Le ministre a, contre toute attente, lors d'une réunion avec les nadirs de son département, tenté de banaliser les agissements des extrémistes salafistes. Une manœuvre de dédouanement douteuse. La réalité est tout autre. L'ordre moral est visé, les institutions, la démocratie et l'Etat de droit aussi. Les choix du ministre, proches du wahhabisme, ne peuvent être imposés à toute une nation. Le rejet de l'obscurantisme est l'affaire de tous. Le Maroc “jouit de la sécurité spirituelle nécessaire, d'un climat naturel pour la vie religieuse et d'une gestion normale des mosquées''. C'est le ministre des Habous et des Affaires islamiques qui dit cela. Cette déclaration, il l'a faite lundi 2 septembre lors d'une réunion avec les nadirs de son département implantés dans les différentes régions du Maroc. Voilà, le ministre a fait sa rentrée, prêt à passer une autre année, sinon plus si affinités… Tout va pour le mieux donc. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Pourquoi ne pas se sentir tranquille puisque M. M'daghri veille au grain religieux ? Avec cette phrase lénifiante, le ministre croit dégager ainsi sa responsabilité dans la poussée intégriste du mois d'août dernier qui a donné des sueurs froides à plus d'un. D'ailleurs, le ministre a réduit ce phénomène à un simple fait divers. Pour lui, il ne s'agit ni plus ni moins que d'actes criminels qui restent isolés, puisque commis par un nombre limité d'individus qui ont été identifiés par les services de sécurité, lesquels ont accompli leur devoir avec fermeté à leur encontre. Le ministre ajoute que “ ces événements, que certains ont voulu amplifier pour des considérations politiques, ne sont que des actes criminels ordinaires qui n'ont rien à voir avec la religion“. M. M'daghri botte en touche dans une volonté manifeste de faire porter le chapeau de cet activisme religieux à d'autres têtes qu'à la sienne. Pour se dédouaner, il n'a trouvé, en effet, rien de mieux que d'énoncer une évidence : ces actes criminels étant commis dans des bidonvilles, les raisons donc sont sociales et économiques. Il conclut son raisonnement en insistant sur la nécessité de ne pas exploiter les mosquées à des fins électorales et partisanes. L'argument qui tue, qui le met au-dessus de toute critique. Force est de constater que cette attitude simplifie un problème (la salafia jihadia) par essence complexe. Une attitude qui, venant du ministre des Habous et des Affaires islamiques, a quelque chose de manichéen : les bons d'un côté, incarnés par son ministère, et les méchants personnifiés par des partis politiques opportunistes. Homme aussi bien à l'aise dans le costume-cravate que le Djellaba et le tarbouche, Abdelkébir Alaoui M'daghri s'est toujours obstiné à nier l'existence d'une quelconque forme d'intégrisme religieux au Maroc en se cachant derrière la “sécurité spirituelle“. Tout à son assurance, il ne serait pas loin de penser que la bande à Fikri, qui a enlevé et tué des gens au nom d'une vision obscurantiste de l'islam, n'est qu'une pure invention destinée à faire peur aux Marocains ou à le mettre lui-même en difficulté. Avec M. M'Daghri, pas moyen donc de lancer le débat et de l'enrichir. En fait, il ne suffit pas de tenter d'escamoter la réalité pour la changer. Celui qui s'est évertué constamment dans ses rares déclarations à installer le pays dans une ambiance quiètement “M'daghrinisée“ a obligation de rendre compte de l'activité de son département. Un département, il est vrai, peu connu du grand public et même des initiés en raison de sa “très grande discrétion“, au point que les Marocains ne savent pas quel est exactement son rôle et ses attributions. Le ministre lui-même, qui bénéficie d'une longévité politique rare, a poussé la discrétion jusqu'à n'apparaître qu'occasionnellement à la télévision. Deux fois par an: lors de l'ouverture de la période du pèlerinage et au moment des causeries religieuses du mois de Ramadan. En dehors de ces deux manifestations officielles, le ministre, qui du reste ne manque pas d'allant, est absent des médias. Il lui est arrivé de monter au créneau de manière exceptionnelle, comme c'est le cas aujourd'hui, pour être sur la défensive au sujet des crimes de sang de la Salafia Jihadia ou il y a quelques années, pour s'opposer au plan de l'intégration de la femme. Devant une telle activité minimale de son chef, les Marocains pensent certainement que ce ministère, comparé aux autres, équivaut à une sinécure. Or, être un ministère de souveraineté ne dispense pas de la communication permanente et de rendre des comptes sur son activité. Ce ministère, que l'on dit immensément riche grâce aux biens dont il dispose, gère principalement ou accessoirement les mosquées et désigne les prédicateurs. Or, selon le ministre de l'Intérieur, 50% des mosquées échappent au contrôle du département de tutelle. Mais on ne sait pas comment et sur la base de quels critères les mosquées sont gérées. La mosquée Annour à Casablanca, pour ne citer que ce lieu de culte très particulier, a pignon sur rue à Beauséjour. Cette mosquée, placée sous la férule d'Ahmed Rafiki, est un haut lieu des islamistes salafistes, pas seulement marocains mais aussi pakistanais et saoudiens, qui y débarquent régulièrement. Qui contrôle Annour, cette citadelle religieuse qui déborde toujours d'une activité fébrile et inhabituelle ? Le ministère de tutelle sait-il ce qui se passe à l'intérieur de cette ancienne église? Alaoui M'Dgahri a demandé aux nadirs de procéder à une opération de recensement des mosquées qui relèvent aussi bien des Habous que des particuliers. Là aussi, il ne suffit pas de recenser pour maîtriser. Une chose est sûre: le ministère des Habous et des Affaires islamiques a besoin de voir son statut redéfini et ses fonctions recadrées. Pour l'avènement d'une nouvelle politique du culte au Maroc. Le contexte a changé. Les problèmes aussi.