Entretien avec Moustapha Almouatassim, président du mouvement islamiste Al Badil Al Hadari* Dans un entretien à La Gazette du Maroc, Moustapha Almouatassim estime que le choix démocratique est la véritable police d'assurance contre la recrudescence du terrorisme. La Gazette du Maroc : quelle est la position politique de votre mouvement vis-à-vis des attentats du 16 mai ? Moustapha Almouatassim : le mouvement islamiste “Al Badil Al Hadari” condamne catégoriquement les attentats terroristes qui ont frappé, le 16 mai, le cœur de la ville de Casablanca, et qui ont coûté la vie à des innocents aussi bien de nationalité marocaine que des étrangers issus de pays amis du royaume. A ce propos, il serait utile de rappeler que notre mouvement compte parmi les premières organisations à avoir condamné les attentats terroristes, perpétrés par le réseau Al-Qaida contre les Etats-Unis, le 11 septembre 2001. Il faut savoir également que le mot terrorisme est banni par notre organisation qui rejette le recours à la violence sous toutes ses formes. Comment pouvez-vous expliquer le glissement du Maroc vers l'intégrisme religieux ? Les facteurs explicatifs des derniers attentats terroristes à Casablanca sont multiples. Mais, l'explication la plus évidente relève d'un ordre sociologique. En effet, ces dernières années, le Maroc est devenu un terrain propice au terrorisme à l'image de la société marocaine qui affiche un haut degré de violence dans les différentes structures sociales de base, telles que la famille. Sans compter la montée en puissance de la violence dans les rues et dans les stades sportifs. Cela étant, il ne faut surtout pas oublier de souligner l'importance de la crise socioéconomique qui ronge les couches défavorisées de la société. Pour exemple, la paupérisation conduit, chaque jour, nos jeunes vers l'émigration clandestine qui fait chaque année des milliers de morts. Enfin, il serait juste de relever la démission des partis politiques de leur fonction d'encadrement éclairé des jeunes. Face à ce vide, ces derniers sont devenus une proie facile à toutes les formes d'endoctrinement démagogique qui conduisent inexorablement au fatalisme. Comment expliquez-vous les attaques politiques menées par les forces politiques de gauche contre les mouvements islamistes ? Et pensez-vous qu'elles vont influer négativement sur l'avenir politique des islamistes ? Je suis très surpris par la campagne politique menée par des partis politiques qui se disent démocratiques contre les organisations islamistes. De là, il ne serait pas exagéré de parler non seulement d'un intégrisme religieux, mais aussi et surtout d'un intégrisme laïc, mené tambour battant par des forces politiques pseudo démocratiques qui prêchent une politique immorale et sans éthique. Par conséquent, je serais tenté de parler d'une véritable crise des élites politiques, aussi bien au sein des partis que parmi les mouvements islamistes. C'est pourquoi, j'estime urgent la réhabilitation des élites par le renforcement de la culture démocratique dans les comportements des politiques. Malheureusement, ces derniers entravent, par la course effrénée vers le pouvoir et l'argent, le processus de transition démocratique du pays. Ceci étant, je suis convaincu que l'amalgame fait par certaines forces politiques entre l'Islam et le terrorisme n'aura aucun effet négatif sur l'avenir des mouvements islamistes. Votre évaluation de l'adoption de la loi pour la lutte contre le terrorisme ? Le mouvement islamiste “Al Badil Al Hadari” n'est pas opposé à la loi contre le terrorisme, adoptée dernièrement par le Parlement marocain. En même temps, nous rejetons catégoriquement toute instrumentalisation malsaine de cette loi pour réduire les espaces des libertés individuelles et compromettre les acquis des Marocains au niveau des droits de l'homme. Quel est, selon vous, le rôle que doit remplir le Roi, en tant que Commandeur des croyants, ainsi que le ministère des Habous et des Affaires islamiques pour contrer l'intégrisme religieux ? Personnellement, je crois que le Maroc doit réfléchir sur les problématiques politiques de fond qui retardent sa transition démocratique. Pour exemple, je crois que la solution sécuritaire n'est pas capable, à elle seule, de contrecarrer la montée spectaculaire de l'intégrisme sous toutes ses formes, qu'il soit religieux ou laïc. Il suffit de rappeler l'échec de l'option sécuritaire adoptée par l'Egypte contre “l'intégrisme religieux” pour se rendre compte des limites de cette solution. A mon avis, je crois que le remède à ce fléau relève d'un ordre intellectuel qui fait appel à la clairvoyance de l'institution des Oulémas et aux mouvements islamistes éclairés. A ce niveau, il faut absolument préserver le rôle central du Roi, en tant qu'Amir Al Mouminine, dans la structuration du champ religieux. Historiquement, la monarchie marocaine dispose d'une légitimité symbolique inébranlable qui lui permet d'être le garant de la religion musulmane. Pouvez-vous nous parler des grandes lignes qui caractérisent le projet politique de votre mouvement ? Le projet du mouvement islamiste “Al Badil Al Hadari” se résume en trois mots : la construction d'un régime démocratique. Ainsi, malgré la diversité des référentiels politiques (islamique, gauchiste, anarchiste…) le dialogue entre les différents acteurs politiques est la priorité des priorités à l'heure actuelle. En pratique, le consensus politique est devenu une nécessité qui suppose la mobilisation générale de toutes les forces politiques du pays. D'un autre côté, notre mouvement estime important la mise en place d'une politique socioéconomique efficace qui prend en considération le “système des valeurs” de la société marocaine. Ce faisant, il serait possible d'endiguer les comportements de déviances qui conduisent certains jeunes à des actes suicidaires et complètement irresponsables. En pratique, qu'est-ce que votre mouvement a entrepris pour mettre sur pied ce projet démocratique ? D'abord, j'estime important de rappeler que notre mouvement rejette la mise en place d'un front religieux opposé à un front laïc. En revanche, notre objectif est de mettre sur pied “un pôle démocratique” pour contrer les adversaires de la démocratie. Il faut rappeler aussi que depuis la mort de feu Hassan II, notre mouvement n'a cessé de prêcher la dynamisation de la transition démocratique par l'appel à l'institution d'un “pôle démocratique” capable de représenter toutes les forces politiques malgré leur divergence et leur diversité. En pratique, nous avons tenté d'établir “le dialogue” entre les différents courants politiques (laïcs, islamistes et amazighs) pour mettre sur pied une démocratie consensuelle. Sur le terrain, le mouvement islamiste “Al Badil Al Hadari” a réussi à concrétiser une partie de ce grand projet de société. Pour exemple, il serait utile de souligner que nous sommes parmi les rares organisations à mettre en œuvre une véritable politique de proximité qui privilégie les zones périphériques marginalisées, telles que les carrières de Bensouda et de Zouagha. A mon avis, nous sommes capables d'encadrer les masses et par là même essayer d'éradiquer toutes les représentations mal fondées qu'entretiennent nos jeunes sur le fanatisme et l'intégrisme sous toutes ses formes. Malheureusement, jusqu'à maintenant, nous n'avons eu ni l'occasion ni les moyens de réaliser ne serait-ce qu'une partie de notre projet politique.