Autrefois pays d'émigration, aujourd'hui destination d'accueil pour des migrants venus du Maroc ou d'Amérique latine, l'Espagne ouvre le 1er mai ses portes aux travailleurs d'Europe de l'Est, ressortissants des derniers pays à avoir rejoint l'UE. L'Espagne, mais aussi le Portugal et la Finlande, ont décidé de lever la totalité des restrictions sur l'entrée des travailleurs originaires des nouveaux Etats membres. Personne ne s'attend dans l'immédiat à un afflux de plombiers polonais ou d'électriciens estoniens. Mais l'Espagne a besoin des travailleurs étrangers pour compenser un manque de main d'œuvre dans certains secteurs et maintenir à flot son système de retraites, souligne José Ramon Pi, professeur d'économie à Madrid. "Soit nous acceptons l'entrée de 15.000 Polonais, soit nous laissons entrer 15.000 Africains", dit-il en référence aux clandestins africains qui tentent de gagner le territoire espagnol par la mer à bord d'embarcations surchargées, au péril de leur vie. En théorie, les citoyens de l'UE sont censés pouvoir travailler où ils veulent dans l'Union. Mais lors de l'entrée des dix nouveaux pays il y a deux ans, seules la Grande-Bretagne, l'Irlande et la Suède ont immédiatement accepté d'accueillir sans restrictions les travailleurs de l'Est. En revanche, 12 autres pays membres ont imposé des restrictions pour une durée de deux ans, et la date limite pour lever ou prolonger ces mesures expirait lundi. Alors que l'Espagne, le Portugal et la Finlande ont décidé de sauter le pas, neuf autres devraient maintenir des barrières, même si certains dont la France ont décidé de les assouplir. Malgré un taux de chômage de 9%, un des plus élevés dans l'UE, l'Espagne a un réel besoin de main-d'œuvre qualifiée dans certains secteurs, comme le bâtiment. Dans les services également, de nombreux emplois sont à pourvoir, souligne Francisco Gonzalez de Lena, inspecteur du travail, alors que les Espagnols boudent nombre de ces postes à bas salaire. Laisser venir des Européens instruits et capables de s'adapter culturellement est une bonne idée, estime M. Pi. "Ces gens consommeront, produiront et cotiseront au système des retraites. C'est bon pour l'Espagne." Le système de retraites espagnol n'est pas déficitaire, et c'est en partie grâce à la contribution financière des immigrés, souligne le gouvernement. Avec un peu moins de 1,3 enfant par femme, le taux de natalité espagnol est un des plus bas au monde. Madrid estime que la croissance démographique que connaît le pays est due presque exclusivement à l'immigration. Les syndicats espagnols sont favorables à la levée des restrictions car ils encouragent l'égalité de traitement entre tous les travailleurs de l'UE, souligne Ana Maria Corral Juan, du Syndicat général des travailleurs. Lorsque l'Espagne a rejoint l'UE en 1986, ses travailleurs ont également connu une période de restrictions avant de pouvoir s'installer dans le pays membre de leur choix. Pays d'émigration pendant des décennies après la guerre civile (1936-39), l'Espagne est aujourd'hui une terre d'immigration, la plupart des nouveaux arrivants venant du Maroc et d'Amérique latine. Mais il est peu probable que l'on assiste prochainement à un afflux de travailleurs de l'Est, l'Espagne étant pour eux une destination lointaine, alors qu'ils sont peu nombreux à parler espagnol, souligne Mme Corral Juan. Les statistiques de l'UE montrent qu'en général, les travailleurs des nouveaux pays membres ont moins cherché du travail à l'Ouest qu'on pouvait le penser. Dans tous les "vieux" pays de l'UE, hormis l'Irlande et l'Autriche, les migrants de l'Est représentent moins de 1% des travailleurs. La principale exception est l'Irlande, où ils sont 3,8%. A Dublin, les travailleurs de l'Est occupent des emplois peu qualifiés dans les hôtels et les magasins. Ils arrivent en Irlande au rythme d'environ 10.000 par mois, plus de la moitié étant originaires de Pologne. "Ils ont en général un bon niveau d'instruction et ont une bonne maîtrise de l'anglais", souligne Elaine Mellon, employée d'un comptoir de restauration rapide. "Cela marche très bien."