L'activisme des services espagnols au Maroc n'est plus un secret. Une vaste opération d'espionnage surnommée «Réseau Cheval de mer» vient d'être lancée par les espagnols. Entre autres, le royaume est la cible privilégiée de cette offensive ibérique du renseignement. Plongée dans une guerre des services où tous les coups sont permis. «Cheval de mer», un bien joli nom. Quand au contenu de l'opération, il est beaucoup moins poétique. C'est le nom de code choisi par les barbouzes espagnoles pour une vaste opération visant à quadriller le renseignement sur toute l'Afrique du Nord avec un faible certain pour le royaume. Au menu de cette initiative, plusieurs bases africaines prévues sur le Continent. Les accords entre le gouvernement mauritanien et les espagnols ont d'ailleurs récemment débouché sur la mise en place, à Nouadhibou et Nouakchott, de bases d'espionnage qui vont faire ainsi partie du fameux «Réseau Cheval de mer» disséminé à travers plusieurs pays africains. Pour accompagner cette offensive, le satellite espagnol «Spainsat», a été d'ailleurs lancé il y a deux ans de cela. Ce satellite de télécommunications gouvernementales appartenant à l'opérateur Hisdedat vise à fournir pendant plus d'une quinzaine d'années des services de télécommunications gouvernementales et militaires à l'Espagne et à ses alliés. Il est équipé de 13 transpondeurs en bande X pouvant diffuser de Denver au Colorado jusqu'au Moyen-Orient en couvrant l'Amérique du Sud, l'Océan Atlantique, l'Europe et l'Afrique. Il a été lancé par une fusée Ariane 5 depuis le centre spatial guyanais à Kourou en mars 2006. Toutes ces bases africaines sont connectées avec une autre base espagnole dans la capitale des Iles Canaries (Las Palmas), elle-même directement reliée à Madrid. Parmi les pays africains approchés par l'Espagne pour la mise en place de ce réseau de bases espionnes, seul le Maroc aurait opposé jusqu'à présent un niet catégorique à l'installation de cette pieuvre du renseignement ibérique sur son territoire. Et pour cause : le Maroc n'est ni plus ni moins le premier objectif visé par les espions ibériques. Officiellement, ce projet a été concocté par le gouvernement espagnol pour contrer le flux migratoire clandestin et le trafic de drogue vers son territoire. Sebta et Mellilia, Sahara, Drogue, immigration clandestine… les dossiers chauds sur lesquels travaillent des centaines d'agents secrets espagnols en mission au Maroc ne manquent pourtant pas. Sur l'agenda du Centro nacional de inteligencia (Centre national d'intelligence, CNI), le royaume est classé numéro 1. Ce n'est d'ailleurs pas un secret car depuis belle lurette, le Maroc est l'objectif numéro un en matière de renseignement. Ses services suivent de près la montée de l'islamisme en Espagne, comme ils ont l'œil sur Sebta et Melilia et contrôlent également le trafic de haschich. Par ordre de priorité, le premier sujet de préoccupation des services espagnols concerne l'implantation des salafistes maghrébins dans la péninsule ibérique. Dans le cas de ces islamistes, l'objectif est d'en déterminer une cartographie précise et de connaître les détails des établissements gérés par des musulmans à proximité des mosquées, ainsi que les mouvements de nouveaux voisins dans les communautés marocaines. Il faut dire que l'implantation des salafistes maghrébins dans la péninsule ibérique donne effectivement des cheveux blancs aux services espagnols. Si sur ce plan là, personne ne peut reprocher aux services espagnols de s'inquiéter de la montée de l'intégrisme ou d'être sensibles aux flux d'immigrés clandestins, l'activisme des James Bond espagnols au Maroc dépasse de loin le renseignement classique. Dans cette guerre des services, tous les coups sont permis. L'intox est utilisée à satiété : Ainsi, en automne 2004, le CNI avait supervisé la parution d'un ouvrage sulfureux à l'intitulé hautement révélateur : «11Mars, la vengeance», de Casimiro Garcia-Abadillo. Le brûlot du directeur-adjoint du quotidien El Mundo n'avançait pas moins que les services secrets marocains auraient téléguidé les terroristes du GICM pour commettre les attentats du 11 mars ! guerre du renseignement Non seulement, le Maroc demeure une obsession dans cette guerre du renseignement où les espagnols mobilisent une armada d'agents censés prendre au quotidien le pouls du royaume mais de plus, ils n'hésitent pas au passage à approcher les milieux d'affaires marocains, des associatifs au sein de la société civile ou encore parmi les couples mixtes pour glaner de l'info de première main. Autrement dit, le CNI recrute à tour de bras dans les milieux marocains sensibles. La preuve, c'est que juste après les enquêtes du 11 mars, un rapport sulfureux étalé devant l'audience nationale éclaboussait les services espagnols. On y découvrait en substance que deux Marocains au moins impliqués dans ces attentats travaillaient pour les services des renseignements espagnols. La note détaillée reçue par l'audience nationale de Madrid fait état des années de services des deux présumés terroristes. Le rapport révèle que les deux terroristes Marocains, Said Berraj et Mohamed Afalah ont eu de nombreuses entrevues avec des agents secrets à qui ils rendaient compte de leurs enquêtes au sein de la communauté marocaine en Espagne. Ce qui est encore plus troublant, c'est que Mohamed Afalah et Saïd Berraj font partie de la cellule islamiste terroriste qui a organisé les attentats de Madrid, le 11 mars 2004. Les marocains sont-ils en reste dans cette guerre du renseignement ? Certainement pas. En 2007, le Centre espagnol de renseignement et de sécurité armée (CISET) a monté en épingle l'arrestation d'un supposé espion marocain à Melillia «qui se faisait passer pour un journaliste alors que son objectif était de photographier des installations militaires espagnoles dans Melillia».Une occasion rêvée pour la presse espagnole de s'inquiéter de «l'agressivité des services secrets de Rabat, de plus en plus actifs dans les deux villes espagnoles et au sein de la péninsule elle-même». El Pais rapportait en substance que le nouveau centre de renseignement des Forces armées (CIF) qui dépend de l'état-major de la Défense, qui coordonne et reçoit des informations de services de renseignement des trois armées, aurait même recueilli des données suffisantes pour délimiter les groupes de personnes qui auraient été infiltrés par les services secrets marocains: 1) salafistes qui vivent à Ceuta et Melillia comme des citoyens espagnols libres de tout soupçon. 2) des immigrés, propriétaires de commerce, installés dans des villes espagnoles et 3) des militaires espagnols d'origine marocaine. Néanmoins, la sensibilité des dossiers communs, de l'immigration clandestine au terrorisme en passant par le trafic de drogue, impose souvent aux deux parties d'enterrer la hache de guerre pour faire front commun. Service des renseignements Pour qui roule le CNI ? Alberto Saiz Cortés est le grand manitou du Centro Nacional de Inteligencia (Centre national de renseignement, CNI) depuis 2004. Un organisme qui cumule les renseignements et le contre-espionnage espagnol. Cet Organisme public est notamment chargé de fournir au Gouvernement «les renseignements, les analyses, les études ou les propositions permettant de prévenir et d'éviter tout danger contre l'intégrité territoriale de l‘Espagne, les intérêts nationaux». Il a remplacé le Centro Superior de Información de la Defensa (Centre supérieur d'information de la défense, CESID). Ses effectifs tourneraient à l'heure actuelle autour de 2250 agents. En 2006, son budget s'élevait à 208,5 millions d'euros. Officiellement, le CNI est présent dans plus de 80 pays, particulièrement en Afrique du Nord (surveillance des enclaves de Ceuta et Melilla), au Moyen-Orient et en Amérique du Sud.