaïda. Ben Laden est leur idole, leur exemple suprême du jihad et du combat contre l'impiété. Même les grades et les nominations sont calqués sur l'Orient en passant par l'Algérie (Emir, chef de branche, chef de cellule, chef de famille…) . Et pour plus de désinformation, des campagnes médiatiques sont organisées pour que les chefs spirituels et les exécutants se renient les uns les autres à coup de longues manchettes accusatrices et décridibilisantes. Ce qui fait que les cartes sont demeurées extrêmement brouillées, jusqu'à la surprise générale provoquée par les attentats du 16 mai à Casablanca. Historiquement, ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains, mais avec ce qui se passe aujourd'hui un peu partout dans le monde, toutes les hypothèses sont plausibles.