Dans les rues de Casablanca, comme de toutes les grandes villes, il y a de plus en plus de Zouhra qui tentent de survivre dignement. Depuis combien de temps faites-vous ce métier et qu'en pense votre famille ? « Oh ! C'est pas vraiment un métier. Mais c'est ça qui me fait vivre. Je vends des œufs frais depuis dix-sept ans. Oui monsieur. Dix-sept ans ! Je les achète chaque matin au marché de gros d'El Biada et je les revends ici dans la rue. Oui, oui je vais toute seule chaque matin de très bonne heure au marché et après je suis ici jusqu'à environ une heure de l'après-midi. Puis je rentre chez moi. J'habite au quartier Bourgogne. Je prépare à manger et je m'occupe de ma maison, de mes enfants, je me repose. Le matin il faut se lever tôt. Mon mari est parti il y a longtemps, je vis avec deux de mes enfants. J'ai aussi quatre filles, dont trois sont mariées; et deux fils dont un est marié. C'est difficile la vie, mais grâce à Dieu, pour le moment ça va. J'aimerais bien que mon fils trouve un bon travail ». Elle soupire et lève les yeux au ciel, mi prière, mi reproche : « hamdoullah, pour moi, ça va pas trop mal. Depuis le temps que je fais ça, je connais bien tout le monde. Tout le monde me connaît. Je suis bien ici. C'est un quartier où il y a beaucoup de passage et où les gens sont tranquilles. Il y a le tribunal et la Wilaya juste là-bas et aussi le Consulat de France. Les hôtels. C'est un bon quartier pour les affaires, il y a la boucherie et le légumier à côté, alors je ne suis pas concurrente. (rires). Vous connaissez bien vous aussi, mes œufs. Ils sont excellents, toujours bien frais et pas chers !» (rires) On n'ose lui demander combien elle gagne et comment elle fait pour s'en sortir : « Je gagne entre quinze et vingt cinq dirhams par jour, parce que j'ai des frais. Aller au marché, revenir, acheter les sachets en plastique pour envelopper les œufs,ne laisse pas un très gros bénéfice mais c'est comme ça. J'espère que mon fils va trouver du travail ». Le temps de parler, et un monsieur lui a acheté une douzaine d'œufs. Ils ont échangé quelques mots. Et les clients ? Comment sont-ils avec vous ? «Bien. Très bien. J'ai de la chance, grâce à Dieu. Ils sont tous très gentils. Ils ont l'habitude de me voir depuis le temps… et comme mes œufs sont bons, ils reviennent. Ils sont tous très fidèles. Ils ont chacun leurs manies. Il y a les femmes d'un côté qui achètent mais qui discutent toujours. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Les hommes, ils achètent et ils ne discutent jamais. Je préfère les hommes (rires) comme clients ! Ils sont plus gentils que les femmes. Ils me parlent, me demandent des nouvelles. J'ai beaucoup plus de clients que de clientes. Dans le bar juste derrière moi, les hommes sont très gentils. Le patron, les employés. Tout le monde est parfait avec moi. Si parfois des gamins m'embêtent, tout de suite les gens du bar interviennent ».