Loi de finances 2003 La Chambre des représentants vient d'adopter la loi de finances 2003. Les amendements présentés par le ministre des finances et de la privatisation pour rendre le budget conforme à la nouvelle architecture du gouvernement et faire face aux conséquences des dernières catastrophes qu'a connues le pays, ont été adoptés sans difficulté. En revanche, ceux proposés par l'opposition ont été rejetés en bloc en recourant de manière excessive à l'article 51 de la Constitution. Le budget public est par essence l'instrument privilégié de la politique économique et sociale du gouvernement durant une année. C'est lui qui détermine en grande partie, à travers la répartition des ressources et des dépenses publiques, l'évolution de l'ensemble de l'activité économique du pays et donc la croissance, source d'emplois. Or, le budget qui vient d'être voté par la Chambre des représentants, apparemment sans conviction, laisse tout le monde ou presque sur sa faim. Simple reproduction des budgets précédents, il n'apporte aucune nouveauté majeure et ne présente aucun enjeu susceptibles de soulever l'enthousiasme. Il sacrifie la croissance au profit de la préservation des grands équilibres macroéconomiques et ne répond ni aux attentes des citoyens ni à celles des entreprises. En somme, il s'agit d'un budget de gestion de la crise plutôt que d'un budget de croissance. Adoption des amendements du gouvernement Préparé sous le gouvernement Youssoufi, il devait subir quelques amendements pour le rendre un peu plus conforme à la nouvelle donne politique et au programme de l'équipe Jettou. A l'analyse, il apparaît que les amendements adoptés ne modifient pas de façon sensible la structure du budget tel qu'il a été présenté dans sa première version. Les amendements en question visent essentiellement à adapter le budget à la nouvelle architecture du gouvernement et à remédier aux dégâts provoqués par les inondations du mois de novembre, en particulier l'incendie de la Samir. Ce ne sont donc là que des mesures de circonstances qui n'affectent en rien le montant des ressources ni leur origine, et ne touchent que faiblement la répartition des dépenses publiques entre les différents départements. Il s'agit principalement de mesures d'ordre réglementaire ou technique sans véritables incidences sur la structure globale du budget initial. Parmi les amendements retenus, on peut citer certaines dispositions en matière douanière. Selon le ministre des finances et de la privatisation, “ces dispositions consacrent les Droits de l'homme et définissent la responsabilité et le respect des engagements, dans le cadre de l'orientation de la politique douanière à laquelle le Royaume a contribué au cours des dernières années”. Ces amendements concernent l'allègement des sanctions à l'encontre des transitaires en cas de fraude et la simplification de la procédure de transit des marchandises à la taxe intérieure sur la consommation (TIC) . D'une autre part, ils instituent une réduction de la taxe sur l'importation du gaz butane et son exonération de la TVA. De même, seront exonérés de la taxe d'importation les carburants et autres dérivés afin d'assurer l'approvisionnement du marché national en produits pétroliers, suite à l'arrêt de l'activité de la Samir gravement endommagée par l'incendie du mois dernier. Les autres amendements adoptés portent sur l'accroissement des fonds alloués à la protection civile pour lui permettre de renforcer ses moyens de lutte contre les catastrophes. En outre 500 postes seront retranchés du ministère de l'éducation nationale et transférés au ministère de la santé qui disposera de 1.500 postes supplémentaires au lieu des 1000 initialement prévus. Enfin 200 millions de DH seront prélevés sur les budgets d'autres départements et affectés à la santé et à la promotion de l'emploi. Rejet des amendements fiscaux Ainsi, tous les amendements proposés par l'exécutif ont été adoptés sans difficulté. En revanche, ceux de l'opposition, en particulier du groupe du PJD, ainsi que les propositions de la confédération générale des entreprises marocaines (CGEM) faites hors de l'enceinte parlementaire, ont tous été rejetés en bloc. Pour justifier cette fin de non-recevoir, le ministre des finances et de la privatisation a recouru de façon excessive à l'article 51 de la Constitution. Article qui stipule que : “les propositions et amendements formulés par les membres du parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquences, par rapport à la loi de finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique”. Pourtant les amendements et propositions rejetés ne manquent pas d'intérêt économique et social. Ainsi, en matière d'impôt général sur le revenu (IGR), qui va rapporter à l'Etat l'année prochaine 17,5 milliards DH, soit 18% des recettes ordinaires, il a été proposé notamment de porter le seuil exonéré de 20.000 à 24.000 DH et de limiter le taux maximal à 41,5% (contre 44% actuellement) comme prévu dans la charte d'investissement et l'appliquer à la tranche du salaire supérieure à 120.000 DH au lieu de 60.000 DH aujourd'hui. Certes, l'Etat manque de ressources, mais rien ne justifie que le poids fiscal soit toujours supporté par les mêmes catégories, au lieu de mieux répartir cette charge en élargissant l'assiette fiscale. On comprend mal pourquoi le gouvernement n'a pas tenu compte d'une proposition de la CGEM pour intégrer progressivement le secteur informel en appliquant des taux réduits de l'impôt pour les premiers exercices à partir de la date de déclaration spontanée par les patrons des entreprises informelles. La révision à la baisse des taux de l'IGR aurait non seulement introduit une certaine dose d'équité fiscale, mais en plus elle aurait amélioré le pouvoir d'achat des salariés et donc renforcé leur capacité d'épargne et stimulé la consommation, ce qui aurait des conséquences bénéfiques sur les résultats des entreprises. On ne comprend pas non plus le rejet de la proposition relative à l'exonération des jeunes promoteurs de l'impôt sur les résultats pendant les cinq premiers exercices. Ce n'est pas l'annonce par F. Oualalou de la présentation prochaine d'un nouveau code des impôts et la création imminente d'un fonds spécial de lutte contre le chômage qui peuvent satisfaire les catégories concernées par ces projets lorsqu'on sait quels sont les délais nécessaires pour que les réformes annoncées voient le jour. En tout cas, tout indique que le nouveau gouvernement a raté une excellente occasion pour lancer un signal fort aussi bien aux contribuables par le réaménagement de la fiscalité, qu'aux parlementaires en prenant en considération au moins certains de leurs amendements et propositions. Il y a quelque chose de paradoxal, voire de surréaliste dans l'attitude du ministre des Finances et de la privatisation lorsqu'il appelle à la coopération, au dialogue et à l'échange entre le législatif et l'exécutif au moment où ce dernier rejette tous les amendements et propositions des membres du parlement, en invoquant de façon quasi-systématique l'article 51 de la Constitution. Mais attention, un 51 ça va, trois, bonjour les dégâts! Le point de vue de A. Benamour, économiste “Le Maroc est un pays relativement aisé, avec un Etat pauvre et mauvais gestionnaire” La Gazette du Maroc : quelle est votre appréciation sur le budget 2003 et pourquoi le ministre des finances a-t-il rejeté tous les amendements qui n'étaient pas proposés par le gouvernement ? A.Benamour : le budget 2003 est quelque chose de tout à fait normal compte tenu des données actuelles de l'économie marocaine. Si le ministre a rejeté un certain nombre d'amendements, c'est parce que dès qu'il y a le moindre impact financier sur telle ou telle rubrique cela ébranle l'ensemble de l'édifice budgétaire. Le gouvernement n'a pas de latitude d'action, et ce d'autant plus, il faut le dire, que l'augmentation très forte de certaines rémunérations accordées in extremis a joué un rôle important dans l'aggravation des charges. Le problème c'est que cela va revêtir un caractère permanent dans l'avenir. Compte tenu de la faiblesse des ressources publiques, pourquoi le gouvernement n'essaie-t-il pas d'élargir l'assiette fiscale en intégrant par exemple progressivement le secteur informel, comme l'a proposé la CGEM ? Il faut en effet élargir l'assiette fiscale en faisant payer l'impôt à tous ceux qui peuvent le faire, en fonction de leurs capacités contributives. On pourrait imaginer par exemple un système selon lequel on ferait payer 15 % ou 20 % sur les résultats de l'activité ou trouver d'autres moyens comme le retour à l'imposition sur le chiffre d'affaires et non sur la valeur ajoutée. Ainsi, tout le monde contribuera à l'effort fiscal. Si on n'élargit pas l'assiette et que l'on continue de dire qu'il ne faut pas toucher au secteur informel, alors qu'au fond on défend des privilèges acquis, on ne réussira pas à accroître les ressources publiques. Car il faut souligner qu'au sein du secteur informel il existe même des millionnaires qui échappent à l'impôt. En fait, le Maroc est un pays relativement aisé avec un Etat pauvre et en plus mauvais gestionnaire. Alors que cet Etat ne dispose pas de moyens suffisants, il paie des retraites aux anciens ministres et aux parlementaires. Le groupe PJD a proposé sans succès la suppression des retraites des anciens ministres. Il a tout à fait raison. Bien entendu, je ne partage pas les points de vue de ce parti sur beaucoup de questions, mais sur ce point-là il a raison. Cette pratique est une aberration. C'est ce qui crée et encourage la course aux postes. Il faut dépasser cette culture héritée de D. Basri qui consiste à corrompre chacun selon la manière qui lui convient pour l'avoir dans le sillage d'une politique donnée. Tout le monde est aujourd'hui conscient de cette situation. Même feu Hassan II avait dit que le Maroc était au bord de la crise cardiaque, et on n'en est pas encore sorti. A la crise cardiaque j'ajouterai la crise cérébrale.