Un homme à barbe blanche parlant de sa femme sans prononcer son nom, se vante que même le soleil ne l'a jamais vue depuis leur mariage il y a vingt sept ans. Cette citation paraît incroyable pour quelques citadins, mais pour un campagnard c'est vrai et c'est tout à fait normal. En effet, l'épouse du vieil homme n'est pas enfermée uniquement depuis son mariage, mais depuis l'age de dix ans ; elle l'était d'abord par ses parents puis, une fois mariée, par son mari. Selon la tradition, la femme honnête doit être “ Hajba ”. Cela signifie qu'elle ne doit voir personne et ne doit être vue par personne, à l'exception de ceux qui vivent avec elle, de sa jeunesse à sa vieillesse. La fille qui sort peut devenir une insulte pour ses parents. Le mari dont la femme sort est un lâche méprisé. La femme “ hajba ” La femme de la campagne, depuis l'âge de dix ans, est condamnée à vivre entre les murs. Elle peut à la rigueur en sortir à l'occasion d'une fête ou de la mort d'un proche, mais bien protégée afin d'empêcher quiconque de la reconnaître. Quelques fois en me promenant dans un douar, j'ai l'impression que les femmes et les filles n'y sont pas. Enfermée à la maison, enfermée quand elle sort, la femme “ Hajba ” ne connaît de l'univers que la maison. Haut degré d'ignorance La femme enfermée a un cerveau aussi enfermé. C'est évident. Même si elle change d'habit, elle demeure ce qu'elle était il y a longtemps. Dans les milieux ruraux, la totalité des femmes ne savent pas écrire leur nom. Certaines ne savent même pas compter l'argent. Elles ne distinguent pas un billet de vingt dirhams de celui de cinquante dirhams. Elles ignorent par exemple d'où proviennent les émissions de la T.V et à qui elles s'adressent. En ce début du troisième millénaire, beaucoup de gens refusent encore d'envoyer leurs filles à l'école sous prétexte que la femme n'est pas faite pour sortir et travailler à côté de son homologue. La femme qui forme la moitié de la société, reste un facteur improductif. Son principal rôle consiste à répondre aux besoins de l'époux, produire des êtres humains, s'occuper de l'intérieur de la maison et des enfants. Cette dernière tâche n'est pas chose facile lorsque la femme est ignorante. Les conséquences de son ignorance sur l'état physique et psychique des enfants sont très néfastes. Chacun peut deviner comment une femme qui ignore la ration alimentaire, l'existence des microbes, qui parle souvent de superstition, peut nourrir ses enfants, leur parler, assurer leur hygiène etc.… Subordination totale Puisque c'est le mari qui nourrit, c'est lui qui commande. C'est normal, c'est lui qui décide. Il détient le pouvoir d'initiative. La femme, elle, doit se soumettre. Elle manque d'expérience c'est vrai. Les expressions “ tais –toi, ce n'est pas ton affaire ”, sont courantes chez le mari dictateur. Selon la tradition, le bon époux c'est celui qui commande sa femme et l'oriente là où il veut. L'épouse, de son côté, se contente d'avoir un bon mari, un mari commandeur. Pis encore, s'il a horreur d'elle, il peut divorcer facilement, trois mots suffisent : tu es divorcée. Parlant du mariage, la future épouse n'a pas grand chose à dire. Elle ne peut pas proposer l'homme de sa vie, c'est honteux. En tout cas, elle ne l'a jamais vu. Ce sont les parents qui décident. Ils ne sont pas concernés, mais c'est la tradition. Une vieille femme, porte-parole, est chargée de négocier entre les deux familles, elle va et vient, comme un courtier qui explique à chacune des deux parties les qualités de l'autre. Pour avoir la fille d'une “ famille bonne ”, il faut une infinité de conditions. La femme et les élections Pendant les dernières élections, Hlima (55 ans) était accompagnée par son mari Brahim (60 ans). Ce dernier est allé d'abord voir comment ça se passe puis il est revenu à la maison où il explique et réexplique à Hlima comment elle va procéder. Il paraît tourmenté, car elle n'a pas bien saisi. “ C'est la bleue que tu dois mettre dans l'enveloppe, la blanche tu me la montres à ton retour ” ordonne Brahim à Hlima. - Oui d'accord. Et elle ajoute : mais que signifie la bleue et la blanche, pourquoi l'enveloppe et le coffre? Malheureusement Hlima n'en sait rien. TEMOIGNAGE Khaddouj, femme mûre de 55 ans, est mère de trois filles et quatre garçons. Deux filles et un garçon sont déjà mariés. Elle est originaire d'un douar ( Skoura), elle habite maintenant Casablanca chez son fils. Cette femme qui était “ Hajba ” et qui est actuellement en contact avec la femme de Casablanca m'a accordé l'entretien (informel). •La Gazette du Maroc : Que pensez-vous de la situation actuelle de la femme et de la fille ? -Khaddouj : La fille vit aujourd'hui dans une ère meilleure que celle qu'on a vécue. Certes, mais la fille commence à perdre son conservatisme, sa place au foyer surtout dans les villes. La femme a perdu son prestige. Que Dieu nous préserve. Moi j'ai passé tout mon mariage sous les ailes de mon mari. J'en suis fière. J'avais toujours peur de lui et je le respecte. À notre époque, c'était le “ Hkam ” et le “ Hjab ” • Quelle est la vraie femme pour vous ? -Si elle est jeune fille , elle doit le savoir et le prouver le jour de son mariage. Si elle est mariée, elle doit savoir qu'elle a un mari. Regarde moi ces gamines avec leurs pantalons serrés et leurs jupes courtes. Ouf ! Dieu m'a fait vivre pour voir des hommes qui font la cuisine, ils sont devenus femmes. La femme qui permet à son mari de prendre sa place dans la maison n'est pas une vraie femme. J'ai même entendu dire que certains hommes laissent leurs femmes travailler et ne se rencontrent que le soir. Pour moi c'est incroyable !