“ On loue les choses passées pour blâmer les présentes et, pour mépriser ce qui est, on estime ce qui n'est plus”. L'aphorisme de Mme de Sablé s'appliquerait bien à une partie du microcosme marocain pour laquelle l'ancien règne n'est certes pas encore l'âge d'or, mais ça ne saurait tarder. “Avec Hassan II (...) au moins on savait à qui on avait affaire” peut-on lire et entendre textuellement et en substance. Et avant d'être “ réhabilité ” intégralement et publiquement, Driss Basri lui-même, avec lequel - nous disait-on il n'y a pas longtemps - la transition démocratique était vouée à l'échec, est réduit au rang “d'exécutant ”, peut-être pas bête mais discipliné. D'un trait de plus et d'un regard en arrière au-dessus des épaules, on avalise ce que pendant longtemps on nous a dit des Marocains : ils ne comprendraient que le langage du bâton ; tel le cumin, il faudrait les frotter pour qu'ils libèrent leur arôme. Dans les salons, et sur les colonnes de quelques journaux, que susurre-t-on ? Que sous le nouveau règne, le Maroc a perdu de son aura à l'extérieur. Non sans excuses : le grand tour de force de l'ancien règne fondé sur “goulou al'am zine”, a été de nous faire voir l'empire chérifien plus grand que nature, tandis que le nouveau nous renvoie régulièrement à nos différentes indigences, ce qui n'est guère flatteur pour notre égo accoutumé au discours du renard au corbeau. Certainement, et en raison de la médiation hassanienne au Moyen-Orient quand parler aux Israéliens était impossible, la diplomatie marocaine a chaussé aux-dessus de sa pointure. Elle est revenue à sa dimension dès lors que les pays du front ont pris langue avec Tel-Aviv. Mais cette médiation n'a eu, quand elle ne les pas aggravées, aucun impact sur l'image et l'aura du Maroc : mauvaise presse permanente auprès de ceux-là mêmes - dit “Monde libre” - aux côtés desquels le Royaume se rangeait, et constante situation minoritaire dans l'affaire du Sahara au sein des organisations internationales et régionales. N'avons-nous pas quitté contraints et forcés l'OUA, et n'avons-nous pas été à ne plus oser présenter un projet de résolution devant la quatrième commission de l'ONU ? Au plan intérieur, le nouveau règne serait “faible”, le pays n'étant plus ce qu'il était. Ce qui est bien vrai pour cette dernière partie du constat. La preuve par Gilles Perrault qui hier dénonçait la misère et la main de fer, qu'aujourd'hui ne retient plus contre le régime “ que ” la pauvreté des Marocains. Tout n'est pas bien dans le meilleur du Maroc, mais le paradoxe c'est que le meilleur - les nouveaux espaces de liberté acquise et la toute nouvelle tolérance du régime - devient par un tour de passe-passe le signe de sa faiblesse. Mais ce paradoxe n'est que le train qui en cache bien d'autres. Les mêmes qui se taisent devant la répression des islamistes, s'émeuvent quand elle frappe ailleurs. Ce qui est compréhensible : de la même manière que dans la main du marxisme-léninisme la violence était révolutionnaire, celle qui s'exerce à l'encontre des islamistes peut paraître légitime. Ce qui l'est moins, c'est de se déclarer prêt à mourir pour faire barrage à l'obscurantisme islamiste et s'outrer de la répression de ses franges les plus radicales ; traiter les légalistes “ d'islamistes du Roi ” et condamner le bâton d'aujourd'hui au nom du gourdin d'hier. Ce n'est peut-être pas de la schizophrénie mais c'est déjà le dédoublement de personnalité. Le Petit Robert est sans équivoque là-dessus : « la nostalgie est un état de dépérissement et de langueur». Une mélancolie qui nous amènerait à regretter les « années de plomb ». Bientôt Tazmamart, il faut le craindre, deviendra un Eden et Derb Moulay Chérif un Eldorado, au même titre que pour certains l'Europe à la nage est un rêve. Ou un naufrage.