Dans un Etat végétatif, le syndicalisme marocain est victime de son histoire. Sans une révolution culturelle, il perdra sa raison d'être. Trois centrales syndicales, soutenues par une quatrième, ont appelé à une journée de grève dans l'Administration. Comme d'habitude, elles ont annoncé des taux de participation records, alors que le gouvernement les crédite à peine de 2 %. Cette grève n'a eu aucun impact, ni politique, ni même médiatique. La stratégie de la tension ne fait plus recette. On a même eu droit à une centrale, l'UGTM officine syndicale de l'Istiqlal, qui a dénoncé la grève et soutenu le gouvernement. Il n'est pas question ici de contester le droit de grève, ni de juger du cahier revendicatif des fonctionnaires. C'est juste un constat, amer, de l'auto-décrédibilisation du syndicalisme national. Au niveau de l'encadrement des salariés, c'est l'hécatombe. Selon des statistiques, émanant des syndicats eux-mêmes et donc «optimistes», seuls 8% des fonctionnaires seraient adhérents dans un syndicat. Or dans le privé le taux d'encadrement est encore plus faible. Au niveau national on est probablement dans une fourchette qui se situerait entre 2 et 3%. La fête du Travail, le 1er mai, avec ses défilés squelettiques est la démonstration même de la faiblesse criarde du syndicalisme marocain. Parce que, jusqu'ici, le gouvernement ne prélevait pas les journées de grève sur les salaires, on a pu assister à des grèves ahurissantes. Il y a quelques années, les Administrations ont créé une coordination en dehors des centrales et ont fait grève deux jours par semaines pendant plus d'une année. Ils revendiquaient une prime de technicité réservée aux ingénieurs. Ils ont choisi le jeudi et le vendredi pour s'octroyer des week-ends longs. Il s'agit de cadres, de chefs de service ou de division. Il y a deux ans, un syndicat des enseignants du collège a surgi du néant. Il a appelé à pas moins de 30 jours de grève, suivis par les enseignants, alors qu'il n'a aucune représentativité et que toutes les centrales dénonçaient cette grève. Dans les deux cas, les intérêts du contribuable sont passés à la trappe pour des revendications catégorielles, quand bien même légitimes. La dernière grève n'a pas eu ce succès parce que le gouvernement a annoncé qu'il allait prélever les jours non travaillés sur les salaires des grévistes. Le recours à la grève systématique, aux dépens des autres moyens de mobilisation visait en fait à cacher la réalité : l'absence de représentativité des syndicats. Les fonctionnaires s'octroyaient des jours de repos, quel que soit le syndicat qui appelle à la grève, des jours chômés et payés. Le prélèvement réduit la masse des grévistes à ceux réellement mobilisés autour du mot d'ordre et selon le gouvernement, ils ne dépassent pas les 4%. Triste bilan pour un syndicalisme qui a plus d'un demi-siècle d'histoire. Quelle indépendance ? L'histoire est d'ailleurs l'explication idoine pour cette situation. C'est l'instrumentalisation politicienne du syndicalisme qui a abouti à sa fragilité, en plus d'autres avatars. Dès la création de l'UMT, le mouvement national a tenté de mettre le syndicalisme sous sa coupe. D'ailleurs lors du congrès constitutif c'est Taieb Bouazza qui a été élu secrétaire général. Les véritables syndicalistes, issus de la CGT Française, ont alors fait un coup de force et imposé un des leurs, Mahjoub Benseddik toujours aux commandes, 52 ans après !. L'Istiqlal a créé l'UGTM, puis depuis 75 chaque parti a créé sa centrale, plus lilliputiennes les unes que les autres. L'appareil de l'UMT est le seul aujourd'hui qui n'est inféodé à aucun parti. Même la gauche, pendant longtemps porteuse du slogan «unité et indépendance du syndicat» a fini par multiplier les centrales au gré des scissions. Le syndicat n'est perçu que comme une organisation parallèle du parti, au même titre que celle de la jeunesse ou des femmes. Lors du temps de l'affrontement, l'instrumentalisation battait son comble. Les grèves ne dépendaient pas du climat social mais du baromètre politique. Celle de 79 par exemple est intervenue alors que les enseignants venaient d'être augmentés et que les bourses avaient été généralisées, acquis perdu depuis la disparition de l'UNEM, victime la plus retentissante de l'instrumentalisation politicienne. Aujourd'hui, les syndicats-maison ont une utilité alimentaire. Ils permettent d'avoir des «détachés» qui sont en fait les permanents du parti. Accessoirement, ils ont une utilité électoraliste, souvent très faible par ailleurs. Les syndicats d'aujourd'hui sont des coquilles vides. Même les plus grandes centrales ne font plus recette. Leurs activités n'intéressent plus personne, sauf… l'Etat. Dans son désir de donner substance à la construction démocratique, l'Etat tente de crédibiliser les structures existantes. Le fameux dialogue social est le lieu de cette mascarade. Les gouvernements successifs ont acheté la paix sociale, en donnant aux syndicats une représentativité qu'ils n'ont plus. Et il a raison de le faire ! parce que le syndicalisme est partie intégrante de la démocratie. Mais de quel syndicalisme a-t-on besoin ? D'abord de syndicats indépendants, à la fois de l'Etat, du patronat, mais aussi des structures partisanes. C'est une condition sine qua non pour remobiliser, encadrer, devenir représentatif. La soumission aux stratégies partisanes fait fuir les salariés. Ensuite d'un syndicalisme moderne. Cela veut dire un syndicat partenaire social, qui défend les intérêts globaux du salariat, dans le cadre d'un combat dont l'inspiration est égalitaire. Pour ce faire, il doit avoir une organisation et des méthodes de travail appropriées. Au lieu de cela, nous avons des syndicats qui revendiquent des augmentations et font grève au moment où l'entreprise est fragile. Des centaines de PME, les mines de Jbal Aouam sont mortes à cause des syndicats. Ceux-ci n'ont même pas la culture des conventions collectives, ni celle de l'approche sectorielle. Enfin, il nous faut un syndicalisme capable de s'adapter aux mutations accélérées de l'environnement. Le Maroc en transition, ne peut se cacher derrière son petit doigt, aucun conservatisme n'a lieu d'être, c'est la capacité à s'adapter aux changements qui conditionnera, la vitesse et le degré de développement que nous pourrons atteindre. Aujourd'hui nous sommes très loin de ce syndicalisme dont nous avons besoin. Pire le syndicalisme national n'est même pas en transition. A l'image de ses zaïms traditionnels et éternels, il refuse de se remettre en question. A l'intérieur c'est le système de la rente qui prime. Les acquis sociaux, telle que la mutuelle, les comités des œuvres sociales, sont des vaches à lait gérées au profit des dirigeants. Sans une véritable révolution, ce système failli ne pourra jouer son rôle. C'est la démocratie et le développement qui en pâtiront. ■