* L'encours des chèques «en bois» a atteint à fin 2006 les 33,8 milliards DH. * Lutter contre le phénomène, d'accord ! Mais la loi ne colle pas toujours à la réalité . * Une réforme et une réflexion de fond s'imposent. Lencours à fin décembre 2006 (depuis le 3 octobre 1997, date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code de commerce relatives aux chèques sans provision (chèques en bois), a atteint un montant de 33,8 milliards de dirhams, contre 30,5 milliards un an auparavant. 33,8 milliards, c'est presque l'équivalent de la capitalisation boursière de la star de la Bourse de Casablanca : Douja Promotion Addoha. Les Marocains sont-ils si mauvais payeurs? À quoi, diable, nous servent alors les nouvelles dispositions de la loi et les caravanes de sensibilisation, par ci et par là, sur le chèque? Disons-le tout de suite : la loi est pleine d'embûches et la réalité marocaine est tout autre Le chèque, comme il a été conçu par les Vénitiens juifs du 16ème siècle, est tout simplement un mode de paiement. Au Maroc, il est une garantie, un outil de crédit plus que tout autre chose... Et là est le cur du problème. Des lois pour faire branché ! La législation marocaine est moderne. C'est un constat que tout le monde partage. La réforme du Code du commerce ainsi que les différentes circulaires récemment publiées abondent dans ce sens. Sauf que le législateur a pris soin de s'aligner sur des modèles qui ne collent pas à la réalité du «bled». On ne le dira jamais assez : la pratique du marché est celle qui devrait primer, ou du moins inspirer les concepteurs de la loi. La loi exige, par exemple, que toute transaction portant sur un montant dépassant les 10.000 dirhams soit réglée par chèque. Les premières irrégularités constatées sur le marché ont trait à cela. Question : à quoi sert cette obligation dans un pays où les trois-quarts de la population ne sont pas bancarisés ? Mieux, un tour à Derb Omar ou à Derb Ghallef, ainsi que dans d'autres lieux commerciaux, démontre que le chèque est tout sauf un moyen exclusivement dédié au règlement à vue. Commençons par les domaines réputés structurés. Les cliniques, à titre indicatif, exigent le dépôt d'un chèque de garantie avant que les médecins ne prennent en charge le malade. Le montant de la garantie est estimé en fonction de la prestation. Pour une facture de 20.000 DH par exemple, la garantie sera de 10.000 à 13.000 DH, selon la tête du «client». Et pourtant, l'article 316 du Code du commerce est clair à ce sujet : « Est passible d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 2.000 à 10.000 DH... toute personne qui, en connaissance de cause, accepte de recevoir ou d'endosser un chèque à la condition qu'il ne soit pas encaissé immédiatement et qu'il soit conservé à titre de garantie». L'émetteur du chèque n'est pas mis en cause. Celui qui le reçoit prend le risque de se voir mettre en prison. Si cet article est appliqué, il n'y a pas que les éminents chirurgiens patrons de cliniques qui se retrouveraient derrière les barreaux, mais la quasi-totalité des commerçants du pays. En voici une autre preuve : Abdelilah est vendeur d'électroménager à Hay El Farah. Sa méthode, sans laquelle il aurait fermé boutique depuis des années, est de vendre à des conditions souples. «La vente à crédit est très importante dans notre domaine. Notre clientèle est constituée de personnes à faible revenu qui ne peuvent pas se permettre de régler une machine à laver à 4.000 DH d'un seul coup», indique-t-il. Notre commerçant propose des mensualités étalées sur 12 mois. Chaque mois étant garanti par un chèque faisant office de traite à honorer à son échéance. Le chèque est utilisé dans ce cas-là comme garantie et comme instrument de crédit. «C'est une alternative aux taux exorbitants des sociétés de crédit à la consommation (Ndlr. qui arrivent jusqu'à 16% selon la durée du remboursement), mais aussi pour les personnes « anti-riba» (qui évitent l'usure)», explique Abdelilah. L'explication est convaincante. C'est à peu près le fameux principe qu'on enseigne aux étudiants des écoles de commerce : «Quand l'offre ne prend pas en compte toutes les tendances, le marché crée sa propre logique». Mieux encore, la pratique de la garantie ou du chèque/crédit n'est pas l'apanage des commerces traditionnels. Des sociétés structurées en usent à outrance. Il est en effet d'usage que les transactions commerciales se règlent par traites sur 90 jours. L'échéance venue, l'entreprise évalue sa trésorerie et agit en fonction. Si, la traite arrivant à échéance, un manque de liquidités est constaté, l'entrepreneur propose un chèque à encaisser après un délai (allant jusqu'à un mois). Ce délai peut être prorogé en cas de défaut de recouvrement.... Un cercle vicieux qui peut aboutir à des incidents de paiement. «Le chèque sans provision n'est pas seulement un geste de mauvaise foi. Des personnes malintentionnées existent certes, mais d'autres, de bonne foi, se font piéger par les pratiques du marché», nous dit un chef d'agence bancaire. Exemple : les instruments de paiement des entreprises suivent, en théorie, un cycle bien réglé. Le chef d'entreprise encaisse des recettes et décaisse pour payer ses fournisseurs, ses salariés, sa fiduciaire... Si un gros client retarde son règlement ou se déclare dans l'incapacité de payer, les conséquences peuvent être désastreuses. Surtout que la faiblesse de l'assise financière des entreprises, et des PME en particulier, n'est plus à prouver. Un maillon de la chaîne cède, et c'est tout l'édifice qui s'écroule, d'où la situation actuelle. Les caravanes de sensibilisation menées ces deux dernières années par Bank Al-Maghrib, le GPBM, la Confédération des patrons, sont certes nécessaires, mais malheureusement pas suffisantes. Les incidents de paiements s'accroissent d'une année à l'autre... Une réflexion de fond à ce sujet s'impose.