Les élections des maires et présidents des Conseils communaux ont constitué un véritable second tour des communales et révélé des réalités inquiétantes pour l'avenir de la démocratie dans le pays. L'heure de vérité continue de sonner pour tous les partis. Etranges élections communales qui semblent avoir eu deux tours, le premier avec le scrutin du 12 septembre et le second avec l'élection des maires et des présidents des Conseils communaux. Le second tour a été un amer moment de vérité où “le retour du refoulé” s'est effectué de la manière la plus triviale. Alliances contre-nature, trahisons, incohérences, jeux pervers : tout y était. Que révèle donc cet apparent désordre ? L'administration ayant laissé se dérouler les opérations électorales assez librement, les véritables conjonctions d'intérêt sur le plan local ont primé sur les appartenances nominales aux partis. Le fait que les états-majors des partis de la Koutla, où la discipline était longtemps de règle, n'ont pas toujours pu maîtriser les comportements et les alliances de leurs candidats est bien le signe de la déliquescence de la base de ces partis. C'est précisément dans les partis “historiques” de la Koutla que cette dérive constitue une régression alors que la prééminence des notables locaux a toujours prévalu dans les partis dits, naguère, “de l'administration”. Tout se passe comme si la logique des partis de notables semble s'être généralisée jusqu'à contaminer les partis de la Koutla. Les clivages et rivalités qui opposaient, autrefois, ces derniers entre eux avaient une coloration plus ou moins idéologique ou politique. Les ambitions et le cynisme ayant gagné du terrain au détriment des identités et des programmes, il ne faut pas s'étonner que les partis de notables se sentent tout à fait “légitimés”. Ils érigent l'indistinction politique comme règle générale en n'accordant de valeur qu'à la course aux intérêts, la politique se résumant au seul jeu des clientélismes. C'est un membre du bureau politique de l'Union constitutionnelle (UC), Mohamed Ali El Hassouni qui, dans une interview au “Matin du Sahara” (24 septembre), se sent tout à son aise pour affirmer que tous les partis se valent pour les Marocains qui, alors, ne votent que “selon des considérations et des intérêts personnels”. Les positionnements n'ayant aucun sens, il considère que le nomadisme politique est “sans importance” et que toutes les alliances sont possibles. Plus clientélistes que militants Comment s'étonner alors de la perte de toute crédibilité des partis et de l'action politique puisque cette logique a eu tendance à se généraliser ? Si au sein des partis comme le PI, l'USFP et le PPS, cela a conduit dans plusieurs cas, à moins de rigueur quant au choix des candidatures, comment s'étonner que l'influence des notables, pourvoyeurs d'argent, se traduise par des comportements plus clientélistes que militants ? Autant de facteurs qui ont contribué à aggraver les rivalités et les guerres fratricides entre Istiqlal et USFP (à Rabat, Fès et, dans un premier temps, à Casablanca, sans parler de nombreuses autres communes). Le PPS qui a essayé de tenir une ligne plus exemplaire a lui aussi été éclaboussé et a dû sévir contre certains de ses élus pris en flagrant délit d'alliances douteuses. Ces partis paient le prix de l'absence d'un véritable débat démocratique en leur sein et d'une élaboration ou mise à jour de choix idéologiques et de programmes politiques véritables. L'enjeu de la modernisation de ces partis et du renouvellement de leur engagement militant, surtout dans les quartiers populaires et dans la jeunesse, n'a pas été vraiment assumé. Les carences en matière de démocratie interne, la sclérose et les archaïsmes des structures et des comportements ont engendré peu de résistance à la déliquescence électoraliste et clientéliste. De ce fait, les ex-partis de l'administration, légitimés par les élections, même avec de faibles scores, RNI mis à part, se sentent dopés, remportant plusieurs mairies et mettant à nu la fragilité de la “majorité gouvernementale”. On ne les voit guère tentés par une mutation qui en ferait des partis, au sens moderne du terme, soucieux de représenter des forces sociales et des choix politiques distincts. Plus que jamais, ils agissent en partis ou plutôt groupements de notables, où l'argent, les clientèles et les combinaisons d'intérêts prédominent. Alliances troubles Dans ce “maelström infâme”, tel que l'a qualifié le secrétaire général du PPS, Ismaïl Alaoui (“Aujourd'hui le Maroc” du 26 septembre), il faut, toutefois, relever le jeu tout aussi pervers du PJD. Ce dernier s'est démené pour participer à toutes les alliances dans le but avoué de contrer essentiellement les partis de gauche (USFP et PPS) ou de contribuer à diviser la Koutla et la majorité gouvernementale. Il fallait surtout se sortir de l'isolement où les attentats du 16 mai l'avaient confiné et autant que possible réduire et isoler l'USFP. A Casablanca, les partisans du PJD étalaient leur jubilation lors de l'élection de Mohamed Sajid, de l'UC, au poste de maire. Dans cette confusion générale des alliances, le PJD a réussi à réintégrer le troupeau et à bénéficier du blanchiment que ce compagnonnage lui procure. En attendant les prochaines échéances où il espère tirer profit du pourrissement auquel il a pris volontiers part durant cette élection. C'est sans doute l'actuelle coalition gouvernementale qui sort amoindrie, sinon discréditée, par la foire d'empoigne des communales. Faut-il cependant accuser le Premier ministre de faillite et de tous les maux survenus depuis sa nomination ? C'est aller un peu trop vite en besogne, comme le font certains confrères : le gouvernement actuel fut certes le reflet d'un compromis fragile et de plus il a dû affronter des situations difficiles qui auraient exigé une équipe plus homogène et un programme plus audacieux. Toujours est-il que ladite majorité n'en fut pas vraiment une et que Driss Jettou, malgré toute sa bonne volonté, ne pouvait pas, de surcroît, tenir le rôle d'un magicien. Les élections communales qui viennent de s'achever rappellent que l'heure est toujours celle de la vérité, depuis le 16 mai et face à la gravité des problèmes économiques et sociaux. Si le jeu politique ne va plus concerner que les cercles d'argent et les coalitions d'intérêts, les chances de démocratiser le pays et de le faire progresser pacifiquement avec la participation grandissante des citoyens, seront compromises. Le taux d'abstention est significatif. Le moment est venu pour les partis de gauche, du centre ou de droite, qui veulent incarner la démocratie et la modernité de se remettre sérieusement en cause. Autrement, comme le montre le pullulement des sigles sur le marché des “nouveaux” partis, vont-ils se condamner à être seulement à vendre ? Le moment est venu pour les partis de gauche, du centre ou de droite, qui veulent incarner la démocratie et la modernité de se remettre sérieusement en cause. Autrement, comme le montre le pullulement des sigles sur le marché des “nouveaux” partis, vont-ils se condamner à être seulement à vendre ?