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Pourquoi assureurs et cliniciens ne font plus bon ménage ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 23 - 06 - 2003

Si la convention du tiers payant liant assureurs et cliniciens a permis jusque-là d'organiser et d'améliorer les relations entre les différentes parties (cliniques, assureurs et adhérents), elle n'en finit pas de faire des remous.
Depuis le 1er juin dernier, les assureurs ont unilatéralement suspendu la prise en charge médicale, dénonçant « la surfacturation» pratiquée par les cliniques.
Pour l'heure, ni les assureurs, ni les cliniciens ne peuvent concrètement prédire ce que sera réellement leur future collaboration : aucun round de négociations n'est prévu.
Jamais la convention du tiers payant, signée en 1998 entre l'Association nationale des cliniques privées (ANCP) et la FMSAR (Fédération marocaine des sociétés d'assurances et réassurances) n'avait rencontré autant de difficultés pour son renouvellement. Si elle a permis jusque-là d'organiser et d'améliorer les relations entre les différentes parties (cliniques, assureurs et adhérents), elle n'en finit pas de faire des remous par rapport aux changements qui l'ont accompagnée au niveau de la prise en charge (des cotations des actes médicaux) et des tarifs. Pour rappel, une clause de tacite reconduction annuelle est prévue dans la convention, mais cette dernière doit être révisée tous les deux ans.
Depuis le 1er juin dernier, la convention a cessé d'exister et donc la prise en charge financière des malades par les assureurs lors de l'admission en clinique reste suspendue. Comment en est-on arrivé là ? Les assureurs ont unilatéralement décidé de suspendre la prise en charge médicale, dénonçant la surfacturation pratiquée par les cliniques. "Nous avons réalisé une base de données sur la base des statistiques de dossiers réels durant ces quatre dernières années au cours desquelles la convention avait été mise en place et nous avons trouvé qu'il y a des surfacturations", justifie Ali Boughaleb, secrétaire général de la FMSAR. Pour ce dernier, les assureurs ont d'abord commencé par une dénonciation provisoire en septembre 2002 afin de faire réagir les cliniques avant que la situation n'empire. “Nous n'avons pas reçu de réponse suite à cela sinon celle qui ne nous est parvenue qu'au mois de décembre 2002, nous demandant de prolonger l'application de la nouvelle convention. Ce que nous avons fait mais malheureusement sans résultat”, dit-il. Pourtant, pour Farouk Iraqi, président de l'ANCP, la dénonciation n'a pris effet qu'à partir du 1er janvier 2003, et depuis, leur association a convenu avec les assureurs de maintenir en place l'ancien système en attendant que soit étudiée la nouvelle convention. Ainsi, indique-t-il, ils ont arrêté avec les assureurs deux délais. “Le premier qui a été fixé au 31 mars 2003, s'est avéré insuffisant. Quant au deuxième, il a été arrêté pour le 31 mai dernier. Pendant toute la durée de la convention, la question des tarifs n'a jamais été abordée par les assureurs. Cela m'a un peu étonné”, ajoute-t-il.
Le statu quo
Que s'est-il réellement passé lors de ces deux réunions ? Selon le président de l'ANCP, les assureurs ont fait table rase de toutes les nomenclatures en proposant entre autres, pendant la première réunion, des forfaits qui ne figurent nulle part dans la nomenclature. “Lors des discussions, nous avons fait savoir que tout cela est contraire à l'esprit de la loi et de la déontologie qui régit notre profession. Nous avons, un Conseil d'ordre qui veille à ce que cela soit respecté, ainsi qu'une nomenclature générale des actes médicaux qui fixe exactement ce que nous sommes en droit de réclamer”, souligne-t-il.
La réunion du 31 mai était censée faire avancer les choses, malheureusement elle ne fera que montrer l'étendue de la querelle qui oppose les protagonistes. “Nous leur avons dit manifestement que nous ne pouvons leur répondre qu'au bout d'une semaine. Autrement dit, nous leur avons signifié que nous ne pouvons analyser ce qu'ils nous ont donné et faire une contre proposition en une semaine. Alors que nous souhaitions obtenir de leur part un délai supplémentaire pour discuter, les assureurs nous ont répondu niet et ont arrêté unilatéralement les prises en charge le lendemain”, précise-t-il.
Cette décision n'a pas empêché les deux parties de se retrouver le mardi 10 juin dernier pour négocier à nouveau. Au sortir de cette rencontre, si ce n'est certaines concessions des cliniciens et la prochaine date de réunion qui a été fixée pour le vendredi 13 juin pour discuter des honoraires des médecins et des prix de la chambre, c'était toujours le statu quo. “Lors de cette réunion, nous avons accepté la baisse sur le poste pharmacie qu'ils nous ont proposée, cela par rapport à un tarif qui date depuis cinq ans. Ce qui occasionne pour nous une perte de 25 % pour les cliniques car la valeur de l'acte passe de 20 à 15 dirhams. Par ailleurs, nous avons également accepté les forfaits proposés pour certains actes médicaux qui paraissaient aux yeux des assureurs comme surfacturés”, dit-il.
Sur la question, les assureurs estiment que ces concessions sont insuffisantes et qu'à leur niveau, ils en ont fait autant. “Il est vrai que les cliniques ont baissé le poste pharmacie mais ce n'est qu'une remise à niveau réelle de ce poste qui était surpayé. Les cliniques n'ont finalement fait qu'un ajustement pour ce poste. Pour notre part, nous avons estimé que l'acte chirurgical (k) était sous-estimé et nous avons décidé de l'augmenter de 25 à 30 dirhams, soit une évolution de 20 %”, souligne le secrétaire général de la FMSAR.
Farouk Iraqi a analysé aussi à sa manière la concession des assureurs. “Le poste pharmacie était de 20 dirhams, le poste médecin à 25 dirhams, ce qui fait un total de 45 dirhams. On a baissé le poste pharmacie jusqu'à 15 dirhams et eux ils ont augmenté le k chirurgical jusqu'à 30 dirhams, cela donne un total de 45 dirhams. Finalement, ils n'ont rien payé de leur poche”. A noter que la lettre k est le coefficient multiplicateur des actes médicaux. Que ce soit l'acte de chirurgie, l'acte opératoire…, chacune de ces rubriques a une valeur bien déterminée dans le barème de la convention.
La problématique des forfaits
Des forfaits dont les cliniciens ne veulent pas entendre parler. A leurs yeux, le terme lui-même indique que le montant que l'assureur paie est fixé quelles que soient la pathologie, la personne, les complications. Selon eux, cela les achemine vers une mauvaise médecine parce que du moment où ils savent qu'ils sont bloqués par un montant qu'il ne faut pas dépasser, ils ne remplissent plus leur mission. “Nous ne pouvons accepter des forfaits que lorsqu'il s'agit de petits actes qui se font en ambulatoire c'est-à-dire quand le médecin traite le malade qui rentre chez lui après avoir reçu des soins. Mais, on ne peut pas forfaitiser tout ce qui est hospitalisation”, fait-on savoir à l'ANCP.
Sur cette question pourtant, Ali Boughaleb veut trancher net : "la convention fixe des forfaits pour les actes médicaux normaux. En revanche, les cas particuliers sont traités chacun en fonction de ses complications".
Le mardi 17 juin, jour où le président de l'ANCP nous avait reçus pour les besoins de cette enquête, il nous a fait savoir que les assureurs leur ont présenté une liste avec les forfaits, le jour même dans la matinée, et qui sont inférieurs à la mutuelle CNOPS qui est en fait le niveau plancher. “C'est comme si c'était à prendre ou à laisser”, fait remarquer Farouk Iraqi. Pour l'heure, ni les assureurs, ni les cliniciens ne peuvent concrètement prédire ce que sera réellement leur future collaboration. Au moment où nous mettions sous presse aucun nouveau round de négociations n'était prévu.
L'impasse ?
“Pour notre part, il n'y ait jamais de dernière réunion, je ne m'arrêterai pas de faire en sorte que les choses reprennent leur cours normal. Nous allons inciter les assureurs à revenir à la table de discussion”, dit-il.
Selon Ali Boughaleb, les assureurs “espèrent que la nouvelle convention aboutira et pensent que les tarifs sont suffisamment larges pour arriver à cela”. Et d'ajouter : “nous n'envisageons pas de signer des conventions bilatérales avec certaines cliniques. Par contre, il se peut qu'il y ait des conventions ouvertes entre chaque compagnie d'assurances et certaines cliniques pour le bien des patients”.
Déjà, l'ANCP a adressé un courrier à toutes les cliniques pour les mettre en garde contre toute convention bilatérale avec les assureurs. “Le Conseil de l'Ordre sanctionnera sévèrement toute personne qui cherchera d'une manière directe ou indirecte à établir une convention bilatérale avec les compagnies”, peut-on lire dans la correspondance.
Dans ce décor, quel est réellement le sort du patient ? Quels sont les autres détails des propositions des assureurs ? Est-ce à dire que les cliniques ne peuvent pas reculer ? Que représente cette branche assurance maladie pour les compagnies d'assurances ? Les cliniques peuvent-elles s'en passer ? Autant de questions sur lesquelles nous avons tenté d'en savoir un peu plus (Voir par ailleurs).
Adama Sylla
& Hanane Bayachou
L'état de santé des cliniques
Le paradoxe est qu'au moment où certains établissements ferment ou traversent des périodes difficiles, d'autres en revanche ouvrent leurs portes. En effet, une dizaine de cliniques sont en construction ou s'apprêtent à ouvrir très prochainement à Casablanca.
Au nombre de 300 cliniques privées qui se partagent le marché avec le public, elles ne sont pas pour autant écartées des chemins des malades, en dépit de l'absence de l'assurance maladie obligatoire (AMO ) qui tarde à voir le jour. En effet, plusieurs conventions lient les cliniques privées à des organismes avec lesquels elles réalisent environ 80 % de leur chiffre d'affaires. Le premier client reste la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS ) qui gère quelque 900.000 fonctionnaires adhérents ( 80 % des fonctionnaires et retraités), soit plus de 3 millions de bénéficiaires. A elle seule, elle leur a versé 358,95 millions de dirhams en 1999 et 25 millions de dirhams de plus l'année suivante.
Quelques tarifs proposés par les assureurs aux cliniques
Visite médicale :
• Dernière convention : 150 DH (le jour) et 200 DH (la nuit)
• Proposition : 200 DH sans distinction de l'heure de la visite
Chambre :
• Dernière convention : chambre double à 250 DH et simple à 350 DH
• Proposition : un forfait journalier de 350 DH incluant les visites pour les hospitalisations chirurgicales, l'AMI, les PC (acte de pratique courante), les perfusions, les transfusions, les repas, la lingerie, le blanchissage, l'éclairage, la désinfection et autres services.
Radiologie :
• Dernière convention : 11 DH
• Proposition : 11 DH
Bloc opératoire + consommables :
• Dernière convention : 25 DH
• Proposition : 25 DH
Soins intensifs :
• Dernière proposition : forfait de 1.000 DH incluant les soins
• Proposition : forfait de 1.400 DH incluant la surveillance et/ou les visites, les actes dont la cotation est inférieure ou égale à 6, l'AMI, les perfusions, la transfusion, les repas, la lingerie, le blanchissage, l'éclairage,…
Dialyse
• Dernière convention : 900 DH pour la séance
• Proposition : 700 DH (dialyse effectuée dans les centres) et 900 DH (pour celle réalisée en clinique)
Et le sort du patient ?
Entre la volonté des assureurs de remédier à ce qu'ils estiment comme étant de la surfacturation et celle des cliniques de préserver leurs honoraires, le bénéficiaire du système tiers payant des compagnies d'assurances semble être pris en otage. Devant cette situation de non-accord entre les deux parties, quel est réellement son sort ?
Le contrat d'assurance ne prévoit pas la prise en charge qui est une commodité que cliniciens et assureurs ont mise en place. Concrètement, cette commodité permet à un tiers payant qui est en l'occurrence la compagnie d'assurances, de régler en lieu et place du patient (adhérent de la compagnie) 80 % de la facture. Le reste qui est à la charge du patient est le ticket modérateur (différence entre le montant pris en charge par la compagnie d'assurances et le montant global de la facture établie). L'accès aux soins est ainsi facilité. Combien de personnes bénéficient de ce système de tiers payant ?
Les compagnies d'assurances comptent près d'un million d'adhérents, soit environ 330.000 assurés plus leurs ayants droit (femme, enfants). Pour rappel, seuls 15 % de la population nationale, dont la majorité est constituée de fonctionnaires, couverts par la CNOPS (Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale), y ont accès. Autrement dit, c'est le million de souscripteurs que sont les fonctionnaires qui permettent la couverture d'environ 3 millions de personnes (adhérents et ayants droit).
Maintenant que cette prise en charge est suspendue, qu'adviendra -t-il des 330.000 assurés et de leurs ayants droit ?
Selon Ali Boughaleb, secrétaire général de la FMSAR, avec cette suspension des
prises en charge, l'assuré payera la totalité (100 %) des frais d'hospitalisation. Le remboursement à hauteur de 80 % s'effectuera par la suite. Seulement, au préalable, dit-il, la compagnie d'assurances devra donner son accord. "Nous revenons ainsi à l'ancien système d'avant 1998. Le patient doit négocier les tarifs ou au moins se renseigner avant l'hospitalisation", fait-il remarquer.
Mais cette frange de la population qui bénéficiait du système tiers payant a-t-elle les moyens de payer la totalité de ses dépenses médicales pour ensuite demander à être remboursée ? Ce remboursement ne laisse-t-il pas entrevoir des problèmes
en perspective ? "Les compagnies d'assurances disent qu'il y a surfacturation même en présence des prises en charge. Pensez-vous que le problème sera résolu par la suppression de ces dernières. Il est évident que les assureurs vont dire toujours qu'il y a surfacturation. En fait, lorsque le patient présentera la facture à la compagnie, cette dernière lui fera toutes les tracasseries du monde pour ne pas le rembourser sur la base réelle. C'est dire que le problème ne s'arrangera pas avec cette méthode", analyse Farouk Iraqi, président de l'ANCP.
Quelle est réellement l'approche économique des compagnies d'assurances pour leur branche médicale ? Est-ce un produit d'appel pour les assureurs pour accepter que la branche médicale soit déficitaire ? Doivent-elles par conséquent revaloriser leurs primes s'il le faut ? Autant de questions qui appellent des réponses urgentes.
A.S & H.B


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