C'est un nouveau modèle de lobbying que les groupes espagnols et français sont en train de déployer au Maroc. Sachant que le rapprochement avec certaines personnalités influentes ne suffit plus, ils adoptent depuis une approche plus structurée, renforcée par un système de veille pour éviter les mauvaises surprises. Ils cherchent aujourd'hui à inscrire leurs relations avec des institutions dans la durée, car pour eux, plus question de compter uniquement sur des acteurs politiques dont l'avenir est souvent incertain, d'autant que l'objet de la bataille porte sur de gros contrats qui peuvent s'élever à plusieurs milliards de DH. Officiellement, José Miguel Zaldo Santamaria habite à Bilbao. Mais il passe le plus clair de son temps dans les avions entre l'Espagne et le Maroc. Président du comité d'affaires hispano-marocain du patronat espagnol CEOE (Confédération espagnole des organisations d'entreprises), il est aujourd'hui l'un des piliers de la coopération économique entre les deux pays et ouvre volontiers son carnet d'adresses aux nouveaux investisseurs. Ses contacts dans ce sens, ce sont les grandes entreprises espagnoles installées au Maroc ou celles qui veulent y mettre un pied. Ce pouvoir lui donne le droit de siéger dans les conseils d'administration de plusieurs grands groupes espagnols. « Je viens passer trois à quatre jours chaque semaine au Maroc où les gens m'aiment et que j'aime. Je présente des investisseurs espagnols sérieux aux ministres et décideurs marocains qui peuvent les aider », dit-il. C'est d'ailleurs au sortir d'une rencontre avec des ministres du gouvernement marocain à Rabat qu'il nous a reçus dans un grand palace de Casablanca où l'attendaient encore des opérateurs économiques espagnols. « Je viens d'un rendez-vous à Rabat où je me suis entretenu avec un grand opérateur espagnol qui compte investir plus d'un milliard d'euros dans le domaine de l'énergie », s'en targue-t-il, mais laconiquement. Car à propos de ce projet-là, il ne dira pas un mot de plus. Pour autant, Zalgo ne se définit pas comme un lobbyiste, même si c'est tout comme. « Je ne m'occupe que de grandes entreprises et je le fais bénévolement». Une posture similaire à celle qu'arborent tous les lobbyistes interviewés, qui préfèrent l'appellation facilitateur à celle de lobbyiste, comme se plaît à le clamer Mehdi Qotbi, homme d'influence de renom et président fondateur du cercle d'amitié franco-marocain. Lui, c'est par le biais de sa casquette d'artiste peintre qu'il aborde les gens et les met en contact. C'est en parlant d'abord de culture qu'il déborde sur d'autres sujets, comme le business, sur lequel comme par hasard, tous les yeux sont rivés. Entre un Qotbi et un Zaldo, la différence n'est pas si grande même si, à vue d'œil, l'approche n'est pas la même. Les Espagnols grignotent des parts Dans le cas Zaldo, devenu au fil des années une personne quasi-incontournable pour les entrepreneurs de son pays, eux aussi en quête de nouvelles terres de business, les choses ont pris une tournure pour le moins inattendue. Tout a commencé en 1989, quand cet industriel du textile, en pleine expansion, cherchait un nouveau pays pour investir. Il monte une usine, tisse des relations et trouve ses entrées auprès des sphères décisionnelles dans le Royaume. C'est tout cela qui fait que Zaldo est aujourd'hui en mesure d'ouvrir toutes les portes au service des entreprises de son pays. Et pour couronner le tout, en 2008, Zaldo a mis en place « Maroc-Ibérique», un groupe d'action composé entre autres du ministère de l'Industrie et de la direction des investissements, et accessoirement des autres ministères si le besoin s'en fait sentir selon les dossiers à examiner. Appeler un ministre ou un wali sur son portable pour un dossier fait partie des gestes ordinaires pour José Miguel Zaldo. « Les autorités m'écoutent beaucoup. Sans ça, je ne pourrais rien faire », confie-t-il. Ça, les entrepreneurs ibériques le savent et en tiennent compte dans leur démarche de conquête de nouveaux marchés. Pourtant, il y a moins d'une dizaine d'années, ils étaient pratiquement tous convaincus que les grands projets structurants au Maroc échoyaient toujours aux entreprises françaises. Le constat fait, ils n'en sont pas restés là, mais ont remué ciel et terre pour identifier une brèche à exploiter afin de prendre leur part du gâteau. « Les Français se sont endormis sur leurs lauriers. Ils ont cru que tout était acquis, et c'est cette attitude qui a ouvert grandes les portes aux Espagnols. Les Français leur ont considérablement facilité le travail sans s'en rendre compte », lance Mehdi Qotbi. Résultat de la course : un quasi-renversement de la situation. De nouvelles tendances sont apparues, faisant de l'ancienne chasse gardée de l'hexagone un vrai terrain de compétition entre les deux premiers partenaires commerciaux du Royaume. Dans la foulée, des groupes espagnols sont montés en puissance aux dépens des Français, confortablement installés par le passé. Cette concurrence a touché tous les secteurs, même ceux pour lesquels les groupes tricolores étaient considérés comme des champions mondiaux, des as indétrônables. Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce phénomène, en l'occurrence dans l'ingénierie et la fabrication pour le transport ferroviaire et urbain. Le tramway, objet de toutes les convoitises Pour baliser le terrain et accompagner ces nouveaux conquistadors, en amont tout autant qu'en parallèle aux appels d'offres, c'est tout un lobbying qui est opéré pour convaincre les décideurs marocains. Même les groupes en cours d'installation ou qui cherchent à maintenir leurs positions n'hésitent pas à s'appuyer sur des relais, des personnes influentes, des entreprises de même nationalité, voire des médias, faisant naître un nouveau créneau : l'intelligence économique (voir entretien). Nous sommes fin 2007, une délégation d'hommes d'affaires et de lobbyistes espagnols fait le déplacement au Maroc pour mieux vendre le dossier de leur constructeur mondial, CAF, dans le cadre de l'appel d'offres du tramway de Rabat, lancé par l'Agence pour l'aménagement de la vallée du Bouregreg. En dépit de quelques propos rassurants collectés ici et là auprès des décideurs marocains par les émissaires ibériques, le marché, qui faisait saliver les Espagnols, n'échappera pas aux Français d'Alstom. Cette décision n'avait pas manqué de susciter l'émoi à la chancellerie espagnole de Rabat, d'autant que quelques mois auparavant, ce leader français dans les métiers de l'énergie et des transports maritime et ferroviaire avait signé avec le Maroc le contrat du premier projet de TGV du Royaume pour un montant de 1,8 milliard d'euros, dont la moitié devait aller aux travaux de génie civil et le reste au matériel roulant et à l'équipement électromécanique. Un deal dans lequel l'Elysée a pesé de tout son poids, assurant la moitié du financement du projet. Pour autant, les Espagnols ne désarment pas et sont prêts à en découdre à nouveau avec les Français, cette fois-ci pour le projet du tramway de Casablanca. Le Français Alstom et l'Espagnol CAF sont en train de sortir, chacun, leur grand jeu pour remporter ce marché colossal, sur fond de revanche. CAF, qui avait constitué un sérieux concurrent pour Alstom dans l'appel d'offres du tramway de Rabat, semble avoir bien retenu les leçons de son échec de l'année précédente. Le groupe ibérique n'a pas perdu de vue que c'est l'offre de financement d'Alstom, soutenue par le gouvernement français, qui a surtout pesé lourd en faveur de son concurrent. L'Etat français n'avait pas hésité à octroyer un prêt de 150 millions d'euros (1,8 milliard de dirhams) à des conditions privilégiées pour le financement du matériel roulant du tramway de Rabat, sans compter le prêt supplémentaire de 40 millions d'euros (480 millions de dirhams) de l'Agence française de développement (AFD), qui devait contribuer au financement des infrastructures de base des deux lignes de ce nouveau moyen de locomotion. Cette empoignade en perspective en dit déjà long sur celles que se sont livrées en terre marocaine les entreprises des deux premiers partenaires commerciaux du Royaume au cours des deux dernières années. En effet, les nombreux projets d'infrastructures et d'équipement, notamment dans l'énergie, les ports et le transport (autoroutes, tramways, chemins de fer)…, aiguisent non seulement leur appétit, mais ont fini également par devenir tout simplement de grands champs de bataille où souvent les intérêts des microcosmes politique et économique sont étroitement imbriqués. Le Maroc, un acquis français ? Toujours est-il que la France s'est longtemps vue dans une position économique de leader. Aujourd'hui, elle doit affronter une nouvelle concurrence venue d'Asie et l'agressivité de ses challengers traditionnels que sont l'Espagne, l'Italie et les Etats-Unis. Mais le concurrent le plus menaçant est sans aucun doute le voisin ibérique. « Jusqu'à la fin des années 1990, dans la plus grande tradition française, Rabat et le marché marocain étaient considérés comme acquis. Durant cette période, les grands groupes français ont souvent profité des connexions avec les hautes sphères décisionnelles marocaines pour parvenir à décrocher des marchés de gré à gré », souligne un lobbyiste qui intervient à titre privé. Sur ce chapitre des marchés attribués sans compétition, le contrat de construction de la mosquée Hassan II, octroyé à Bouygues, semble être devenu aujourd'hui un cas d'école, tant les sources contactées par Challenge Hebdo l'ont mentionné pour étayer le pouvoir du lobbying au Maroc. « Jacques Chirac, grand ami de Bouygues et de Feu Hassan II, a joué pleinement son rôle de lobbyiste pour ce porte-drapeau tricolore», ajoute ce lobbyiste. Il faut dire que le modèle français a longtemps misé sur les accointances des milieux politique et économique. En outre, il met à contribution les lauréats marocains formés dans les grandes écoles françaises qui, pour la plupart, occupent des postes à responsabilités. Aux yeux des Français, cette « crème » ne constitue ni plus ni moins qu'un prolongement de leur hégémonie. La plupart de ceux-là sont membres du Groupement d'impulsion économique franco-marocaine (GIEFM), coprésidé par Jean-René Fourtou, Président de Vivendi et Mustapha Bakkoury, Directeur général de la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG). Ce groupe de réflexion composé pratiquement de toutes les têtes d'affiche du CAC 40 et des grands groupes marocains, et dont la mission est de réfléchir à des pistes potentielles de partenariats entre la France et le Maroc, apparaît pour certains comme une forme manifeste de lobbying. C'est le cas également de l'association Initiatives, créée en 2004 par les grands groupes français installés dans le Royaume, notamment Lydec, Alstom, Accor, BMCI, Axa Assurance et Lafarge Maroc…, et dont l'objectif déclaré est d'accompagner le développement de Casablanca. Mais derrière cette création se cache la volonté des uns et des autres de consolider leur proximité avec les responsables locaux. En fait, c'est là que résident toutes les difficultés. José Miguel Zaldo en sait quelque chose : « C'est au niveau des autorités locales que je rencontre surtout des difficultés. Je ne leur en veux pas, car généralement, soit la décision n'est pas arrivée à leur niveau, soit elles l'interprètent différemment par rapport à l'administration centrale ». Une zone industrielle, rien que pour les Espagnols Mais ce n'est pas pour autant que les Espagnols baissent les bras. Pour conforter davantage leur présence au Maroc, ils n'y vont pas de main morte et tracent leur petit bonhomme de chemin. Cela passe aussi par les plateformes. Là, les Espagnols mettent le paquet en plaçant sur les rails un projet de construction d'une zone industrielle à Settat. Certes, cette décision peut être perçue comme une simple copie du projet initié par la Chambre de commerce française. Construite sur le même axe (l'une à Bouskoura, l'autre à Settat), elles sont similaires à un détail près : la zone industrielle promue par les Espagnols sera dédiée exclusivement aux entreprises ibériques, alors que celle lancée par les Français est ouverte à tous. C'est que les Espagnols sont très particuliers dans leurs démarches commerciales. « Les entreprises espagnoles installées au Maroc font preuve d'une solidarité singulière. Leurs chambres de commerce ( NDLR : Tanger et Casablanca) sont très actives, notamment dans les dossiers de PME. Elles font un travail de fourmi sans qu'il s'accompagne forcément d'un gros tapage médiatique », explique une source proche du dossier. De plus en plus puissantes, ces entreprises le sont aussi de par le poids que commence à acquérir le comité mixte maroco-espagnol, dont la présidence côté marocain est assurée par Saâd Kettani. Pour preuve, les deux fois où des membres de ce comité ont fait le déplacement à Madrid, ils ont été reçus par le roi Juan Carlos en personne. «Le message est très fort », conclut une source proche du dossier. La dernière visite en date remonte à décembre 2008, quand une vingtaine d'hommes d'affaires marocains ont fait leurs valises et sont partis à la rencontre de leurs homologues espagnols. Dans une ambiance visiblement bon enfant, les messages ne manquaient pourtant pas d'être directs mais surtout clairs. Quand des membres de la CEOE n'ont pas caché leur souhait de se faire attribuer certains marchés dont les appels d'offres sont en cours, le ton était confiant. Seule l'intervention tranchée de Moulay Hafid Elalamy a pu l'ébranler. « Je suis à votre disposition pour tout besoin en termes d'informations, mise en contact ou pour transmettre une réclamation aux pouvoirs publics. Cependant, il faut garder à l'esprit qu'en cas d'appels d'offres, la procédure doit être respectée et que personne ne peut aspirer à un traitement de faveur. Les temps ont changé», avait-il lancé, arborant une note catégorique mais courtoise. Les temps ont changé ! Les personnes interviewées dans le cadre de ce dossier l'ont tous dit, assurant que les pratiques qui prévalaient par le passé ne sont plus de rigueur. Et de se rattraper. « En tout cas, les choses se sont nettement améliorées ces dernières années, du moins dans la forme ». Toutefois, s'il est un domaine où ces convictions s'amenuisent, c'est bel et bien quand on touche au domaine « sacré » de l'armée. L'armée, une chasse encore gardée Quand la question est évoquée, les moins conformistes changent de posture. C'est que le sujet fâche et qu'il est extrêmement sensible. Mais une chose est sûre. Dans le microcosme de l'armée, le réseautage pèse toujours de tout son poids dans le choix des partenaires. « Les généraux sont maîtres des lieux. Même le ministre de la Défense nationale n'a pas son mot à dire», assure une source proche du dossier sous couvert d'anonymat. Ici, le jeu est verrouillé. Arriver à le pénétrer n'est pas une mince affaire. Bien au contraire, cela peut même constituer le vœu jamais exaucé de nombreuses entreprises qui veulent, elles aussi, entrer dans la cour des grands. Celles qui réussissent le pari sont jalousées. Et pour cause. L'enjeu est de taille. Certains contrats conclus sont comptés en milliards d'euros, notamment quand il s'agit de l'armement en soi. Le plat est alléchant, que ce soient pour les Espagnols ou les Français. Ainsi, ils n'hésitent pas à jouer toutes leurs cartes, les changer, les adapter… pour se faire une place au soleil aux côtés des grands comme Thalès, fournisseur de référence en matière de radars et autres solutions de télé-commandement. Dans l'objectif de vendre leurs équipements militaires aux Marocains, les Français n'hésitent pas à mettre en avant la coopération militaire, comme ce fut le cas pour l'acquisition par le Maroc d'une frégate franco-italienne multimissions Fremm, navire furtif de nouvelle génération, pour un montant évalué à 470 millions d'euros, soit plus de 5 milliards de dirhams. Pour justifier le choix du Maroc, François Fillon n'y était pas allé par quatre chemins pour dire que le navire en question est identique à ceux qui équipent la marine française et que, «cela permettra une coopération plus aisée entre les deux Marines». Ici, la carte jouée a été la bonne. Mais elle n'est pas efficace pour toutes les parties. A propos du dossier des avions de combat Rafales, la France n'arrive toujours pas à se résigner à sa « défaite ». Dassault, qui pourtant était sûr de signer la commande avec le Maroc, a fini par vivre un atterrissage en catastrophe, le Royaume étant plus tenté par les F16 fabriqués au pays de l'oncle Sam. Dassault, qui n'avait pas vu venir la mauvaise nouvelle, avait pensé mettre toutes les chances de son côté en usant des couronnes de transmission qui sont les siennes. Car le groupe a tissé sa toile jusque dans les sphères de la communication. En s'offrant Le Figaro en 2004, ainsi que l'ensemble de ses suppléments magazines, il s'est aussi offert une tribune, un relais qui devait lui permettre de faire sa propre promotion. Seulement, l'opération de vente des Rafales a fini par capoter, et le journal Le Figaro, d'habitude allié du Maroc, a publié un article incendiaire sur le royaume. Le lien n'était pas difficile à établir. C'était sa façon à lui de prendre sa revanche ! Sarkozy vs Zapatero Peu diplomatique, cet incident est passé publiquement sous silence. Et les relations de haut niveau ont continué dans la constance, comme si de rien n'était. Plus encore, les opérateurs espagnols jalousent les Français pour leur chef d'Etat qui n'hésite pas à se placer en super VRP aux côtés du Premier ministre Fillon. Rappelons que lors de la dernière visite de ce dernier dans le Royaume, il était accompagné d'une quarantaine de patrons formant un beau casting. Le big boss d'Airbus, Louis Gallois, le vice-président d'Alstom, Philipe Delleur, le charismatique fondateur du groupe Accor, Gérard Pelisson ou encore l'exécutive vice-président de Thales Groupe, Alexandre de Jouniac, étaient sur la photo de famille. Autre atout des opérateurs français par rapport à leurs homologues espagnols, l'implication de l'Etat et des organismes français dans le financement des projets remportés par les groupes tricolores. «Cela pèse énormément dans le choix des décideurs marocains pour octroyer les marchés qui sont généralement très capitalistiques. Aux côtés des crédits à taux préférentiels, les Français accordent parallèlement des dons pour la réalisation des études faites encore par des cabinets français », regrette cet opérateur espagnol. Même son de cloche chez Zaldo, qui estime que l'Etat espagnol devrait mettre la main à la poche pour certains projets. « C'est un plus», dit-il. Tout indique que le gouvernement espagnol a commencé à s'inscrire dans cette dynamique. Cette semaine, il s'est engagé à financer à hauteur de 100 millions d'euros le projet de centrale thermosolaire au Maroc pour le compte de l'ONE. En effet, le contrat de construction a été attribué à la compagnie Abener, filiale du groupe industriel espagnol Abengoa, pour un coût total estimé à 469 millions d'euros. Le prêt de l'Etat espagnol sera pris en charge par le Fonds espagnol d'Aide au Développement et le reste du financement sera assuré par la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement. Un autre prêt de 8,3 millions d'euros a été accordé à l'ONCF pour la réalisation d'un système de télécommande des sous-stations et postes de sectionnement à travers le réseau de l'ONCF. Ce marché a été remporté par une entreprise espagnole également. Tout comme les Français, les Espagnols ont aussi leurs hommes d'influence dans les milieux économique et politique. En tête de liste, on peut citer Sâad Kettani, qui détient d'ailleurs les 20 % du capital de la nouvelle cimenterie du groupe Espagnol Lubasa. Salaheddine Mezouar, ministre des Finances et ex-patron de Settavex, un grand groupe hispanique, Nizar Baraka, ministre chargé des affaires économiques et générales, Moulay Hafid Elalamy et Meriem Bensalah sont considérés par les opérateurs espagnols rencontrés dans le cadre de cette enquête comme des avocats de la coopération économique maroco-espagnole. Toujours est-il que du côté espagnol ou français, le duo de choc reste inéluctablement Bouhemmou-Majidi, que d'aucuns n'oublient pas de chercher à rencontrer. C'est le sésame pour ouvrir toutes les portes, même les plus verrouillées d'entre elles. France-Espagne : Deux gros poids lourds de l'économie marocaine La France a toujours été le premier investisseur étranger au Maroc (hormis en 2003 où l'opération de privatisation de la Régie des Tabacs a permis à l'Espagne de se hisser à la 1ère place). Elle demeure le principal partenaire commercial du Royaume, représentant 20% (soit 47,9 milliards de DH) de ses transactions avec l'étranger. Elle est le premier client du Maroc dont elle absorbe près de 30 % des exportations et son premier fournisseur en importations (16,2% du volume des importations globales). D'une manière générale, les échanges avec la France sont intenses, puisqu'elle couvre à elle seule 38% du total des échanges du Maroc avec l'Union européenne. Ce sont plus de 500 entreprises françaises. La moitié de ces entreprises sont recensées dans les secteurs du conseil, des biens de consommation, des équipements industriels, du tourisme et de l'immobilier. Pratiquement toutes les entreprises du CAC 40 sont présentes au Maroc. Quant à l'Espagne, elle compte également plus de 500 entreprises au Maroc, dont 40 % sont catalanes, connues pour leur agressivité commerciale sans pareil, soit 30 % des échanges commerciaux entre les deux pays. D'autre part, l'accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis profite aux firmes espagnoles qui investissent au Maroc dans le but d'accéder au marché américain. Aujourd'hui, l'Espagne est devenue le 2e partenaire commercial après la France. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont connu une hausse sensible, au cours des cinq dernières années. Sur la même période, les entreprises espagnoles ont investi au Maroc, en moyenne, un peu plus de 400 millions de dollars par an (environ 3,2 milliards de DH). D'ailleurs, l'Espagne est devenue le deuxième investisseur étranger au Maroc, notamment dans les secteurs du tourisme, de l'habitat et des nouvelles technologies. La banque, diplomate économique Le réseau bancaire n'est pas en reste quand il s'agit de faire de la veille économique ou de baliser le terrain à l'arrivée d'entreprises compatriotes. Qui, mieux que ces institutions financières, dispose de données économiques et commerciales à la fois fiables et actualisées sur le pays où elles sont implantées. Elles prennent le pouls de l'économie, guettent les opportunités d'investissement et représentent un moyen de financement incontournable. Dans ce registre, les Français tout autant que les Espagnols ont compris l'intérêt d'y mettre le paquet, afin d'accompagner les flux de grosses opérations réalisées au Maroc, qu'elles soient ponctuelles ou structurelles. La dernière opération en date est espagnole. Elle porte le nom de Caixa, et est née d'un partenariat entre Banco Sabadell et la Caisse d'Épargne de Barcelone, qui a obtenu en février dernier la licence bancaire au Maroc. Cette opération ne constitue pas le premier pas effectué par l'Espagne dans ce sens. Car le système bancaire espagnol est déjà présent au Maroc à travers des participations dans le capital. Citons l'exemple de la Caisse d'Epargne de la Méditerranée entrant dans le tour de table de BMCE, de Santander avec AttijariWafa bank, du groupe Caisses d'Epargne français figurant dans le capital du CIH, de la BMCI, dont la majorité est détenue par le groupe français BNP Paribas, et de la Société générale marocaine de banques (SGMB), qui tient d'ailleurs son nom du groupe Société générale en France, ou encore du Crédit du Maroc. Trois questions à Moulay Alaoui M'daghri Président de l'Association marocaine de l'intelligence économique Challenge Hebdo : dans la bataille qu'ils se livrent au Maroc pour décrocher les contrats, Espagnols et Français privilégient le système de veille dans leur lobbying… Moulay Alaoui Mdaghri : c'est de bonne guerre. De plus, la compétition étant dure, les rentes de situations étant de moins en moins assurées, le profil des décideurs ayant changé dans beaucoup de cas et les règles du jeu étant plus transparentes, faire de la veille me paraît être une attitude tout à fait appropriée. C.H. : en quoi un bon système de veille peut-il aider des entreprises à remporter des marchés ? M.A.M. : pour piloter un avion, on a intérêt à avoir un système de surveillance performant pour ce qui est de l'appareillage et de l'information pertinente en flux continu sur l'environnement. C'est la même chose pour les entreprises. L'idée de base est qu'il s'agit à la fois de détecter les signaux d'alerte et d'anticiper les opportunités autant que les problèmes. C.H. : la frontière entre lobbying et intelligence économique ? M.A.M. : le lobbying peut être une extension de l'intelligence économique, pour autant qu'il ne contrevient pas aux lois en vigueur, aux règles de la concurrence loyale et qu'il ne recourt pas à des pratiques douteuses.