Discours royal et mobilisation des forces démocratiques Le discours royal du 29 mai, par sa fermeté et sa clarté, sonne la fin du laxisme et de l'ambiguïté. Rien ne sera plus comme avant le 16 mai. Il n'y a pas d'équivoque. Le discours royal du 29 mai est clair et explicite : “le terrorisme ne passera pas” et le Maroc poursuivra “la marche engagée pour concrétiser notre projet sociétal, démocratique et moderniste”. Face à l'épreuve des attentats du 16 mai, l'attitude du Roi a voulu, tout d'abord, privilégier l'action et la détermination. Le moment choisi pour s'adresser à la nation illustre le style de S.M. Mohammed VI : il intervient, sans précipitation, après l'expression de la compassion envers les victimes, les mesures prises pour agir contre le réseau terroriste, le vaste mouvement national de protestation et de mobilisation contre le terrorisme et l'annonce de l'accélération des programmes de construction de logements sociaux. Il s'agissait, pour le Souverain, d'une part, de marquer la fermeté de l'Etat dont les services de sécurité doivent faire face efficacement aux complots terroristes et d'autre part, de laisser pleine latitude à l'expression des forces démocratiques. Le Roi a voulu ainsi souligner que l'action de l'Etat ne pouvait être dissociée de la mobilisation de la société et des forces démocratiques. “La marche imposante de Casablanca (…) pour la paix et la tolérance et pour le rejet de la violence et du fanatisme” est saluée par le Souverain qui évoque à son propos l'ambiance de la Marche verte ainsi que “l'état de veille, de vigilance et de mobilisation” qui s'instaure “chaque fois que sont visées les constantes de la nation”. Le discours inscrit parmi ces constantes fondamentales, “le projet sociétal démocratique moderniste”. C'est ce projet qui est précisément visé par le terrorisme. Le pays qui s'est engagé dans une transition démocratique, encore pleine d'embûches et d'incertitudes, doit assumer un choix clair. En soulignant par deux fois la nature du projet de société démocratique moderniste, le discours royal exclut toute ambiguïté. Ce projet s'inscrit dans l'optique, tout aussi fondamentale, de l'Islam, vécu comme “foi tolérante et généreuse”. Le Souverain a stigmatisé les commanditaires et les exécutants des attentats comme “d'ignobles scélérats qui ne peuvent en aucune manière se réclamer du Maroc ou de l'Islam authentique, tant ils ignorent la tolérance qui caractérise cette religion”. Selon les termes du Souverain, l'Islam est religion de vie, “d'effort contre les mauvais penchants de l'individu”. C'est en sa qualité de Commandeur des Croyants (Amir Al Mouminine) qu'il a aussi nettement condamné toute conception et toute pratique conduisant à l'intolérance, le repli, la régression, l'ignorance. Tout obscurantisme est ainsi banni. De ce fait, l'option démocratique moderniste est intimement liée à l'Islam tolérant et ouvert. L'heure de vérité Le Souverain trace ici une ligne de démarcation et affirme avec force et conviction que le peuple marocain “trouvera son Premier Serviteur en première ligne pour faire face à quiconque s'avise de le ramener en arrière”. En tout état de cause, force restera à la loi : “l'heure de la vérité a sonné, annonçant la fin de l'ère du laxisme”. Sont explicitement mis en cause d'une part “ceux qui exploitent la démocratie pour porter atteinte à l'autorité de l'Etat” et d'autre part “ceux dont les idées représentent un terreau pour semer les épines de l'ostracisme, du fanatisme et de la discorde”. Les groupes terroristes et leurs alliés objectifs sont ainsi en ligne de mire car l'option démocratique va aussi de pair avec “un Etat fort par la suprématie de la loi”. Le Souverain a ainsi défini, de manière claire et concise, “une stratégie globale” avec son volet politique, institutionnel et sécuritaire et ses aspects économiques et sociaux “au service du développement et de la solidarité”. Cette stratégie traduit l'attente d'une clarification de l'ensemble du champ politique. L'ambiguïté ne saurait plus être tolérée car les enjeux sont devenus d'une extrême gravité pour la sécurité et la stabilité de la société et de l'Etat. Au niveau des partis de la mouvance démocratique, la nouvelle donne politique de l'après 16 mai se traduit d'abord par un brutal réveil. “Nous avons trop baissé les bras face à la propagation de l'intégrisme dans les quartiers populaires” : tel est le leitmotiv qui revient le plus souvent. Aussi appelle-t-on à une mobilisation militante adéquate sur les plans de l'action politique de proximité, la lutte idéologique pour mieux défendre et illustrer les idées de démocratie, de tolérance et d'ouverture à la modernité. Un travail considérable et de toute urgence est à mener en matière d'enseignement, de mouvement associatif multiforme et de médias (notamment audiovisuels). “C'est le mouvement associatif et la société civile qui viendront secouer les partis et les obliger à devenir plus combatifs et plus crédibles”, affirme ce militant d'une nouvelle association créée après le 16 mai. Ce contexte a mis en difficulté le PJD dont les contradictions éclatent au grand jour. Sa “modération” est fortement mise en doute car elle est soupçonnée d'être seulement de “l'opportunisme politique” au service d'un discours et d'un projet qui est resté pour l'essentiel intégriste fermé. “L'intégrisme finit par engendrer la violence”, affirme un politologue. On n'a pas encore vu s'élaborer et s'exprimer un courant islamiste en rupture totale avec l'obscurantisme et la tendance à la violence et à l'intolérance. Même après le 16 mai, Ahmed Raïssouni n'a cessé de tenir des propos qui n'indiquent aucune autocritique ni changement. La crise couve au sein du PJD qui risque de connaître de profondes dissensions, voire un divorce total entre l'aile du Dr Khatib et celle de Raïssouni. D'ores et déjà on laisse entendre que le PJD pourrait ne pas se présenter aux prochaines élections. La nouvelle donne politique ne se réduit pas à un enjeu électoral. L'heure est bien plus grave.