Visite d'Ana Palacio au Maroc Dans l'affaire du Sahara, Madrid annonce une attitude de “neutralité positive”. Si celle-ci ressemble au “non-alignement positif” de Fidel Castro pendant la guerre froide, il faut craindre le pire. A Agadir où Sa Majesté le Roi avait reçu le chef de la diplomatie espagnole, Ana Palacio, on était loin de cette ambiance électrique qui avait marqué en juillet 2002 l'arrivée à Rabat du ministre des Affaires étrangères de l'Espagne au lendemain de la crise autour de l'îlot Leïla. On était loin également, côté presse, du climat qui avait précédé et suivi le 28 octobre 2001, date à laquelle Rabat avait rappelé son ambassadeur à Madrid “pour consultation”. Que ce soit en Espagne ou au Maroc, les médias ont rivalisé d'efforts pour accompagner le retour au calme entre les deux pays. Pour la première fois depuis sa nomination à son poste, Ana Palacio a fait la totale. Reçue d'abord par Sa Majesté le Roi dans le chef-lieu du Souss, elle a tenu à souligner que les deux pays étaient “animés par une même volonté d'ouvrir une nouvelle page dans leurs relations riches et complexes”. De retour à Rabat, elle s'est entretenue avec le premier ministre et a tenu à rappeler, ce qui n'est pas très gentil envers son prédécesseur Abderrahman Youssoufi, que la nomination de ce nouveau gouvernement a été accueillie avec un grand intérêt en Espagne. Aussitôt fini avec Driss Jettou, Ana Palacio s'est rendue en compagnie de son homologue marocain, Mohamed Benaïssa et le ministre délégué, Taïeb Fassi Fihri, au siège du ministère des Affaires étrangères pour un entretien à huis clos qui devait couronner les travaux des groupes de travail formés de hauts fonctionnaires. Ces groupes s'étaient penchés, rappelons-le, sur les questions politiques, d'immigration et de délimitation des espaces maritimes dans les eaux atlantiques entre le Maroc et l'Espagne. “La bonne nouvelle du jour, c'est Ana Palacio qui parle, est l'annonce du retour des ambassadeurs des deux pays à leurs postes respectifs”. Ce n'est naturellement pas une fin en soi, mais c'est pour elle l'expression de “la volonté politique d'ouvrir un nouveau chapitre” tenant compte “des données historiques et géographiques ”. Dans la conférence de presse commune, une première depuis l'ouverture de la crise, le chef de la diplomatie espagnole précisera encore mieux cette pensée en déclarant: “nous avons le devoir de bâtir [un] futur commun”, dans l'intérêt des deux pays qui “partagent une histoire et une position géostratégique”. Deux mots, répétés sous différentes formes après chaque rencontre avec des responsables marocains, vont toutefois marquer cette visite. Entente et franchise. Le premier indique bien que Rabat comme Madrid sont déterminés à prendre “un nouveau départ”. Le second montre combien les deux pays n'ont pas l'intention de jouer à l'autruche, mais d'appeler les choses par leurs noms. Cela veut dire aussi que les divergences existent et persistent, mais qu'en même temps elles ne seront pas occultées. “L'entente, dira Mohamed Benaïssa, a préparé le terrain pour aborder toutes les questions en suspens”, tandis que son homologue espagnole faisait sien le vœu marocain “d'aborder tous les sujets à l'ordre du jour, aussi bien difficiles que les moins difficiles, question par question...”. Autant dire que derrière les phrases qui reflètent le réchauffement des relations, aucun des responsables des deux pays ne se fait d'illusions. Ana Palacio dira qu'il “reste beaucoup à faire”, Mohamed Benaïssa préférera la métaphore en précisant que le retour des ambassadeurs équivaut à la plantation d'un arbre qu'il s'agit maintenant “ d'irriguer”. Les experts des deux pays ont bien travaillé pour déblayer le terrain en examinant les “dossiers spécifiques” qui avaient placé les rapports entre les deux pays dans “un dense nuage d'incompréhension”. Et l'Espagne reste le deuxième partenaire économique du Maroc et prend conscience aujourd'hui que les deux pays ont un rôle commun à jouer sur la scène internationale et régionale. Mais, si l'on considère avec lucidité que la question de Sebta et Mellilia, même évoquée, n'est pas réellement à l'ordre du jour, deux dossiers majeurs se heurteront aux écueils de la divergence d'intérêts. La délimitation de la zone maritime en Atlantique sur fond de pétrole, et le dossier du Sahara autant comme moyen de pression sur le Maroc que comme finalité géostratégique. Le nouveau plan Baker pour la résolution du conflit ne semble pas, au même titre que l'Algérie et le “Polisario”, trop emballer Madrid. Membre désormais pour un temps du Conseil de sécurité de l'ONU, l'Espagne par la voix de sa chef de la diplomatie, annonce une attitude de “neutralité positive”. Si celle-ci ressemble au “non-alignement positif” de Fidel Castro pendant la guerre froide, il faut bien craindre que les relations maroco-espagnoles resteront marquées du sceau de la précarité.