Un voyage à travers les périodes charnières de la vie de Bob Dylan. Avec pas moins de six acteurs incarnent Dylan tel un kaléidoscope de personnages changeants : poète, prophète, hors-la-loi, imposteur, comédien, martyr et «Born Again». Ils participent tous à l'esquisse d'un portrait de cette icône américaine résolument insaisissable. Avec un zest de poésie sur fond de grand lyrisme. On peut faire confiance à Bob Dylan qui, lui, a doné la sienne à Todd Haynes pour l'aval final d'un film à facettes sur un musicien de grande envergure. On peut être comme Ray Manzaarek et Jim Morriso, assis à Venice Beach, parodiant la voix nazillarde de Dylan ou proche de Martin Scorsese portant sa musique au firmament, on n'est jamais insensible aux paroles de celui qui a écrit Knoking on heaven's door. On se retrouve dans cet opus avec pas moins de six facettes, ses vies, ses portraits, chacune personnifiée par un comédien différent portant dans le film un nom différent, qui seront évoquées. Drôle d'entreptrise surtout que l'une des facettes est incarnée par Cate Blanchett, androgyne à souhait, qui se joue des lois mâle : femelle. D'emblée, il faut se garder de croire au traditionnel «biopic», comme ceux de Ray Charles dans «Ray» ou de Johnny Cash dans «Walk the Line». Nous sommes loin de ce type d'adaptation, somme toute classique où le genre perd de sa force donnant dans un déjà vu chronologique et prévisible. «I'm Not There» est un film poétique et éclaté. Un film en myriades, en variations. Un film où l'on ne sait pas qui est qui et pourquoi ce qui est ce qu'il prétend être. Le but est pourtant simple : saisir ce que le mythe Dylan peut bien vouloir dire plutôt que de nous renseigner sur sa vie et son parcours. Mais le mythe reste un mythe même si on gratte les surfaces et on dépoussière les couches. Cette toile se révèle plus coriace et plus hermétique, malgré un florilège de grand moments de cinéma où la musique prend sa place comme dans ces documentaires films qu'ont signés Mike Figgis et Clint Eastwood sur le Blues. Mister Zimmermann Ce n'est pas une biographie, donc gardons-nous de vouloir reconstituer le puzzle d'une vie qui échappe à celui qui l'expérimente encore. BoB Dylan, né Zimmerman passa depuis presque cinquante ans à travers la musique américaien et mondiale comme un ovni. L'un de ses derniers albums «Love and Theft» remet en cause tous les acquis de sa musique qui aura, au passage, ingurgité un demi-siècle d'influences et d'expérimentations. C'est simple, et c'est là l'intérêt d'un tel travail, en passant d'une époque à l'autre, d'un style à l'autre, en se jouant de la réalité et de son corollaire le fantasme, Todd Haynes veut que chacun de nous, à sa mesure, donne une lecture de la vie et du travail d'un homme qui est encore là et qui peut, nous dire à tous, «non, vous êtes dans le faux, je ne suis pas ce que vous croyez déceler». C'est dire que c'est toujours périlleux de faire un film sur la vie d'un homme qui n'est pas encore mort. Comme quoi la mort absout le travail, même raté, mais la vie, elle, elle peut apporter cette approche de l'improbable. Et c'est, pour ma part, ce qui m'a le plus touché dans ce film testamentaire. Donc, à nous de définir le parcours de six figures aussi éloignées les unes des autres : un petit garçon noir, guitariste hors pair fasciné par la musique de Woody Guthrie, interpérté par Marcus Carl Franklin, un chanteur engagé qui deviendra pasteur «born-again» campé par un sublime Christian Bale, un poète admirant Arthur Rimbaud, incarné par Ben Whishaw, un acteur aux amours tumultueuses, joué par Heath Ledger, un cow-boy aimant la country et le folklore américain, supporté par un admirable Richard Gere et enfin une rock star aux multiples excès. C'est là que Cate Blanchett, une femme, joue un homme comme aux balbutiements de la création. D'ailleurs ce rôle a valu à l'actrice le prix d'interprétation au dernier festival de Venise. Todd Haynes en fin limier a tourné cet épisode joué par Blanchette en noir et blanc, pour noyer le poisson. Troublantes apparitions d'un mythe qui s'écorne. Grandes déflagrations d'un homme qui se révèle. Le cinéma comme je l'aime. Avec un chapeau pour Christian Bale, devenu depuis le Prestige de Christopher Nolan mon acteur préféré?: force, sobriété, subtilité, effacement, nature, excès dans la retenue. Qu'est-ce qu'une icône ? Bob Dylan en est une. A la fois grâce religieuse et absence de déité dans un univers où le sacré a depuis longtemps revêtu un visage humain ou une marque de fabrique, un sigle, une abréviation. Comme dans All Along The Watchtower, le sage n'est pas celui qui connaît, mais celui qui peut toujours découvrir. Idôle, messie moderne, star, vedette, les attributs sont légion en termes de fanatisme moderne. Mais les gens de l'acabit de Bob Dylan (comme Marley, Morrison, Hendrix, Joplin, Page, Gabriel, Knopfler, Waits, Cave et même Harper…) se situent un peu en-deçà de ce qu'ils sont parce qu'ils coulent dans l'industrie, et au-delà de ce qu'ils seront, puisqu'ils échappent à l'étiquettage. Dylan doit marcher comme son homme, tant de routes avant que l'on lui donne le nom d'homme. Il le sait. Il en fait de la musique. Il le décline en paroles. Des Lyrics qui disent le doute, l'amour, l'attente, l'interrogation, le divin galvaudé, le mysticisme des irréductibles. C'est là, l'une des forces d'un song-writer qui est resté fidèle à ces variations. Entre contradictions et contrastes, doutes et vérités passagères, Bob Dylan est un homme qui dit toute son incapacité à tirer son épingle du jeu. Aussi simple que la vie est tortueuse et que les vérités acquises sont toujours frappées du sceau du démenti. Réalisé par Todd Haynes Avec Christian Bale, Cate Blanchett, Marcus Carl Franklin, Richard Gere, Heath Ledger, Ben Whishaw, Benz Antoine, Shaun Balbar, Mark Camacho, Joe Cobden, ... Bientôt en salles au Maroc