Avec la crise économique et la récession, le mirage européen s'estompe. L'Espagne, tout spécialement, avec le taux de chômage le plus élevé de l'UE, expulse à tout va ses indésirables. 53% d'entre eux sont marocains. Parce qu'ils représentent la communauté étrangère la plus nombreuse et qu'ils sont à la frontière la plus proche… ■ Ahmed a jeté l'éponge. Il a galéré pendant huit ans à Séville, Madrid et Barcelone, entre clandestinité, illégalité, pour finalement gagner juste de quoi survivre dans la difficulté et l'hostilité. « Tant qu'à se serrer la ceinture, autant le faire au bled » dit-il, dépité, en jetant son sac de voyage sur le siège du ferry qui le ramène d'Algéciras à Tanger. Son expression se détend au fur et à mesure que le bateau approche des côtes marocaines et un sourire se dessine sur ses lèvres. Au fond , il est heureux de retrouver la terre natale même s'il ne peut encore dissiper une certaine frustration. Et puis il y a le regard des autres, de tous ceux qui l'ont vu partir, plein d'espoir, et qui vont le voir revenir sans rien. Car le cliché du RME revenant triomphant perdure dans les esprits. Bien qu'il fasse plus souvent partie du mythe que de la réalité. Tout ce que j'ai risqué pour essayer de me faire une place au soleil -se plaint Ahmed- et nada, walou. Quand ça commençait à aller bien pour moi, la crise est arrivée, et avec elle les suppressions d'emplois. Le patron, un andalou qui m'avait promis de me faire les papiers, a décidé de se séparer des irréguliers quand ses affaires ont chuté. Et tous mes projets de vie en Espagne se sont écroulés. J'ai bien cherché ailleurs, mais il y a eu trop d'étrangers venus de partout ces dernières années. D'Amérique Latine, des pays de l'Est, d'Afrique... La pays était en plein boum, on le citait en exemple , jusqu'à il y a même pas deux ans encore. Tout allait bien, il y avait du travail, et comme les espagnols savent vivre, l'ambiance était bonne...Et tout d'un coup, la dégringolade, on a rien compris. Du meilleur pays d'Europe, l'Espagne est passée au pire!». Et encore, Ahmed est rentré de son plein gré, il a échappé à la chasse aux étrangers sans papiers qui fait rage chez nos voisins du nord et qui s'attaque particulièrement aux ressortissants marocains. Certaines statistiques pour l'année 2007 parlent d'elles même: près de 14 000 d'entre eux en situation illégale ont été forcés de retourner au Maroc, soit 53 % du chifre total des expulsés par la police espagnole. Ces chiffres ne correspondent pas au nombre de nationaux arrêtés en Espagne durant la même période (18% seulement). Aujourd'hui, avec l'ampleur de la récession et du chômage record (40 000 personnes ont perdu leur emploi au mois d'avril dernier et le taux atteint 17,4%, le plus élevé de l'Union et le double du taux moyen européen, la persécution ne peut que s'accentuer. Malgré les protestations des autorités marocaines à la circulaire de la police de Madrid, par exemple, privilégiant la chasse aux Marocains. Sous prétexte que le rapatriement de ces derniers coûterait moins cher à l'Etat espagnol, vu la proximité des frontières. Les marocains constituent la première communauté étrangère en Espagne avec plus de 650000 personnes.En 2005 la péninsule ibérique en pleine croissance avait régularisé plus de 700000 étrangers. Mais la crise économique a changé la donne, et aujourd'hui le taux de chômage parmi le collectif marocain est de plus de 21%.A la fin 2008, les chômeurs marocains avaient réclamé une indemnisation de 20 à 30 000 euros pour renoncer à leurs papiers et rentrer au pays. Décidément, la fiesta est finie! ■