Vers une nouvelle politique religieuse au Maroc Dès la nomination du gouvernement de Driss Jettou, plusieurs interrogations ont fusé de toutes parts concernant l'éviction de Abdelkébir Alaoui M'daghri, qui a régné sur le ministère des affaires islamiques pendant dix-huit ans, et la confirmation d'Ahmed Taoufik à la tête de ce sensible département. C'est alors que l'on commençait à parler d'une nouvelle politique religieuse, bien que les définitions, à ce sujet, soient divergentes et les a priori ambigus. Parler d'une nouvelle politique religieuse induit clairement une rupture avec une ancienne politique dans ce domaine. Par conséquent, pour délimiter le contenu de cette nouvelle politique religieuse, il est nécessaire de sonder ce qui y est constant et ce qui doit être considéré comme variable. En effet, la politique religieuse au Maroc s'appuie sur des constantes qui créent un équilibre permanent entre l'Islam officiel et l'Islam populaire. D'un autre côté, elle s'articule sur des variables qui consistent à contrecarrer tous les courants et les idées religieuses considérés par les pouvoirs publics comme contraires aux principes de modération et de tolérance. Donc, pour parler d'une nouvelle politique religieuse, il faut également définir l'approche des pouvoirs publics par rapport aux constantes et aux variables. Il va sans dire que l'élaboration d'une nouvelle politique religieuse est intimement liée aux orientations de la “nouvelle ère” qui aspire à donner corps à de nouveaux mécanismes et outils de gestion des politiques générales, y compris la politique religieuse. Dans ce contexte, l'élaboration d'une nouvelle politique religieuse n'est pas conditionnée par la nomination d'un nouveau ministre des affaires islamiques, autant qu'elle est conditionnée par l'application des fameux quatre mémorandums. D'autre part, la nouvelle politique religieuse projetée nécessite de rappeler deux étapes essentielles, mais différentes, dans le processus de redéfinition du champ religieux au Maroc. 4 juin 2000 ou le niveau des variables La nouvelle politique religieuse n'a pas ciblé, au début, le niveau des constantes, tant qu'elle s'est fixée la priorité d'opérer des modifications sur les variables. Cette approche visait l'élaboration d'une nouvelle politique religieuse qui puisse contrecarrer les courants considérés comme opposés à la modération et à la tolérance, notamment ceux constituant ce qui est communément appelé “Islam politique”. Ceci s'est illustré par la diffusion par le ministre des affaires islamiques de l'époque, sur ordre d'Amir Al Mouminine, des quatre mémorandums, en date du 4 juin 2000. Ces documents ont clairement défini les nouvelles orientations religieuses qui doivent s'opérer au niveau des variables. Ainsi, le quatrième document portant le numéro 19 incarne la nouvelle politique de Sa Majesté Mohammed VI en mettant les Conseils provinciaux des Oulémas sous la tutelle directe du Roi, Amir Al Mouminine, tout en leur fixant des missions claires quant à l'élaboration et l'application des programmes d'orientation religieuse au sein de leurs sièges, au sein des mosquées et des autres espaces. Les trois autres documents ont essayé de définir les moyens à même de limiter la floraison des associations de l'Islam politique. Ainsi, le document N° 16 ordonne l'ouverture des mosquées dès la prière d'Assobh et jusqu'à une heure après la prière d'Al Ichaâ. Cette disposition abroge donc la décision prise en 1984 par le ministère qui avait ordonné la fermeture des mosquées à l'issue de chaque prière. Pour leur part, le document N° 17 définit les conditions de construction de nouvelles mosquées et le document N° 18 définit les conditions dans lesquelles les femmes peuvent encadrer le public féminin au sein des mosquées. Ces quatre mémorandums ont été appuyés par le discours du 20 août 2000, puisque le ministère des affaires islamiques a entamé leur application sur le terrain, notamment en commençant dès le 15 septembre, à mettre en place les cours d'alphabétisation dans 100 mosquées. Or, ces cours sont considérés par Sa Majesté le Roi comme essentiels, puisqu'ils ne devaient pas se limiter à lutter contre l'analphabétisme primaire, mais à lutter surtout contre l'analphabétisme religieux et civique. C'est alors qu'il faut s'interroger au sujet de la non-application intégrale des dispositions de ces quatre documents. En effet, le gel de ces mémorandums n'est pas dû à la carence en ressources humaines ou en ressources financières, autant qu'il est dû au fait que les pouvoirs publics se sont rendu compte de l'inefficacité de la réforme si elle se borne uniquement aux variables. 7 novembre 2002 ou le niveau des constantes La nomination d'Ahmed Taoufik à la tête du ministère des affaires islamiques s'inscrit dans le cadre d'une nouvelle approche qui tient compte des constantes, c'est-à-dire du souci de préserver l'équilibre entre l'Islam officiel et l'Islam populaire. Ainsi, toutes les dynasties qui ont régné sur le Maroc depuis l'ère des Saâdiens ont eu comme souci majeur de pérenniser la coexistence entre l'Islam officiel représenté par les Oulémas et l'Islam populaire représenté par le Soufisme. Or, c'est cette coexistence entre Islamistes qui constitue l'essence même de l'Islam marocain qui s'articule sur le rite Malékite et sur la foi Achaârite. Cette coexistence a, de tout temps, barré la route aux mouvements religieux rigoureux tels le Wahhabisme qui prévaut dans la péninsule arabique. Or, l'un des initiateurs de la politique religieuse marocaine du temps du protectorat, en l'occurrence Michaux Bellaire, avait traité lors d'une conférence à Salé en 1928 du thème “Le Wahhabisme au Maroc”. Bellaire devait confirmer alors que tous les courants extrémistes à l'instar du Wahhabisme sont condamnés à l'échec au Maroc du fait que l'Islam marocain, qui repose sur le rite Malékite, tolère plusieurs expressions considérées comme hérétiques, mais qui ont été, au fil du temps, complètement adoptées. Cependant, au niveau des constantes et tout particulièrement au niveau du nécessaire équilibre entre l'Islam officiel et l'Islam populaire, certaines défaillances ont été constatées. C'est le sens même des différentes accusations portées contre l'ancien ministre des affaires islamiques Abdelkébir Alaoui M'daghri. En effet, ce ministre était accusé d'avoir favorisé l'Islam officiel au détriment de l'Islam populaire profitant de son statut de lauréat de Dar Al Hadith Al Hassania. Pire, il était accusé d'avoir tout fait pour favoriser l'émergence du Wahhabisme au Maroc. A partir de ce constat, il est aisé de comprendre les raisons de la nomination d'Ahmed Taoufik qui est connu pour ses penchants soufistes et notamment pour la Tarika Boutchichiya. Donc, cette nomination est un signal fort en direction de la réhabilitation de l'Islam populaire qui est un fondement essentiel de la personnalité musulmane marocaine. Cette réhabilitation a été entamée par le rappel des liens séculaires entre les Chorfas et le Soufisme au Maroc. Or, les soufistes ont de tout temps constitué un soutien indéfectible du pouvoir des Chorfas au Maroc. C'est là l'un des secrets de la pérennité du pouvoir, de l'Etat et de la spécificité marocaine. Donc, la réhabilitation de l'Islam populaire, à travers ses liens séculaires avec la Monarchie et les dynasties des Chorfas, ne pouvait qu'être soulignée avec force par le nouveau ministre. Illustration magistrale en a été faite lors de la conférence prononcée par Ahmed Taoufik devant Amir Al Mouminine lors de la première causerie religieuse ramadanienne. De ce fait, la nouvelle politique religieuse y a reçu son baptême.