Répercussions politiques de la guerre sur les régimes arabes La guerre contre l'Irak a fait monter d'un cran le ton de contestation à l'égard des régimes arabes en place. La question de la légitimité politique est plus que jamais à l'ordre du jour. Démonstration. Après le déclenchement de la guerre contre l'Irak, par la coalition américano-britannique, les régimes politiques arabes sont dans une situation des plus conflictuelles : comment parviendront-ils à canaliser les “ardeurs nationalistes” des populations qui dénoncent l'invasion de l'Irak, tout en maintenant un discours “politiquement correct”, vis-à-vis de l'action militaire de la plus grande machine de guerre du monde ? La technique du balancier Devant cette situation d'incertitude, les gouvernements des pays arabes étaient obligés de maintenir une politique équilibriste, susceptible d'apaiser les tensions internes, tout en prenant en considération les rapports de force au niveau international. A cet égard, la stratégie du “double standard” s'est révélée une technique de choix contre la montée en masse des mouvements de protestation qui traduisent des émotions patriotiques para-nationales. Pour le cas spécifique de l'Irak, les Etats arabes se sont exprimés, officiellement, contre le recours à la solution militaire. Et en même temps, ils continuent de maintenir, implicitement, “un partenariat stratégique” avec les Etats-Unis. Pour certains, il s'agit là d'une trahison politique qui contribue à saper l'unité du monde arabe. Cette position traduit la conception subjective, souvent celle des masses, qui se laissent emporter par les sentiments ultra-nationalistes. Pour d'autres, la politique du “double standard” est une tactique incontournable pour gérer les situations de crise, surtout en temps de guerre. Ce point de vue est défendu par les partisans de la conception objective, souvent celle des “politiques”, qui privilégient la voie de la “real politik” En deux mots, l'impact de la guerre doit être compris en termes “d'intérêts” politiques, économiques, mais aussi culturels. Pourtant, d'après les spécialistes, il s'agit là d'un débat dogmatique, populiste et dépourvu de tout intérêt. En fait, la politique du “double standard” est une technique universelle qui a fait ses preuves en période de crise. Pour s'en tenir à l'exemple de la guerre du Golfe, force est de constater que quelques gouvernements européens, à l'image de la France et de l'Allemagne, sont passés maîtres de la technique du balancier. Alors que ces deux pays ne cessent de dénoncer le recours à la guerre, ils n'ont pas hésité un instant à négocier, avec les Etats-Unis, une possible contribution à l'exploitation du pétrole irakien ! Donc, il serait injuste d'accuser à tort les Etats arabes d'avoir usé d'un double standard pour contrecarrer les répercussions de la guerre. Il s'agit tout simplement d'une question d'intérêts. L'Arabie Saoudite vient d'en donner l'exemple en déclarant vouloir participer à l'exploitation des richesses pétrolières irakiennes. Les pragmatiques… Pour les pays du Golfe, la politique du “double standard” est une arme à double tranchant. D'un côté, elle leur permet de consolider leur “partenariat stratégique” avec les Etats-Unis, engagés depuis 1991 à assurer la sécurité militaire de la péninsule. De l'autre, cette manœuvre politique risque de favoriser la recrudescence des mouvements contestataires contre les régimes politiques en place. D'où le risque de voir la légitimité politique de ces dynasties remise en question. Or, après trois semaines de guerre, il semble que cette menace a été évitée. Mieux, la majorité écrasante des populations de la région ne cache pas son souhait de voir le régime irakien pulvérisé. Même si la plupart des habitants se disent compatissants avec la souffrance du peuple irakien. C'est pourquoi, il n'est pas exagéré d'affirmer que la plupart des pays du Golfe ont su gérer les répercussions politiques de la troisième guerre du Golfe. A ce niveau, les médias avaient joué un rôle déterminant dans la stabilisation sociopsychologique de la population, se sentant parfois responsables de la mort de civils irakiens. Etant donné que les pays du Golfe abritent les bases militaires américaines. Les malmenés de la guerre Si la plupart des pays du Golfe ont su limiter les dégâts politiques de la guerre contre l'Irak, d'autres pays voisins de la région étaient acculés à subir les foudres des masses humiliées par la passivité de leurs régimes politiques. C'est le cas du gouvernement égyptien qui, en plus des critiques adressées par le Raïs au régime de Saddam, a choisi de mater les mouvements de protestation par une répression excessive. Résultat, la crédibilité politique du pouvoir central a été remise en question par une grande partie du peuple égyptien. Pis encore, le déphasage politique entre l'Etat et le peuple s'est considérablement accentué, surtout après que le gouvernement ait reçu une aide financière américaine. La frustration populaire a atteint son paroxysme lorsque le gouvernement a autorisé les navires de la coalition à passer par le canal de Suez. Sans compter la Fatwa de la mosquée d'Al Azhar attestant de la nécessité de la guerre sainte, le “Djihad”, pour soutenir le peuple irakien. La Jordanie n'a pas été épargnée par la montée des mouvements de contestation anti-américains. L'argument avancé a été confirmé par des sources officielles : l'aide américaine, attribuée au gouvernement jordanien, a été précédée par une aide militaire “non déclarée” à l'aviation militaire américaine, lui permettant de rejoindre l'Irak en utilisant l'espace aérien jordanien ! La position de ces deux pays arabes n'a pas été une surprise. Il faut rappeler que ces deux pays ont déjà signé des conventions de normalisation avec Israël, considéré comme l'allié privilégié des Etats-Unis dans la région. Donc, il était tout à fait normal que les gouvernements de ces deux pays préservent leurs intérêts stratégiques dans la région, serait-ce au détriment de leur crédibilité politique auprès de la population. Dans ce registre, la Syrie est probablement le régime arabe qui a profité le mieux de la guerre, pour consolider sa légitimité politique, en pleine décadence. En fait, jamais le peuple syrien n'a été aussi solidaire avec son gouvernement qu'il l'est aujourd'hui. Ce, malgré les menaces américaines contre la Syrie, accusée de soutenir le régime irakien par l'envoi d'aide logistique à l'armée de Saddam. La réponse du président Assad ne s'est pas fait attendre puisque deux jours plus tard, les autorités syriennes avaient autorisé le passage de convois de civils désirant rejoindre les rangs de la résistance irakienne. L'objectif de cette manœuvre était de faire savoir aux Américains que les intérêts stratégiques de la Syrie étaient menacés, particulièrement par une division arbitraire de l'Irak. En réalité, la Syrie a tout intérêt, de même que l'Iran et la Turquie, à sauvegarder l'unité de l'Irak. Car, dans le cas contraire, la voie séparatiste des “Chiites et des Kurdes” risque de saper les régimes politiques en place. Les attentifs : wait and see De par sa position géographique, la région du Maghreb semble la moins touchée par les effets de la guerre du Golfe. A ce propos, on peut avancer que le déphasage politique, entre la position officielle des gouvernements et la tendance générale de l'opinion publique, n'était pas si important qu'on aurait tendance à l'imaginer. A part la Mauritanie, où les mouvements de protestation avaient associé l'image de Saddam à celle de Ben Laden, comme étant les chefs de file de l'antiaméricanisme, les autres pays du Maghreb ont su mener, avec plus ou moins de succès, une stratégie politique équilibriste : les Etats avaient dénoncé le recours à la guerre, mais parallèlement, ils ont appelé les populations à faire montre de beaucoup de sobriété. Chose faite, puisque les manifestations, dans l'ensemble pacifiques, avaient attesté plus ou moins d'une maturité politique des forces sociales de la société civile. Pourtant, cela n'a pas empêché quelques citoyens à appeler les populations à la guerre sainte “Djihad”, allant même jusqu'à rejoindre l'Irak pour servir de boucliers humains. Le Maroc et l'Algérie se sont distingués par leurs gestes humanitaires : aide alimentaire et médicale. Mais, dans l'ensemble, la région du Maghreb a choisi de rester à l'écart du conflit. Deux mots d'ordre ont caractérisé le discours officiel : vigilance et circonspection. Pour résumer, on serait tenté de conclure que la technique du balancier a été habilement utilisée par les gouvernements arabes, à la plus grande satisfaction des Etats-Unis qui redoutaient les débordements populaires, susceptibles de renverser des régimes politiques alliés, tels ceux du Golfe. Autant dire que cette fois au moins, la guerre contre l'Irak n'a pas torpillé la légitimité politique des régimes arabes malgré les “cris essoufflés” de protestation enregistrés lors des manifestations anti- américaines. La guerre contre l'Irak n'a pas torpillé la légitimité politique des régimes arabes malgré les “cris essoufflés” de protestation enregistrés lors des manifestations anti-américaines.