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Comment fonctionnent les réseaux intégristes au Maroc ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 09 - 06 - 2003


La piste d'Al Qaïda
Après que la démarche du
“profiling” des terroristes ait montré ses limites aux USA, il serait grand temps d'adopter une nouvelle approche capable de remonter jusqu'aux racines du phénomène. Il s'agit de procéder à une analyse méthodique des réseaux intégristes locaux.
Des réseaux pilotés par les “cavaliers de Dieu” dans le but de mener la guerre sainte “Jihad” contre les Croisés et les Juifs. Une voie tracée par l'organisation Al Qaïda qui vient d'ajouter le Maroc, et avant lui la Tunisie et l'Arabie Saoudite sur la liste de ses cibles, après les derniers attentats de Casablanca. Maintenant, tout le monde se demande comment ces groupuscules sont arrivés à monter leurs opérations sans être repérés par les services de sécurité ?
Qu'est-ce qu'un réseau intégriste ?
Pour répondre à cette question, il faudra d'abord définir la notion de réseau, et ensuite dégager les propriétés des réseaux intégristes qui ont fomenté ces attentats-suicides.
En théorie, la galaxie intégriste est constituée d'un ensemble de réseaux enchevêtrés partout dans le monde. Ces organisations sont des configurations de liens tissés entre des individus à obédience islamiste radicale, avec des cercles de plus en plus lointains autour. Ces circuits sont connectés à distance grâce à une vision relationnelle d'individus multiples où chaque membre du réseau peut entrer en contact avec les autres et déployer ses informations et ses ressources. Maintenant qu'on a défini la notion de réseau, reste à déterminer ses mécanismes de fonctionnement.
L'intérêt de cette démarche est considérable: elle va nous permettre de mesurer la quantité de liaisons des auteurs des attentats, leurs points de passage obligé, le chemin le plus court qu'ils ont emprunté, le maillon le plus faible de leur réseau, la compacité des liaisons qu'ils entretiennent et enfin l'entente générale qui fait leur force. Pour résumer, on peut répertorier les propriétés de tout réseau intégriste en cinq points : la densité, la centralité, la proximité, la connexité, la vulnérabilité et enfin l'équilibre
La densité
L'intensité des liens sociaux dans un réseau est une condition sine qua non de son fonctionnement. C'est le cas des réseaux de l'islamisme radical dont les membres entretiennent des relations sociales très fortes. Selon eux, l'Islam est fondé sur “ la solidarité ” de toute la communauté musulmane. Et par conséquent, les Musulmans sont considérés comme des frères de sang au service d'Allah “ Ikhwa fillah ”. Cet appel à la solidarité religieuse se trouve dans la loi islamique, notamment dans la “ Sunna ” du prophète Mohammed. Ce dernier appelle les Musulmans à fréquenter les mosquées pour consolider les liens entre les membres de la “Oumma ”. Donc, il n'est pas surprenant de voir le réseau intégriste marocain entretenant une grande quantité de liaisons entre ses membres. Ces derniers se voient quotidiennement et se connaissent parfaitement. Le choix d'un vendredi, considéré comme un jour d'union sacrée chez les Musulmans, n'est certainement pas un hasard.
La centralité
Le réseau intégriste se caractérise par la centralité d'un “ modèle islamique radical ” dans l'imaginaire et les comportements de ses membres. Pour revenir aux attentats de Casablanca, il est probable que ce soit le référentiel idéologique d'Al Qaïda qui nourrit les représentations des combattants suicidaires. En d'autres termes, il semble que la voie du “ martyre ” soit un point de passage obligé pour tous les membres du réseau. Du coup, ces derniers doivent faire montre d'un dévouement inconditionnel à l'idéal du “ Jihad ”. Ce faisant, le suicide se transforme en acte de foi permettant au combattant de rejoindre les rangs des grands “chouhada ”, au paradis !?
La proximité
La proximité est sans doute l'un des principes fondateurs du fonctionnement des réseaux de l'islamisme radical. En théorie, il s'agit de repérer le chemin le plus court que les terroristes ont emprunté pour commettre les attentats. En pratique, c'est le réseau central d'Al Qaïda qui aurait chargé un réseau local de martyrs marocains, connaissant parfaitement les cibles choisies. D'une certaine manière, l'embrigadement
de kamikazes locaux augmente considérablement les chances de succès des attentats.
Ceci étant, l'appui des experts d'Al Qaïda demeure indispensable pour le “bon déroulement ” des opérations. Sur le terrain, la planification minutieuse des attentats de Casablanca atteste positivement de l'implication de commandos d'Al Qaïda qui ont, justement, l'habitude de piloter discrètement des opérations-suicides à distance. Les attentats commis contre la synagogue de Djerba en Tunisie en sont une parfaite illustration. Donc, on est bel et bien en face d'un véritable réseau intégriste local, pratiquement opérationnel dans toute la région du Maghreb.
Connexité et vulnérabilité
Il va sans dire que chaque réseau intégriste souffre de certains points de faiblesse. Une analyse minutieuse des attentats du vendredi 16 mai dévoile certains maillons faibles qui attestent de la vulnérabilité du réseau local. D'une part, au niveau structurel, le réseau en question n'est pas très bien implanté dans l'espace géographique national. La preuve en est que la plupart des suicidaires se sont activés dans le même périmètre spatial qui ne dépasse pas le centre et les zones périphériques de Casablanca. Ce qui facilite en quelque sorte le travail des enquêteurs.
D'autre part, sur le plan organisationnel, il faut dire que les auteurs des attentats manquent d'expérience sur le terrain. Il serait utile de souligner l'improvisation et la panique qui ont marqué la plupart des opérations suicidaires. Sans compter le manque patent de “ points de relais ” du réseau, chargés d'habitude de récupérer en off les éléments qui ont échoué dans leur mission.
L'équilibre
Pour assurer l'équilibre de toute organisation terroriste qui maintient des liaisons en étoiles avec un noyau dur décentralisé, le plus important est d'assurer la cohésion du groupe.
À cette fin, les patrons d'Al Qaïda disposent de deux armes d'endoctrinement des plus redoutables. La première est l'interprétation radicale de la religion. À ce niveau, “ les Fatwas ” jouent un rôle névralgique pour prêcher “ l'idéologie du Martyre” (Ach'ahada). Pour les membres du réseau, il s'agit avant tout d'une guerre sainte
“ Jihad ” contre les Juifs du monde entier. Ce qui explique en partie le choix de la ville de Casablanca pour cible.
La deuxième arme qui maintient l'équilibre du réseau est la mythification du chef. En pratique, c'est le cheikh Ben Laden qui nourrit l'imaginaire des combattants. Pour ces derniers, il est le glaive de Dieu (seïf Allah) qui a réussi à affronter l'alliance diabolique israélo-américaine. Le mythe du chef est tellement important que chaque sous-organisation désigne son propre “Amir”, chargé de coordonner le travail du groupe.
Un constat alarmant
Après cette analyse, il apparaît évident que l'organisation qui a commis les attentats de Casablanca dispose bel et bien des propriétés nécessaires faisant d'elle un réseau intégriste opérationnel de second degré. Premièrement, il est certain que les membres du réseau marocain entretiennent des liaisons en étoiles avec les pôles du terrorisme transnational. Deuxièmement, ces relations sont nourries par l'idéologie du martyre et gravitent autour d'un centre d'opérations inféodé à Al Qaïda. Troisièmement, le réseau local responsable des attentats de Casablanca dispose de moyens logistiques incommensurables, à l'image des explosifs très sophistiqués utilisés dans les opérations suicides.
En plus, le profil des ingénieurs des attentats est à prendre en considération. Ce sont des personnes qui vivent de peu, parlent plusieurs langues, sont champions dans le cyber-terrorisme, savent faire une bombe d'un vieux réveil ou d'une bouteille de gaz et enfin sont prêtes au martyre. En somme, nous sommes en face d'une force effrayante qui nécessite une coopération internationale et pluridisciplinaire. Une redoutable machine à tuer dont les commandes se trouvent entre les mains de personnes fantomatiques, mais qui sont capables de frapper à tout moment.


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