Dans ses poèmes en arabe, il cite Mc Donald, Sharon Stone, la Vache qui rit et des marques de l'électroménager faisant partie de la quotidienneté de chacun. Ce poète s'appelle Jalal El Hakmaoui, et il dépoussière la langue dont il se sert. «La réalité est terriblement supérieure à toute histoire, à toute fable, à toute divinité, à toute surréalité». C'est de cette affirmation du poète Antonin Artaud que participe la poésie de Jalal El Hakmaoui. Il rompt d'une façon radicale avec le romantisme sirupeux et les jérémiades d'une certaine poésie arabe. La corrélation entre le vécu et l'écriture est sa seule préoccupation. Plonger dans la vie pour y puiser les ressources de l'écriture. Ne pas négliger les menus faits de la vie quotidienne. Intégrer les kitsch du star-system hollywoodien qui font rêver beaucoup de Marocains. Savoir qu'il existe infiniment plus de poésie dans le comptoir d'un bar que dans un clair de lune ou un ciel étoilé. C'est l'enseignement que l'on peut retenir des poèmes de Jalal El Hakmaoui. Mais dire qu'il se cramponne dans sa littérature à la réalité quotidienne, ne signifie pas que cette réalité soit dépourvue de beauté. Au contraire, tout en s'enracinant dans le monde réel, ce poète le doue, par la nature même de son mode d'expression, de beauté. L'émerveillement intérieur, la sensibilité esthétique, doivent s'exprimer sans pour autant enjoliver ou maquiller la vérité de ce qui est. Jalal El Hakmaoui est éminemment près de cette réalité lorsqu'il écrit dans un poème «Un vieillard essaie de manger le gâteau de jeunes lycéennes en échange de billets bleus». cette expression, traduite littéralement du marocain, ne veut absolument rien dire. L'intéressé l'a empruntée au parler de la rue. Elle est pourtant dotée de poésie. Il a fallu juste que le poète l'intègre dans un poème pour que qu'elle change de statut. Au reste, Jalal El Hakmaoui est nourri de deux cultures. Il lit autant les Arabes que les Occidentaux. Il dit à cet égard : « Je trouve que Rimbaud est le frère jumeau de Tarafa Ibn Abd. Tous deux ont vécu la démesure de la poésie et de la vie». Il défend la fonctionnalité de la langue arabe, en incriminant ceux qui «n'osent pas la sortir de sa prison idéologique et culturelle». Il faut dépoussiérer cette langue selon l'intéressé. L'arabe et ses enflures. L'arabe et la propension de ceux qui s'en servent à l'emphase et à l'ornementation. L'arabe et sa résistance à la concision comme s'il s'agissait d'ajourner le plus de temps possible le moment de mettre un point final au texte. Tout cela est étranger aux écrits de Jalal El Hakmaoui. Il dit que sa familiarité avec la langue française, «analytique par nature», lui a permis d'utiliser sa langue maternelle dans un autre esprit. Il a été encouragé en cela par les auteurs américains qui introduisent les éléments les plus banals, les plus futiles dans leurs écrits. Jalal El Hakmaoui est un poète distingué. Ses poésies l'attestent. Sa principale innovation consiste en la découverte de la beauté discrète de ce qui l'entoure. Il se jette avidement sur son vécu quotidien et s'attache aux apparences journalières. Qu'il introduise selon un mode ironique ou non des éléments de la vie courante, le motif terre-à-terre atteint toujours à la dignité de la poésie dans ses écrits. L'homme a toutefois un défaut : il écrit peu. Jusque-là, il vit encore sur les lauriers d'un recueil publié en 1997 : «Certificat de célibat». Ce poète, né en 1965 à Casablanca, sait pourtant qu'en dépit de toutes les bonnes marques prometteuses dans sa poésie, l'œuvre est la seule capable de l'imposer comme un poète. Et cette œuvre, nous l'attendons toujours.