C'est un véritable dilemme qui taraude aujourd'hui la gauche déchirée entre la tentation «de replonger aux sources» d'une opposition pure et dure ou s'adapter au libéralisme dominant en s'accrochant à y grignoter sa place. Les orateurs, politiciens, anciens ministres, députés, journalistes nationaux et européens invités à HEM de Rabat le vendredi 21 novembre, ne semblaient pas du tout à l'aise pour répondre à la double problématique liée à la légitimité actuelle de la gauche et à son devenir. «La gauche a-t-elle encore quelque chose à dire ?» et «que signifie être de gauche aujourd'hui ?». Voici la redoutable épreuve-vérité à laquelle se sont essayés les protagonistes Nabil Benabdellah, Ramon Espasa, Philippe Moureaux et Edwy Plenel. La gauche a viré à… droite ! Partant du constat généralement admis de nos jours qui ont consommé la fin des clivages idéologiques, affermi le libéralisme triomphant à l'heure de la globalisation relégué aux oubliettes, les luttes de classes et du prolétariat révolutionnaire chères à Lénine, ou même la «Révolution permanente» de son «frère ennemi» Léon Trotsky, c'est effectivement un périlleux exercice de haute voltige que de tenter de trouver encore quelque crédibilité à une gauche en déliquescence accélérée. La chute du mur de Berlin, l'éclatement de l'empire soviétique, la dissolution du Comecon (marché commun des anciens pays de l'Est) et la disparitio du Pacte de Varsovie (l'OTAN de l'Est) ont concouru à l'avènement du règne sans partage de la superpuissance de la triade occidentale (USA, Europe, Japon) dans un monde unipolaire. Les rêves marxistes se sont estompés dans un contexte politique où la gauche s'est vue transformée en une force «hybride» et de plus en plus inopérante. Pis encore, constatent les protagonistes à HEM, «la gauche a viré à…droite». Le pouvoir corrompt… Il ne se trouvera que notre frais émoulu ambassadeur à Rome, pour rompre avec la monotonie pessimiste en persistant et signant : «au risque de vous étonner, je maintiens que la gauche a encore un avenir devant elle. Oui, la gauche a encore quelque chose à dire. Il faut une alternative à la gauche. Etre socialiste aujourd'hui, c'est être capable de se donner des buts ultimes en termes de solidarité, d'équité, de liberté et de dignité sociale». Avant de dresser une mea-culpa d'un bilan controversé ces dernières années : «il faut reconnaître qu'au Maroc, la gauche a fait preuve de paresse idéologique». Pour l'ancien ministre catalan et sénateur aux Cortès, Ramon Espasa, il n'y a pas d'autre choix que de se repositionner en force sur trois secteurs clés devant demeurer «hors-marché » : l'Education, la Santé et la Sécurité sociale. Quant aux suivants, l'historien et vice-président du parti socialiste belge, Philippe Moureaux et l'ex-rédacteur en chef du quotidien Le Monde et Directeur du site Mediapart.fr, Edwy Plenel, ils ont péniblement tenté de «ravaloriser» le potentiel d'une gauche dans l'espace européen et euroméditerranéen, sans visiblement pouvoir être en mesure de convaincre une assistance apparemment «choquée» par l'exemple marocain d'une «gauche minée par des tentations trop droitières», en crise de succession, en proie à une légitimité mise à mal par les scissions et les implosions en série des acteurs politiques, bref une «gauche écartelée sans repère unifiant». A vrai dire, comme disait le philosophe sage, «si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument». ■