«Zine oulain zarka», qui évoque le débarquement américain sur les côtes marocaines le 8 novembre 1942, est l'un des refrains les plus originaux du regretté Houcine Slaoui (1921-1951). Ay ay ay sur cette époque et ce qu'elle est devenue. Les américains ont débarqué. Des gens se sont enrichis. Nos femmes ne nous respectent plus. Même les mamies ont mis la voilette et se sont mises, à cœur joie, au Chewing Gum. Les mariées ont trouvé des excuses Et quitté foyers et époux. Dans quelles circonstances et conditions le morceau a été concocté ? Les avis divergent et, comme documents, nous n'avons malheureusement que quelques témoignages oraux sujets à caution. Mohamed Slaoui, fils de Houcine, évoque ceux des derniers amis et musiciens ayant fréquenté son père. Ils pensent que le refrain a été confectionné à Paris, en une nuit, en 1944. L'artiste ayant appris le débarquement américain en écoutant la radio cairote «la voix des arabes». En écoutant la chanson et en analysant ses paroles on ne peut être que sceptique. C'est avec un sens aigu de l'observation que les événements ont été décrits. La beauté et les yeux bleus nous ont ramené les richesses Aujourd'hui, les filles se baladent en groupe, joyeuses. Combien de désirables les Américains ont mis sur un piédestal. Tu n'entends que ok ok hada ma kan ! D'après le livre du journaliste et conseiller artistique de grandes maisons de disques Ahmed Hachelaf, «Anthologie de la musique arabe (1906-1960 )», «Azine ouelain» n'a été enregistré qu'en 1949 chez Pathé Marconi sous la référence CPT 7120/21. Sorti en 78 tours, il est sur toutes les radios et sur toutes les lèvres. On ne trouve plus de places dans les carrosses et les bus. Aucun respect ni à gauche ni à droite Même le vélo- taxi est devenu important. Avec les Américains. Tu n'entend que ok ok hada ma kan ! Le morceau commence par des notes de luth et un «Mawal» avant d'enchaîner avec une infinité d'instruments aussi originaux les uns que les autres pour l'époque au Maroc. Moussa Assoul au «quanoun», Martin au violon et la syrienne Bahia Farah en virtuose soliste, sans oublier la clarinette et les instruments marocains traditionnels et populaires tel le «guenbri». Une troupe métisse qui a fait sensation dans le Paris cosmopolite de l'après deuxième guerre mondiale. Ils ont distribué les bonbons et les cigares. En plus des dollars. Les mamies ont acheté des foulards. Les plus jeunes s'initient à leur langue. Tu n'entends que ok ok kaman bay bay ! Houcine Slaoui se prend pour un historien. Il décrit avec minutie et un humour féroce le débarquement, les nouveautés ramenées par les troupes et les répercussions de l'ensemble sur une société marocaine traditionnelle. La question de la prostitution traverse la chanson de bout en bout. Ils ont distribué des sucreries au goût de la menthe . En plus des Chewing Gum de la poudre et du rouge à lèvres. En plus des bonbons. Mêmes les mamies, aujourd'hui, boivent du Rhum. Avec les Américains. Tu n'entends que ok ok kaman bay bay ! On s'amuse avec eux et les femmes sont gagnantes. Combien de désirables, avec les Américains, portent la voilette et le sac à mains. Tu n'entends que ok ok give mi dollar ! Le dollar est roi. Avec l'argent on se permet tout. On se croirait dans les années quatre vingt à l'explosion de la bourse ! «Zine oulain zarka» est non seulement un refrain inoubliable mais aussi un texte visionnaire d'une actualité brûlante. N'est-t-il pas repris, aujourd'hui, par des voix marocaines et étrangères, par Hatim, le petit fils de Houcine Slaoui, ou par Maurice Medioni ? ■ Houcine Slaoui. Une légende vivante Houcine Ben Bouchaib a vu le jour le 4 avril 1924, à Derb boutouil, à Salé. Orphelin de père, il commença à travailler dés son jeune âge pour aider une mère, qui travaillait au bain public Turki, ainsi que plusieurs sœurs. Apprenti chez un tailleur, sa passion reste le chant et la musique. Avec un instrument rudimentaire qu'il confectionna a l'aide d'un bidon et quelques fils électriques, il entonnait les morceaux appris chez les «H'laiqui» (amuseurs publics) des places de la «slwania» comme il aimait appeler l'autre rive de Rabat. A 12 ans il devient l'un des leurs et emboîte le pas à ses maîtres, les Boujamaa El Farrouj et autre Moulay Bouih. Très jeune aussi, il quitte le cocon familial et erre sur les routes tel un troubadour du Moyen âge. C'est ainsi qu'il apprit l'ensemble des rythmes et des formes musicales des différents terroirs marocains (Ayta, Malhoun, Andalou,Taqtouka..etc). A vingt ans son talent se confirme. Auteur, compositeur et interprète, on lui doit une vingtaine de chansons connues aux thèmes et aux compositions originales. Des textes d'un humour féroce , des rythmes nouveaux introduisant des instruments inconnus de l'époque tels la clarinette, le piano, le saxo et même la batterie. D'une modernité inouie, ses chansons légères ne dépassaient pas les cinq minutes. Aidé par un ami pianiste français, il débarque à Paris et enregistre chez Pathé Marconi. Il se produisait alors dans les cafés et cabarets fréquentés par la communauté maghrébine de Pigalle, Clichy et Barbés.