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Mariage : Ces Marocains consanguins
Publié dans La Gazette du Maroc le 13 - 02 - 2009

Quatre chercheurs marocains (Jalal Talbi, Abd Errazzak Khadmaoui, Abd El-Majid Soulaymani, Abd El-Aziz Chafik) viennent de rendre public une étude aussi savante que sérieuse sur un phénomène banalisé : la consanguinité. Celle ci apporte des enseignements nombreux et inquiétants.
La consanguinité est reconnue comme une pratique matrimoniale qui décide du sort des redistributions géniques à travers les générations. La consanguinité augmente la fréquence des homozygotes dans la population et de là le risque d'atteintes morbides. Selon plusieurs études, ce comportement semble être étroitement lié au statut socio-économique et culturel des populations. Les populations arabo-musulmanes sont plus concernées par cette pratique que d'autres. Dans la population marocaine, ce comportement fait encore partie des modèles familiaux les plus contractés. Pour y définir la situation de cette pratique ainsi que ses retombées sur le profil de santé de la population, nos quatre chercheurs ont mené une étude sur 873 couples marocains. Les résultats révèlent un niveau de consanguinité très élevé et une association significative avec l'incidence des affections de santé dans la population. On pourrait penser que l'influence de ce qu'on appelle la modernité aurait un impact sur l'évolution de cette pratique dans la population ; il n'en est rien. Il semble que le manque de sensibilisation à la question et l'attachement des individus à leurs valeurs culturelles traditionnelles soient les plus forts. Dans les sociétés arabes, toutes les catégories de cousins s'épousent entre elles. L'endogamie familiale ou la consanguinité est donc un cas particulier des liens matrimoniaux entre les conjoints. Cependant, la fréquence des unions consanguines dépend de la taille de la population, de son degré d'isolement et de l'existence de pratiques socio-économiques et culturelles qui favorisent ou évitent un certain type d'unions. Le mariage est dit consanguin lorsque les conjoints ont un ou plusieurs ancêtres communs. L'union avec la cousine parallèle patrilatérale constitue la première forme d'endogamie familiale la plus répandue. Dans les sociétés arabes, toutes les catégories de cousins s'épousent entre elles. Des études réalisées dans le monde arabe et islamique montrent que l'endogamie familiale est une particularité du système des alliances encore contractée en Jordanie, en Palestine, en Syrie, en Iraq, au Koweït, en Arabie saoudite, au Kurdistan, en Iran, en Pakistan, en Egypte, au Soudan, en Afrique du Nord et au Liban. Un facteur accroissant le taux des malformations congénitales Par ailleurs, la consanguinité est reconnue dans plusieurs études comme un facteur accroissant le taux des malformations congénitales, telles que les cardiopathies et les néphropathies, l'incidence de la surdimutité, de la cécité ainsi que des maladies génétiques comme l'encéphalopathie et certaines affections hématologiques. Ces maladies constituent un sérieux problème médical et social du monde arabe, en particulier lorsqu'elles se traduisent par des déficiences et des incapacités évolutives. Le risque dépend de deux catégories de facteurs: le lien de parenté entre les conjoints et l'existence dans la famille d'affections héréditaires récessives autosomiques ou multifactorielles.
Méthodes d'enquête
L'étude a porté sur 291 étudiants de l'université Chouaîb Doukkali d'El Jadida. Ces étudiants présentent la particularité d'appartenir à différentes régions du Maroc. Ils ont été invités à répondre à un questionnaire où ont été recueillies des données généalogiques, biodémographiques, socio-économiques et culturelles portant sur les parents de chaque étudiant avant et après leur mariage (et aussi sur leurs grands-parents paternels et maternels). Sur le questionnaire ont été également recueillies des données sur les problèmes de santé dans la fratrie de l'interlocuteur et sur les problèmes de la vie reproductive de sa mère (âge à la ménopause, nombre de grossesses et d'avortements, intervalles entre chaque grossesse, régularité du cycle menstruel...). Ainsi, 873 couples appartenant à la population marocaine, répartis sur trois générations (entre 1940 et 1984) de 291 couples assignés aux différentes régions selon leurs lieux de résidence après le mariage constituent la base démographique de l'étude.
Premiers constats
«L'ampleur et le rythme de la diminution de cette pratique matrimoniale restent encore très faibles. Il ne s'agit aucunement d'une éradication d'un comportement ancré dans l'esprit de la culture arabo-musulmane, mais d'une évolution qualitative dans le concept de la consanguinité lui-même ». L'étude démontre en effet, que si les mariages consanguins intimes (entre cousins germains) ont tendance à régresser, c'est pour se muer en faveur d'une croissance de la fréquence des mariages consanguins entre apparentés plus ou moins lointains. Cette tendance avait déjà été trouvée lors de l'étude sur la population de Kenitra en 2005 ! Cependant, en dépit de la diminution des mariages entre cousins germains au fil des générations, sa fréquence dans la population est encore très élevée puisqu'elle atteint 39,20% avec une dominance du mariage entre cousins germains patrilatéralement parallèles (23,62% des mariages entre cousins). Le pompon si l'on ose écrire, est gagné par la population marocaine en Belgique, où le taux du mariage consanguin est évalué à 51%! Par ailleurs la comparaison du niveau de la consanguinité entre le milieu rural et le milieu urbain montre que la fréquence de cette pratique ne diffère pas significativement entre les deux milieux. Toutefois, en allant de la génération des grands-parents à celle des couples étudiés, la différence entre le milieu rural par rapport au milieu urbain devient légèrement plus importante. L'écart culturel entre les deux milieux se creuse, certes, mais à un rythme très faible.
S'appuyant sur plusieurs études (voir plus haut) les chercheurs ont essayé « d'apprécier l'état général de la santé de la descendance et de la vie reproductive en ciblant toute forme d'affections sanitaires et de complications de reproduction ». Les résultats montrent que sur toutes les régions étudiées la descendance issue de mariages consanguins présente une incidence de maladies plus élevée par rapport à la descendance non consanguine. La prévalence globale de maladies chez les consanguins, atteint 66,22% contre 47% chez les non consanguins. Par ailleurs, le pourcentage de consanguinité dans la fraction des malades est également plus élevé qui est chez les sains sur toutes les générations, soit un pourcentage global de 32,45% chez les malades contre 17,86% chez les sains. Toutefois, en affinant géographiquement ces résultats, la relation entre la consanguinité et les problèmes de santé reproductive est plutôt étonnante.
En effet, si la région de Khouribga et Settat présente des incidences de problèmes de reproduction plus élevées chez les couples consanguins par rapport aux non consanguins, et des pourcentages de consanguinité également plus élevés chez les souffrants de ce genre de problèmes ; dans les autres régions, la situation est plutôt inversée ! Toutefois, les informations sur la vie reproductive des femmes étant rapportées par leurs enfants et non pas par les femmes concernées elles-mêmes, cela ne serait-il pas un biais susceptible de masquer toute éventuelle association entre la consanguinité et les problèmes de la vie reproductive de la femme ?
Le Maroc ne fait pas exception
A l'instar des autres populations, le niveau de la consanguinité dans la population marocaine est très élevé. Toutefois, quoique le niveau de cette endogamie familiale au Maroc reste très proche de ceux reportés sur quelques pays tels que l'Algérie, l'Egypte, le Liban et Oman, il reste de loin moins élevé par rapport aux taux relevés sur tous les pays arabes du Proche-Orient et aussi, curieusement la Tunisie et le Soudan. L'endogamie spatiale répond à des contraintes socio-économiques, alors que c'est plutôt la composante socio-culturelle qui conditionne la pratique de la consanguinité. Par ailleurs, en termes de santé publique générale, les chercheurs concluent sur un triste constat : ce comportement matrimonial prive la société des bénéfices socio-économiques qu'elle s'est procurés… ■


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