Ecrite par Ali Haddani, composée par Mohamed Belkhiat et interprétée par mohamed El Ghaoui , «Alghorba», sortie en 1979, est l'une des chansons emblématiques de l'exil. Mohamed El Ghaoui, en jeune chanteur venant des écoles de Ba Hamdoun, émission enfantine de Driss Allam, et du fameux Mawahib de Abdenbi Jirari, cherchait son chemin. A l'édition du concours «Adwaa al madina» (les lumières de la ville) de 1979, il décrocha le premier prix en interprétant «Modnaka jafahou» de Mohamed Abdelouahab. «Je tenais à chanter un refrain purement marocain. Un jour, je me pointe au café Balima, lieu privilégié des artistes et intellectuels de Rabat. L'auteur Ali Haddani y avait ses habitudes. Avec beaucoup de courage, je l'interpelle et lui demande de m'offrir l'un de ses poèmes. Il me félicita pour ma version de Abdelouahab et fut ravi de me voir chanter en dialecte marocain». Quand le grand parolier lui demande le nom du compositeur avec qui il pense travailler, il répond, sans aucune hésitation, Mohamed Belkhiat. Ce dernier est un ami d'enfance, sorti comme lui de Mawahib et enseigne, en jeune professeur de musique, au conservatoire de la capitale. Un soir, le trio se retrouve chez le producteur et initiateur d'«Adwa al madina» Hamid Alaoui. Ali Haddani, fidèle à ses habitudes, finit par sortir de l'une de ses poches un petit papier, met ses lunettes et commence à lire, «al ghorba wa al achk al gadi, kindir nquaoum hadi, kindir nsaraâ hadi kindir, hirti oulaâmar ghadi, al ghorba wa l'achk al gadi ya galbi o thamaou alik, hilti narjaâ l'bladi, rihra dwa ouidaoui». Les paroles, ciselées en main de maître, évoquent l'exil, l'odeur du pays, l'absence de la mère et le désir de l'aimée. Un texte d'une profondeur innouie. Belkhiat le lit, le relit même plusieurs fois et s'installe avec El Ghaoui dans un coin du salon. A l'aide de son inséparable luth, il cherche les rythmes et les formules adéquates. Quelques heures après, le premier couplet est fin prêt. Après dîner, on demande à l'assistance d'écouter et d'apprécier. Et ce fut une grande surprise pour tous. Outre Alaoui, Haddani, Belkhiat et El Ghaoui, il y avait d'autres journalistes et artistes parmi les invités dont Mhamed Boukili. Après les félicitations, chacun d'entre eux avait un commentaire ou une suggestion pour améliorer le produit. En une soirée, la chanson est fin prête. «A vous d'aller convaincre l'orchestre national pour l'enregistrement, de mon coté je vous offre le texte, ne me donnez pas le moindre centime» leur lançait Ali Haddani enchanté par la destinée de son bébé. El Ghaoui se pointe chez le maestro Ahmed Bidaoui qui le reçut en compagnie de Abdelati Amenna et de Jamal Eddine Benchekroun. Après l'avoir écouté, il s'excusa de ne pas pouvoir lui confier l'orchestre national et lui suggère de travailler avec l'un des orchestres régionaux. Grâce à l'intervention de Abdelkader Rachdi, la chanson finit par être enregistrée avec la formation nationale et les plus grands instrumentistes de l'époque. Une fois passée sur les ondes, elle accroche les oreilles et s'installe dans les premières places sur les hit-parades. Le refrain fait un tabac au sein des marocains de l'étranger. Les cassettes et CD fleurissent à Barbes et Belleville. Mohamed El Ghaoui, qui se produit souvent dans les pays de l'émigration, est souvent sollicité pour interpréter «Al ghorba wa al achk al gadi», la nostalgie et l'odeur du pays. ■