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L'enquête s'étend à d'autres villes
Publié dans La Gazette du Maroc le 16 - 06 - 2003

L'enquête sur le cartel de la drogue se poursuit et de nouvelles arrestations ont été effectuées à Tétouan. Les recherches se sont étendues aux villes de Tanger et Al Hoceima pour incriminer d'autres narcotrafiquants et des fonctionnaires de l'Etat. Mounir Erramach a révélé qu'il avait déjà été arrêté en août 2002 et qu'il avait réussi à "acheter" sa liberté pour deux milliards de centimes.
Les enquêteurs persévèrent et les arrestations se poursuivent de manière systématique. Le nombre des individus interpellés ou mis sous mandat de dépôt ne cesse de grimper et la liste avancée par le ministre de la Justice, mardi 26 août, s'est déjà enrichie d'une bonne dizaine d'individus. Mohamed Bouzoubaâ avait prévenu lors d'un point de presse : "l'enquête est toujours en cours pour démasquer d'autres personnes ayant joué un rôle dans cette affaire", augurant que les recherches n'étaient pas closes, que d'autres poursuites seraient bientôt engagées par la justice marocaine.
Les arrestations se poursuivent
Les recherches concernent aussi des magistrats qui ont été impliqués dans les événements de Tétouan. Une enquête menée au sein de la Cour d'appel de cette ville a permis de remonter jusqu'à la maison particulière de l'un des magistrats où une somme importante d'argent a été découverte.
Mais ce n'était que l'arbre qui cachait la forêt. Ils sont cinq, arrêtés aujourd'hui par la police, à avoir trempé dans la connexion. Parmi eux figurent les principaux hauts fonctionnaires de la Justice locale : (voir liste page suivante) Triste bilan pour Tétouan : la moitié des magistrats de sa Cour d'appel a été épinglée cet été. Dans l'affaire, la complicité de la Justice a permis de couvrir les activités des narcotrafiquants en organisant de faux procès et en faisant bénéficier les prévenus de réduction de peine ou carrément de liberté. Ces magistrats corrompus ont été soit mutés, soit suspendus, soit traduits en justice.
On apprend au même moment qu'un haut personnage des Forces Armées a été placé sous mandat de dépôt pour son éventuelle implication dans le trafic de la drogue. A M'diq, plusieurs éléments de la gendarmerie ont été convoqués pour un interrogatoire qualifié par les autorités de routinier. Cet interrogatoire portait sur les activités du port, considéré comme l'un des points de sortie du trafiquant Erramach, d'autres questions ont porté sur le responsable hiérarchique de M'diq arrêté dès les premiers jours de l'enquête.
Les dossiers de 1996
On ne s'étonne pas par conséquent que la Justice ait décidé de revenir sur les vieux dossiers de l'assainissement raté de 1996. Notamment ceux qui avaient bénéficié d'un verdict d'acquittement. Ainsi, selon des sources concordantes, la semaine dernière a vu l'interpellation de nouveaux fonctionnaires de l'Etat qui avaient occupé des postes importants entre 1994 et 2003 au sein des tribunaux de Tétouan, de la Sûreté nationale ou de la Gendarmerie.
La révision des affaires de 1996 a poussé les autorités à s'intéresser à d'autres magistrats qui font actuellement l'objet d'une enquête approfondie. La Cour spéciale de justice mise en place à Tétouan a déjà étudié trois dossiers de l'assainissement et a conclu qu'ils étaient tous emprunts d'irrégularités graves qui avaient permis, par le passé, de relâcher trois noms notoires liés à la drogue et à la corruption dans le Nord. Ces dossiers seront réexaminés et les cas de nouveau traduits en justice.
Plusieurs personnes suspectées aujourd'hui de trafic de drogue faisaient déjà l'objet d'une poursuite judiciaire en 1996. Elles avaient pour la plupart fui vers l'Europe et parfois des jugements avaient été prononcés par contumace…
Entre temps, ces personnes connues de la scène publique sont revenues au Maroc et ont été miraculeusement réhabilitées.
Les révélations de Erramach
C'est le cas de Mounir Erramach qui avait été arrêté en août dernier à Bab Sebta, mais il avait été relâché après des interventions que l'on dit provenant de hautes personnalités. En passant à table, jeudi dernier, Mounir Erramach a tout déballé. Il a raconté notamment que son arrestation avait eu lieu à la suite d'une bagarre à l'arme blanche qui l'avait opposé au gang de Belarbi sur le port de plaisance Marina Smir.
La coquette somme de 2 milliards de centimes avait été remise au chef de la Sûreté régionale en personne, en échange de sa libération. L'argent a été déposé en plusieurs tranches, avec des sommes allant de 30 à 60 millions de centimes. Le chef de la Sûreté régionale allait faire plus que remettre Mounir Erramach en liberté. Il allait obtenir que son nom soit rayé de la liste des personnes poursuivies par la police marocaine.
Ainsi, comme il le raconte lui-même durant le procès, il s'est présenté à Bab Sebta et a pu vérifier qu'effectivement Mounir Erramach n'était plus recherché… Mais cet argent a-t-il servi au seul ex-chef de la Sûreté nationale ? A-t-il pris lui-même l'initiative de réhabiliter le narcotrafiquant ou était-il seulement un relais dans un circuit plus important ? Un autre “don” a été évoqué par Erramach durant ses aveux : un appartement sur la côte espagnole, d'une valeur de 1.200.000 dhs, que l'ex-chef de la Sûreté régionale de Tétouan a présenté comme une acquisition de sa femme qui aurait emprunté la moitié de la somme à une banque.
Par ailleurs, Mourad Bouziani, dit le Casablancais, un narcotrafiquant notoire poursuivi avec Erramach, a été entendu la semaine dernière par le Parquet de Tétouan. Devant l'importance des révélations qu'il devait faire, les autorités ont décidé de le transférer à la prison de Salé pour une éventuelle confrontation avec les autres prévenus. Arrêté au tout début de l'affaire après une fugue de quelques jours, il a comparu vendredi 29 août à Rabat, pour apporter des éclaircissements sur ses activités dans le cartel de la drogue de Tétouan.
L'enquête lorgne vers Tanger et Al Hoceima
La semaine dernière, l'enquête qui concernait dans un premier temps la ville de Tétouan a été étendue à d'autres régions du Nord et de l'Oriental.
Les dossiers de 1996 seront réouverts également dans la ville de Tanger et Al Hoceima. On se rappelle des condamnations de Derkaoui, Yakhloufi, alors que plusieurs autres chefs de bandes avaient échappé à la Justice.
De hauts fonctionnaires de Tanger, appartenant à la Sûreté nationale,
la gendarmerie et l'administration provinciale, dont un ancien secrétaire général de province, sont actuellement arrêtés et une enquête a été ouverte pour déterminer leurs rôles respectifs joués en 1996.
D'un autre coté, il est à signaler que plusieurs personnalités marocaines
ont été interdites de voyage et sont désormais mis à la disposition de la Justice. Cette vague d'arrestations et de soupçons qui pèse sur les nouvelles villes ne sera pas sans conséquences. Les notables et hommes d'affaires qui ont investi dans la drogue ou qui ont blanchi l'argent sale ont désormais peur pour leur liberté et leurs comptes en banque.
Ainsi différentes banques de Tanger ont laissé entendre ces derniers jours que des clients retiraient “de très grosses sommes d'argent”, chiffrées en milliards de centimes rien que dans la ville du Détroit.
Des prévenus en fuite
La surveillance de la région du nord et de l'oriental se déploie jusqu'à Nador et Sebta, et surtout le littoral, qui font en ce moment l'objet d'un contrôle rigoureux afin d'empêcher les individus en fuite de s'échapper vers le continent voisin.
Le cartel avait des soutiens logistiques et humains, notamment en Espagne où la connexion internationale d'Erramach est confirmée par plusieurs déclarations. Le cas de Hicham Harbouli, un chef de gang recherché qui opérait entre Tétouan, Sebta et l'Andalousie, est à citer.
On suppose qu'il n'est plus au Maroc et qu'il a fini par gagner l'autre rive peu après le 2 août. Beaucoup d'hommes d'Erramach ont pu faire autant. Mais s'il est avéré que plusieurs narcotrafiquants trouvent facilement refuge dans la Costa del Sol voisine, il est encore plus vrai qu'il n'existe pas de cadre juridique pour exercer des pressions sur les Marocains en fuite en Espagne.
Malgré la proximité des côtes et le trafic de drogue reconnu internationalement entre les deux rives, aucune disposition légale et policière n'a été négociée par le passé pour permettre au Maroc de récupérer les délinquants se dissimulant à Sebta, Melilia ou en Espagne.
Qu'en sera-t-il aujourd'hui, notamment lorsque des déclarations persistantes révèlent depuis le début de ce procès que la nébuleuse de la mafia marocaine avait des bastions au sein même des corps de l'Etat espagnol, où des gendarmes et des douaniers ibériques aidaient la cargaison à traverser sans embûches le territoire ?
Les déclarations de Mounir Erramach
Mounir Erramach a consacré une partie de ses aveux de la semaine dernière à expliquer comment il avait connu le haut responsable de la Sûreté nationale de Tétouan. Il avait noué avec le fonctionnaire des relations dès 2000, avant que ce dernier ne soit muté de Tanger à Tétouan. Les sommes qui ont été versées dans l'intervalle de trois ans par Mounir Erramach au haut fonctionnaire, pour acheter la complicité des plus importants représentants de la loi et de l'Etat, ont été communiquées par le prévenu. Devant la cour, il a évoqué les sommes suivantes :
• Libération et réhabilitation de Mounir Erramach (août 2002) :
2 milliards de centimes.
• Couverture et soutien des activités de Mounir Erramach liées à la drogue : environ 400 millions de centimes. Cette somme a été remise au responsable de la Sûreté régionale en plusieurs tranches. D'abord 50 millions dans une maison, ensuite 40 millions dans une voiture de service de la police, etc., les sommes déposées variant à chaque fois entre 40 et 50 millions de centimes.
• Cadeau personnel : achat d'un appartement par Mounir Erramach pour le fonctionnaire de l'Etat sur la côte Riviera en Espagne. Le trafiquant a aussi procédé à l'ameublement de l'appartement, dont la valeur est de 120 millions de centimes. Cet appartement est actuellement au nom de l'épouse du fonctionnaire.
Liste des personnes déférées devant la Cour spéciale de Justice
Magistrats :
Mohamed Farid Benazouz : substitut du Procureur général du Roi auprès de la Cour d'appel de Tétouan.
Abdelkader Younsi : substitut du Procureur général du Roi auprès de la cour d'appel de Tétouan.
Abdellah Salal : Président de la Chambre criminelle à la Cour d'appel de Tétouan.
Abdelkrim Zerhouni : Président de la Chambre criminelle à la Cour d'appel de Tétouan.
Abdeslam El Hajoui : président de la Chambre criminelle à la Cour d'appel de tétouan.
: Un des greffiers de la Cour d'appel de tétouan.
Sûreté nationale :
Mohamed Sekkouri : Contrôleur général.
Mohamed Charafedinne : Contrôleur général.
Youssef Jebara : Commissaire principal.
Abdessadek Boussalem : Commissaire principal.
Youssef Hourras : Commissaire de police.
Yassine Zewawi : Officier de police principal.
Abdelkrim Belamite : Officier principal.
Mostafa Laroussi : Officier de police.
Mohamed Hassan : ex-chef de la Sûreté de Fnidek.
: L'ex-chef de l'arrondissement urbain de la Sûreté à Fnidek.
Forces Armées Royales:
Oumari Zemzemi : Commandant.
Younès Bennani : Capitaine.
Gendarmerie Royale:
Abdellah Serhane : Adjudant-chef.
Saïd Massou : Sergent-chef.
Mostafa Meroun : Sergent-chef.
Direction de la surveillance du territoire:
Ramzi M'rabet
Douane :
Abdelkader Hbouli : Agent technique.
Intermédiaires :
Mostafa Tétouani Kwih : Entrepreneur
Mostafa Benaboud : Entrepreneur
Ahmed Charafeddine : Entrepreneur
Mohamed Khadari : Président de commune.
Narcotrafiquants :
Mounir Erramach
Mourad Bouziani


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