Derb Omar "Un chèque n'est pas un instrument de crédit, mais de paiement. Il n'est jamais un acte de commerce par la forme. Un chèque est payable à vue". Trois vérités relatives aux chèques qui ne font pas bon ménage avec la plupart des commerçants de Derb Omar. Dans ce lieu d'échanges et de commerces réputé pour son gros chiffre d'affaires qu'il dégage et où pourtant les commerçants travaillent quasiment avec les chèques, c'est une sorte de convention qui ne dit pas son nom pour ces businessmen qui semblent réguler l'usage des chèques. "Devant le fait qu'on ne voyait souvent pas l'argent ici, j'ai très tôt compris que celui-ci empruntait un autre circuit autre que celui des banques". Ce chef d'agence bancaire qui explique ainsi le début de sa prise de fonction dans ce quartier commercial est conscient qu'entre commerçants-grossistes et demi-grossistes et détaillants d'une part, et d'autre part, entre ceux-ci et ceux des autres régions du royaume, la quasi-totalité des transactions se fait par chèque. Seulement le problème se pose ailleurs. Ici, le chèque est devenu un instrument de crédit. "Nous vendons avec des chèques que nous utilisons ensuite pour nous approvisionner", reconnaît un grossiste spécialisé dans la mercerie et les garnitures de sacs. Pour Rachid qui tient un commerce de demi-gros dans le même domaine, il leur arrive très souvent de récupérer à travers leurs ventes plus d'une vingtaine de chèques provenant des quatre coins du royaume qu'ils ventilent à leur tour à leurs différents fournisseurs se trouvant dans d'autres régions du Maroc. "Il arrive que certains de mes fournisseurs refusent de prendre certains de mes chèques appartenant à des personnes qu'ils jugent de mauvaise foi", dit-il. Dans ce milieu des affaires, ce ne sont pas les anecdotes qui manquent en termes de chèques. Parmi celles-ci, on raconte qu'un grossiste dont l'essentiel de sa clientèle ne disposant pas de compte bancaire (donc pas de chéquier), s'est vu obligé d'ouvrir des comptes à tous ses clients. Depuis, dit-on, ce commerçant en gros travaille avec moins de stress. Il faut dire que dans cette chaîne aux différentes ramifications, les intervenants ont fini par placer certains des membres sur la liste rouge. Au final, il faudrait qu'on empoche quand même l'argent ? Sur la question, Rakib explique que les chèques sont encaissés suivant l'indication de l'échéance mais qu'il arrive que des chèques reviennent impayés. "Là, le chèque remonte rapidement la chaîne jusqu'à ce qu'il arrive à l'émetteur. Ce qui veut dire qu'au passage, tous les intervenants ont récupéré leur dû en se remboursant entre eux", explique-t-il. Interrogés à propos de la circulaire, la plupart d'entre eux affirment avoir entendu la rumeur faisant état d'une éventuelle dépénalisation des chèques sans provision et de l'abandon du recours à la contrainte par corps pour le recouvrement des créances contractuelles. Qu'en pensent-ils ? Même s'ils reconnaissent qu'ils n'observent pas toutes les dispositions relatives à l'usage du chèque, ils sont quasiment pour la pénalisation du chèque. Et les chèques sans provision au moment de l'émission qu'ils s'échangent abusivement ? Ils répondent qu'ils ont tous le même objectif et que sans la confiance, il n'y a point de commerce. Patronat Pour plus de vigilance Si le patronat a bien saisi les contours de la circulaire, celui-ci souhaite aujourd'hui une réflexion plus profonde sur le droit pénal de l'entreprise. Les opérateurs économiques ne pouvaient pas rester insensibles à la circulaire du ministre de la Justice. Si dans les premières heures qui ont suivi son émission, la CGEM affirmait n'être pas en mesure pour l'instant de réagir compte tenu de l'imprécision de certains de ces termes. Aujourd'hui les choses sont devenues plus claires à leurs yeux : "nous sommes d'accord sur le principe et nous nous inscrivons dans cette optique", souligne Abed Kabadi, président de la Commission juridique de la CGEM. Seulement pour le patronat, le circuit commercial ne doit pas être perturbé par des gens de mauvaise foi. L'allusion est faite ici à ceux qui essaieraient de profiter abusivement des termes de l'article 11 de la Convention mondiale sur les droits civils et politiques du 8 novembre 1978 et selon lequel, il n'est pas permis d'emprisonner une personne pour le seul motif d'être incapable d'honorer ses engagements contractuels. Jusque-là, la loi 15-95 formant code de commerce s'est particularisée par rapport à la législation antérieure en matière d'effets de commerce par la pénalisation à outrance du chèque. Cette législation répressive pour le chèque a été renforcée pour mettre fin à l'utilisation des chèques sans provision. C'est dire la volonté du législateur de sévir en la matière pour que ce moyen de paiement se développent dans le pays. Aujourd'hui, pour le président de la Commission juridique de la CGEM, il faut repenser complètement le droit pénal de l'entreprise. "L'entreprise souhaite une réflexion dans ce sens", dit-il. Déjà, une réflexion est engagée, à ce sujet, en interne à la CGEM. Au-delà, une rencontre entre le patronat et le ministre de la Justice est en vue.