Qui a intérêt à ce qu'El Nene disparaisse du Maroc, combien a-t- il payé pour être couvert pendant son évasion, qui a peur des révélations de ce baron de la drogue notoire ? "Soy a qui, soy a Ceuta» ! «Je suis là, je suis à Sebta» ! L'homme mime un bras d'honneur en direction du Maroc, avec force jurons et obscénités. El Nene fêtait ainsi son évasion ce samedi 15 décembre dans une ambiance de mariage avec le concert de klaxons et les youyous des femmes. Le cortège avait quitté le Numéro 3 de la rue Barriada Postigo, résidence du baron à Sebta, tard dans la nuit. Auparavant, El Nene avait fêté sa liberté avec un cercle d'intimes au cours d'une soirée bien arrosée. Cela faisait une semaine que le baron de la drogue avait rejoint Sebta. Depuis, il a fait plusieurs allers-retours entre la ville occupée et Marbella où il possède plusieurs villas et bien des affaires. Disparition L'homme avait été porté disparu le vendredi 7 décembre. Une commission conduite par le parquet de Kénitra avait débarqué à l'improviste pour constater de visu l'absence d'El Nene qui purgeait sa peine à la prison centrale de Kénitra. Condamné à huit ans de prison ferme dans le cadre de l'affaire Erramach, le trafiquant était pourtant depuis une dizaine de jours en vadrouille, bien loin de sa cellule. Son évasion aurait pu continuer à rester secrète si un corbeau n'avait pas balancé l'information aux autorités judiciaires. L'évasion a eu lieu dans la nuit du jeudi au vendredi 7 décembre. «Il semble qu'El Nene qui avait l'habitude de passer ses soirées dans les boîtes de nuit de Kénitra avec une prédilection pour Mehdia a cette fois-ci faussé compagnie à ses anges gardiens», rappelle une source carcérale. Qui ajoute que le baron a dû payer cher pour prendre la clé des champs. Car il est clair que la fuite du trafiquant de drogue a bénéficié du soutien de nombreux intervenants, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la prison. L'homme qui vivait sous un régime spécial dans la prison centrale de Kénitra se permettait d'ailleurs de sortir pratiquement toutes les nuits pour faire la bringue accompagné de deux ou trois gardiens de prison. «Selon la version qui circule ici dans le milieu, c'est qu'un certain Abdesslam dit «Tordo», son bras droit aurait fait le déplacement à Kénitra pour conduire à une vitesse d'enfer El Nene à Sebta», rapporte une source à Tétouan. Ce qui confirme bien des complicités au niveau sécuritaire puisque l'homme est fiché à tous les postes frontières. L'enquête qui ne fait que démarrer devra déterminer les responsabilités de l'administration de la prison comme elle devra faire la lumière sur l'identité des grosses huiles qui protègent le baron. Parce que ce n'est pas la première fois qu'El Nene se fait la belle. C'est d'ailleurs après une première tentative d'évasion de la prison de Oued Laou que le baron avait été transféré à Kénitra. Les faits remontent au 25 septembre 2005 à Oued Laou, quand une mutinerie a éclaté dans la prison. L'objet de la fronde : la fuite du baron est montée en épingle par des détenus victimes de ses frasques. Les prisonniers ont profité du fait que l'homme n'était pas rentré d'une sortie pour appeler à l'intervention du procureur. «Comme on était au courant de ses sorties régulières, nous avons choisi exprès de crier au moment où El Nene était dehors. Nous avions exigé l'intervention du procureur pour qu'il vienne constater de visu que ce détenu sort et rentre librement de la prison !», explique ce détenu. A l'époque, l'administration pénitentiaire et de la réinsertion s'est contentée de publier un communiqué insipide, où il est précisé qu'un « sit-in a été observé mardi à la prison locale d'Oued Laou, à la suite d'altercations entre certains détenus, dont le prisonnier Mohamed Tayeb El Ouazzani, dit «El Nene», ayant donné lieu à des actes de violence». Complicités Puis, le lendemain, rebelote, une mise au point est adressée sans complexe aux médias pour préciser que «le dénommé El Nene n'a pas pris la fuite, mais se trouve bien dans l'établissement pénitentiaire». Qui a intérêt à ce qu'El Nene disparaisse du Maroc, combien a-t- il payé pour être couvert pendant une semaine avant qu'on ne parle de son évasion, qui a peur des révélations futures du baron de la drogue? Autant de questions qui seraient liées à cette fameuse liste de noms, de contacts, d'adresses et de numéros de téléphone, de personnages VIP dans les couloirs sécuritaires ainsi que de gros poissons impliqués dans le monde des affaires révélés par El Nene dès son arrestation en 2003. Eu égard à la stature du personnage et des noms qui peuvent à tout moment apparaître sur son carnet d'adresse et les informations qu'il détient sur quelques grosses pointures politiques risquent de provoquer un véritable séisme politico sécuritaire. El Nene qui agit toujours en maître, grâce à la protection dont il bénéficiait de la part de certains hauts responsables avec lesquels il partage le fruit de ses activités illégales a une histoire. C'est ce qui explique que partout où il passe, El Nene réussit toujours à faire régner la loi de l'omerta. Aujourd'hui, le parquet général de Kénitra a bien ouvert une enquête sur les circonstances de l'évasion, de Mohamed Ouazzani, ainsi que sur la responsabilité des employés de cet établissement pénitentiaire, dont 6 sont déjà aux arrêts, dans cette évasion. Mais il est fort probable qu'on en saura pas plus dans cette affaire aux relents politico-sécuritaires certains. Prisons et détenus VIP Dans le top ten des prisons qui déroulent le tapis rouge aux barons de la drogue, celle de Oukacha est bien côtée. Au Pavillon 1, où sont incarcérés les détenus de droit commun, Cherif Ben Louidane trône sur une cellule d'une superficie de 40 m2 avec toilettes privées, télévision, lecteur DVD et frigo dernier cri. Selon des sources carcérales, le baron de la drogue recevrait ses repas tous les jours à des heures précises. Ce détenu de luxe du centre pénitentiaire de Oukacha disposerait même d'un domestique, dévoué aux tâches ingrates de nettoyage de la cellule comme il est totalement disponible pour servir le thé de monsieur. Même topo pour la prison civile de Tétouan, celle de Tanger et Ouad Laou. Ici, c'est la résidence privée des barons de la drogue qui y ont leurs entrées. «Le rêve de tout responsable dans l'une de ces prisons, c'est d'avoir comme pensionnaire un grand baron de la drogue. Non seulement, il y a la fameuse enveloppe qui est distribuée généreusement à tour de bras mais de plus la présence d'un baron est la garantie d'un confort certain», témoigne un ancien gardien qui a travaillé dans le Nord. Le cas Erramach Le seul homme qui semble bénéficier d'un traitement particulier marqué par des conditions d'incarcération dignes de Tazmamart, c'est Mounir Erramach. Pourquoi le détenu est isolé dans une cellule dans le quartier chaud où sont incarcérés les salafistes ? Que cache la pression exercée par les gardiens, avec interdiction de voir un médecin entre autres ? Autant de questions qui prouvent que Erramach fait toujours peur, que l'homme en sait beaucoup plus qu'on ne croit. Erramach, accusé essentiellement de trafic de cigarettes, avait été pourtant condamné par la chambre criminelle de la Cour d'appel de Tétouan, le 29 décembre 2004, à vingt ans de réclusion. De plus, il est le seul parmi les protagonistes de cette affaire à avoir été condamné aussi sévèrement.